Avec désinvolte, Nárin tend la lettre qui lui est parvenu, plus intéressé par la salle que quelques dessins gribouillés sur un bout de papier. La salle commune est bondée. Comme le disait Hallepin, l'endroit est occupé. Cependant, à l'oeil de Nárin, il n'y a rien de suspect dans l'endroit. Ce qu'il voit ces surtout des commerçants, des jeunes couples ou des artisants qui sont venu manger un repas chauds après une dure journée de labeur. À prime abord, s'il y a des Arlequins, il ne sont pas évidents. En tout cas, personne à l'horizon qui porte un maquillage noir et blanc !
C'est alors que Nárin constate le regard sombre de son compagnon qui scute la lettre.
***
Survolant du regard la salle alors que Nárin regarde le mot que l'aubergiste lui a tendu, le frère Michael ne peut s'empêcher de douter des paroles du garde. L'endroit n'a rien d'un repaire de malfrat et de brigands. La clientèle est majoritairement composée de jeunes gens et d'artisants. Rien qui ne laisse entre-voir des liens évidents avec les cercles criminels de la cité.
Voyant Nárin lui tendre le mot qu'il lisait et lui demandant son avis, Michael saisit le parchemin. Voici ce qu'il y lit :
Quelque part entre Val-Brume et l’Ardoit Orientale,
20e jour du Brumaire en l’An de Grâce 1214.
Mon très cher fils,
Le vieux Darnák me transcrit cette lettre. Ton vieux père s’est peut-être ramolli avec la civilisation, mais il n’est toujours pas capable d’écrire son nom. Ce n’est que dans ces moments troubles que je me rends compte que ça aurait pu être utile d’apprendre mon alphabet.
Le frère aumônier me dit qu’il pourra s’arranger pour te faire parvenir ce mot. J’espère qu’il dit vrai. J’espère également que tu trouveras quelqu’un pour te lire cette lettre. C’est important.
Mon fils, tu as peut-être bien fait de partir à l’aventure. Je ne suis pas d’accord avec tes raisons, tu le sais bien, mais ces raisons te sauverons peut-être la vie.
La guerre s’enlise. Les batailles sont toujours glorieuses quand il s’agit de défendre sa terre ou celle de son maître. Elles le sont encore plus quand il s’agit d’augmenter le prestige et d’étendre son pouvoir. Cependant, les guerres fratricides ne font rien de cela. Il ne s’agit en fait que s’assurer que notre côté frappe suffisamment fort sur notre frère pour que le bon fils accède au trône.
En plus, si seulement l’identité de nos alliés était claire. Au moins, quand nous allions guerroyer à l’étranger ou quand nous errions, nous pouvions choisir qui défendre et qui attaquer.
Bah ! Voilà que je fais du sentiment et de la philosophie ! Je dois vraiment devenir vieux.
Pourquoi cette lettre ? Pourquoi, en effet. C’est que vois-tu mon fils, les Fer-de-Hache sont pris dans un bourbier et je ne sais pas vraiment si nous allons nous en sortir cette fois. Le seigneur nous a demandé de défendre le col des Trois Dents qui relie l’Ardoit Orientale à Val-Brume. Nous y sommes allés chasser, il y a deux ans. Bref, l’été dernier l’Ardoit Orientale était augustine. Nous avons combattus les hommes de Philippe avec eux dans des combats merveilleux. Mais voilà, ce traîte de Philippe a soudoyé Tarrence d’Ardoit. L’Ardoit a changé de camp. Ils nous ont prix en tenaille. Val-Brûme est coincé entre L’Ardoit Orientale et les mercenaires orques, que Philippe a engagé. Tu te rends compte, se fils-de-diable a fait affaires avec des orques !
Le baron de Val-Brume tente d’empêcher les orques de saccager ses terres au Nord et à l’Est. Ce faisant, l’Ouest, connexe à l’Ardoit est vulnérable. Il ne peut pas se permettre que le col des Trois Dents tombe aux mains de Tarrence. C’est pourquoi il nous a envoyés ici.
Tarrence d’Ardoit a vite compris la chance qui s’offrait à lui. Il a fait marcher ses hommes jour et nuit. Nous venions à peine de nous installer dans la forteresse qu’elle a été encerclée par 600 hommes. Je te voix déjà me dire, 600 hommes, nous avons déjà combattu plus que ça et tu aurais raison. Mais la route entre Val-Brûme a épuisé nos réserves. Nous nous attendions a trouver les caves de la garnison remplies, mais elles avaient été empoisonnées par les espions d’Ardoit. Nous sommes donc prisonniers de la forteresse, sans vivre pour survivre au siège.
Les membres du clan démangent d’en découdre avec l’Ardoit, cette bande de chiens galeux. C’est pourquoi demain matin, je vais faire sonner la charge et nous allons tenter une sortie. Les 50 hommes qui me reste, épuisés et affamés, contre les 600 hommes d’Ardoit et aucun renfort sur l’horizon. Ce sera glorieux, mon fils, mais probablement le dernier combat de ton vieux père.
Je t’écris donc pour peut-être te laisser mes derniers conseils et mes derniers désirs. Si une partie du clan survie, ce sera à toi de prendre ma place. Tu auras tout à prouver. Lorsque tu sera prêt à prendre cette place qui te reviens, assure-toi d’avoir la gloire et le prestige avec toi. Les Fer-de-Hache seront brisés après la bataille de demain, ce sera à toi de reforger l’acier. Fait-le avec la douceur du forgeron et avec la force des montagnes. Je te lègue tous mes biens mon fils, faits-en ce que tu veux.
Si je meurs demain, je le ferai avec un seul regret : celui qui notre séparation se sera fait dans l’animosité et non dans la sérénité. J’espère y remédier un peu avec cette lettre.
Adieu mon fils,
X
Enki Mûzar Baruk
[HJ : En passant, nous somme le 5e jour du Frimaire, cette lettre date de plus de 15 jours.]