L'Etranger (Part 5) - In French
- J’ai été mandaté par le Synode Inquisitorial pour l’appréhension d’une abomination symbiote ayant pénétré les Mondes Connus. Vous comprendrez bien qu’il nous faut analyser dans les moindres détails l’éventuel dénouement de cette affaire, afin qu’un tel danger ne menace pas de nouveau les brebis du Pancréateur. C’est pourquoi je me permets de vous demander une fois encore, maintenant que vous êtes remis de vos émotions, de me relater les évènements de cette soirée...
Buenaventura récapitula pour la seconde fois l’histoire qu’il avait racontée à l’arrivée des inquisiteurs. L’homme l’écouta patiemment puis, d’une voix posée, dit :
- Tout cela est très clair. Je vous en remercie. Il y a juste un point qui me chiffonne. Vous aviez de toute évidence compris que l’Inquisition recherchait cette créature. Pourquoi l’avoir poursuivie au lieu de nous informer de sa présence, comme tout bon citoyen et croyant l’eut fait ?
Cette dernière phrase était lourde de sous-entendu, mais Buenaventura ne se laissa pas démonter.
- Aucun de vos hommes n’était visible lorsque la créature a quitté le bar. Nous avions peur de la perdre de vue si nous partions à votre recherche...
- C’est tout à fait louable de votre part. Néanmoins, permettez moi de clarifier ce point plus avant. Nous vous avons retrouvé à 21/43 TU, juste au moment où la créature venait de trépasser. D’après votre description, il a du se dérouler une dizaine de minutes entre votre départ du débit de boissons où vous l’avez identifié et la grille barrant la portion délabrée du 3è quadrant, et une autre dizaine de minutes le temps que vous ne franchissiez les grilles et ne confrontiez la créature. Soit en tout une vingtaine de minutes. Je me trompe ?
- Non, ça doit être correct, répondit Buenaventura, inquiet de la tournure que prenait la conversation.
- Ce qui me chiffonne, voyez-vous, c’est que j’étais moi-même en patrouille à la frange du 3è quadrant. Je me souviens avoir regardé un des indicateurs horaires sur le bâtiment Krysler vers 21/28. Nous étions au croisement de l’avenue dans laquelle se trouve le Korona et des ruelles menant vers le 3è quadrant. En toute logique, cela signifie qu’au moment même où vous suiviez la créature vers sa destination, nous devions être tout au plus à une centaine de mètres. Vu l’étrange propension de la population de Cumulus à nous éviter, je doute que vous ayez pu ne pas nous voir...
Faz pâlit sensiblement. Lilwenn, elle, ne pouvait de toute manière pas être plus pâle...
- En supposant, comme je le crois, que vous nous ayez vu, je me demande alors pourquoi l’un d’entre vous n’est pas venu nous prévenir...
Un silence pesant flotta quelques instants, puis le diacre reprit son réquisitoire :
- Quelles pourraient être vos motivations ? De deux choses l’une : où vous avez des choses à nous cacher, peut-être sans lien avec l’affaire qui nous occupe, où, plus grave, vous avez tenté de nous tromper... Supposons par exemple que l’esprit démoniaque qui habitait l’être habite maintenant l’un d’entre vous ? Ce serait un bon moyen de nous faire croire que la menace a été éliminée alors qu’en fait elle est plus présente que jamais...
- Vos hommes nous ont testé et ont affirmé que nous n’étions pas infecté !
- Certes, certes... Mais après tout cette mesure n’est pas nécessairement fiable... D’abord, elle est le produit d’une machine, et le prophète ne nous a-t’il pas mis en garde contre la confiance excessive dans la technologie ? Sans oublier que l’interprète de ces données est un Ingénieur, certes dévot nous dit-on, mais je constate que deux d’entre vous sont affiliés à la Ligue des Marchands, comme lui... Peut-on lui faire confiance ? Et puis enfin, nous savons bien, nous inquisiteurs, qu’il est aisé pour les entités issues de l’Obscur Intersidéral de manipuler les humbles mortels que nous sommes...
La situation empirait de minute en minute. L’inquisiteur commençait à parler avec plus de passion et l’on sentait poindre sous son discours posé un fanatisme de mauvais aloi... Les trois vétérans se regardèrent un instant, se demandant bien ce qu’ils pouvaient faire pour se sortir de ce guêpier.
Soudain, quelques coups brefs furent frappés à la porte. Le diacre se leva et, l’air agacé, alla ouvrir la porte :
- Que se passe-t’il ?
- C’est la police de Cumulus, mon frère. Ils sont arrivés en force, avec le Capitaine Vigo a leur tête. Il exige la restitution des prisonniers...
A ce moment là, une voix bien connue de Lamar Faz se fit entendre, venant du fond du corridor :
- Vous outrepassez vos droits et nos accords, Torkmad. Remettez immédiatement les trois personnes que vous avez enlevées sous notre garde, ou ça va chauffer !
- Capitaine, répondit le diacre d’une voix glaciale, je n’outrepasse rien du tout, j’œuvre pour le Pancréateur. Il n’y a pas de barrière légitime à sa volonté.
- Erreur ! Il y en a une et vous allez la prendre en pleine poire si vous n’obtempérez pas ! J’ai déjà fait passer un message à l’archevêque Palamadès sur Byzantium Secundus. Je doute qu’il apprécie de devoir se déplacer en personne, mais je ne doute pas qu’il le fasse si vous ne vous en tenez pas aux limites que vous avez vous même fixées en sa présence concernant cette affaire. Vous allez immédiatement libérer vos prisonniers.
La voix du Capitaine Vigo semblait s’approcher :
- Au passage vous devriez les remercier plutôt que de les cuisiner. Ils ont fait votre sale boulot, avec autrement plus de diligence et nettement moins de dérangement. Je compte sur vous et vos hommes pour avoir débarrassé le plancher de Cumulus demain matin, sans quoi vous entendrez parler de moi !
Le diacre bouillait de rage, mais il était évident qu’il avait perdu. Les trois vétérans n’avaient pas très bien compris ce qui venait de se passer, mais il paraissait clair que le capitaine Vigo avait la main haute sur la situation...
D’un geste rageur, il fit signe à Lilwenn, Faz et Buenaventura de quitter la pièce. Ils ne se firent pas prier et sortirent rapidement, récupérant au passage leurs sacs qui avaient été inspectés et laissés dans la pièce, sans doute pour constituer d’autres preuves à charge.
Enfin, ils retrouvèrent l’air recyclé des rues de Cumulus. Ca ne valait pas l’air pur de la jungle de Stigmata avant l’assaut, mais c’était mieux que l’atmosphère malsaine d’une cellule d’interrogatoire au sous-sol de la cathédrale. Une dizaine d’hommes de la police de Cumulus étaient postés devant l’édifice religieux, armés et prêts à intervenir. « Ils on vite compris, cette fois ci », dit le capitaine à un de ses seconds en sortant...
Alors qu’ils s’éloignaient de la cathédrale, escortés par les policiers, Lilwenn se retourna pour regarder les inquisiteurs dépités, alignés sur le parvis. Devant la tente médicale, elle aperçut l’ingénieur qui les avait examinés plus tôt dans la soirée. Il avait un léger sourire sur les lèvres et, croisant le regard de la jeune femme, il lui fit un clin d’œil complice...