Les Terres Anciennes [UPDATED 24/03/03]


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Historique de Cendres

Nom : Nolwenn Sylvaniel

Surnom : CENDRES

Race : Elfe


Nolwenn est la fille d'Alanyl Sylvaniel, un des pairs protecteurs du royaume elfique de l'Ancienne Forêt, située au nord-est d'Annervalles.

Pour les étrangers, il s'agit d'une forêt très dense et sombre. On raconte dans les baronnies que le cœur de cette forêt est peuplé de fées, de trolls de dragons et mille autres dangers… et rares sont ceux qui connaissent l'existence même du Royaume elfique de Sylvanesti.

Comme le veut la tradition, en tant qu'aînée d'un des pairs protecteurs du royaume, Nolwenn embrassa une carrière militaire.
Il y a maintenant deux ans de cela, lors d'une mission, Nolwenn fut blessée par une créature mi-homme, mi-bête ayant l'apparence d'un ours. Peu après cette fâcheuse mésaventure, sa famille ne put que constater que la jeune elfe était à son tour frappée par quelque malédiction : de manière incontrôlable, Nolwenn était parfois comme possédée par un esprit animal d'une rare violence…

Ni les druides, ni les mages du Conclave n'ayant rien pu faire pour enrayer les crises, ils conseillèrent à son père d'envoyer Nolwenn dans le monde extérieur afin qu'elle se rende auprès des prêtres du culte de Mezrâ, la déesse des Arcanes et de la Connaissance. Mais un tel voyage était significatif d'exil, car tout sujet sortant de Sylvanesti doit boire un filtre d'oubli afin de ne pas être en mesure de révéler les routes d'accès au royaume caché…Malgré son chagrin, Alanyl dû se résoudre à prononcer la sentence d'Exil. Consciente de la menace qu'elle devenait pour son entourage lors de ses transformations, Nolwenn accepta courageusement son sort.

Son voyage la mena jusqu'à Naïm. Là, elle se rendit au temple de Mezrâ, où elle fut recueillie avec bienveillance par les prêtres de la déesse. Ceux-ci l'aidèrent à maîtriser partiellement les crises et lui indiquèrent que pour mettre fin à sa malédiction elle devait tuer le Lycanthrope Naturel à l'origine de son mal. Pour sa sécurité et celle des autres, les prêtres décidèrent qu'un jeune elfe de leur garde pourpre nommé Solian l'accompagnerait dans sa quête. Au cours des mois qui suivirent, tous deux devinrent liés par une forte amitié, et après une longue traque, les deux compagnons parvinrent enfin à localiser la bête. Mais celle-ci, ayant senti leur présence, leur tendit une embuscade… Solian n'eut même pas le temps de comprendre ce qui lui arrivait…du fait de la haine qui la submergea à la vue de la mort de son compagnon, Nolwenn se transforma et un combat terrible entre les deux bêtes s'en suivi…

Malgré de terribles blessures Nolwenn trouva les ressources en elle pour terrasser son adversaire. Lorsqu'elle reprit connaissance, elle se trouvait toujours sous sa forme animale. Ce n'est que plusieurs jours plus tard qu'elle retrouva progressivement son apparence normale (sans doute du fait que son corps se libérait lentement et définitivement de la malédiction). Son apparence normale ? Non, pas tout à fait… car comme le pressentait les prêtres, plus la durée de la malédiction est longue, plus le risque de conserver des séquelles est grand ! Effectivement, dans le reflet d'un lac, Nolwenn constata qu'en plus de ses blessures profondes au visage, un de ses yeux avait conservé une couleur fauve à la place de la belle couleur émeraude si fréquente chez les elfes. Quant à ses beaux cheveux blonds, ils arboraient désormais une étrange couleur cendrée…

De retour sur les lieux du combat, elle dressa une tombe à la mémoire de son compagnon et lui promis de reprendre le flambeau qu'il avait décidé de porter au service de la déesse Mezrâ.

Au moment de son introduction auprès des autres personnages du groupe, Nolwenn vient de finir ses épreuves initiatiques : conformément à sa promesse, elle fait désormais partie des gardes pourpres. Du fait de la couleur inhabituelle de ses cheveux, CENDRES est son surnom parmi les gardes.
 

Portrait de Cendres

Le portrait de Cendres
 

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Une heure d'histoire en französich ! Chouette ! Je vais peut-être arriver à lire un de ces fils monstrueux tout pleins de pages bourrés de commentaires interminables (j'avais essayé de lire la story hour de Piratecat, dont on disais plein de bien, mais pfou, pas réussi à m'accrocher).

Je pourrais peut-être placer la mienne aussi, alors...
 


Cendres : beau background. Très vivant.
Tu as une idée de son avenir (rester au service de Mezrâ, rechercher ses origines, devenir mercenaire, ou prêtre, etc...), où tu subiras les affreuses choses que vous affligera votre méchant MJ (les MJ sont tjs mechants du point de vue des joueurs ;) ) ?
 

Ah zut, je ne peux pas voir le portrait de Cendre...

Je vien de terminer l'histoire jusqu'a présent et c'est excelent! Ca fait du bien de lire quelque chose come cela en français.


Ancalagon

P.S. L'histoire de piratecat elle est très bien... oui elle est bouré de comentaires, mais elle en vaut la peine.
 



Episode 13 : Splendeur et Misère...

Sur les quais, alors que le soleil s'apprête à toucher l'horizon, une foule laborieuse s'efforce de finir son travail avant le crépuscule. Des dockers aux bras tatoués chargent et déchargent des cargaisons aux origines parfois douteuses. Des capitaines de navire donnent des instructions aux équipages réduits qu'ils laissent à bord des bateaux pour la nuit. Des enfants crasseux courent et crient tant qu'ils peuvent avant qu'il soit temps de rentrer dans leur ghetto.

Le peu de réaction que suscite le groupe d'aventuriers montre bien que le port de Halos est habitué aux personnages sortant de l'ordinaire. Même la présence d'Œil-de-Nuit, maintenant aussi gros qu'un poney, ne provoque pas de panique générale, loin de là ; au pire, un coup d'œil nerveux. Manifestement, sur les quais, chacun est invité à se mêler de ses propres affaires, et à ne pas s'intéresser de trop près à celles des autres.

Au-delà des quais, la ville s'étend, les toits rosis par quelques rayons du soleil couchant qui percent à travers les nuages. Le quartier des docks se compose surtout d'entrepôts et de magasins de grossistes, dont les propriétaires sont en train de fermer les portes et de cadenasser les chaînes. Apparemment, les établissements destinés aux marins désireux de se détendre après plusieurs semaines en mer sont situés ailleurs.

"- Bon, dit Cendres en se frottant les mains pour les réchauffer. Je ne sais pas pour vous, mais moi je me verrai bien en train de me délasser dans un bain d'eau chaude, et de me remplir le ventre, dans cet ordre de préférence.
- Beuh… manger ? commente Erasmus. Après une traversée pareille ? Même Korg a le teint pâle…
- Moi aussi vouloir aller auberge, mais d'abord, emmener Œil-de-Nuit en dehors de ville. Lui mal à l'aise dans grande cité, et nous sans doute pas pouvoir entrer dans auberge si lui avec nous.
- Faut dire que si tu l'avais pas transformé en monstre, il passerait plus facilement les points de contrôle, ironise le gnome. A moins qu'on lui mette une selle en espérant que les aubergistes le prennent pour un percheron.
- Œil-de-Nuit pas être cheval dressé. Lui animal sauvage. Lui nous suivre de son plein gré.
- Animal sauvage, oui. Voilà qui sera de nature à rassurer les aubergistes. OK, Yjir, on va amener le toutou à l'extérieur. Plus vite ce sera fait, plus vite on sera couchés."

Suivant le conseil du marchand gnome, Erasmus achète (sans trop en discuter le prix) une carte de la ville à un gamin en guenilles. Puis le groupe se met en route vers les faubourgs, traversant d'abord le quartier des docks puis le quartier marchand.

Le contraste est tout à fait saisissant. Après les entrepôts de brique et de bois, longs et bas, et les rues tortueuses et sombres, les belles pierres du quartier marchand semblent resplendissantes, tout comme les grandes torches de l'éclairage public que l'on vient d'allumer. Alors que les aventuriers progressent, les avenues se font plus larges et plus belles, les trottoirs plus larges, les bâtiments plus imposants. La splendeur architecturale culmine enfin lorsque les trois amis débouchent sur une place immense, bordées d'édifices pharaoniques, de façades à colonnades, de caryatides supportant des hauts porches. Au centre de cette vaste esplanade, une statue impressionnante figure un homme bedonnant dans la hune d'un mât ; le cordage, finement sculpté dans la pierre, est un chef d'œuvre d'orfèvrerie.

Le groupe repère aussi ce qui semble être une auberge de grande classe : "l'Hostellerie du Dernier Recours". Mais pour l'heure, il continue son chemin jusqu'à la bordure de la ville.

Arrivé à la périphérie du faubourg, Yjir désigne à son compagnon la forêt dont la lisière se trouve de l'autre côté d'une zone entièrement défrichée et manifestement entretenue avec soin, large de quelques centaines de mètres.

"- Toi aller dans forêt et m'attendre, dit-il la main posée sur l'encolure du loup. Moi venir te chercher quand moment venu."

L'animal semble indécis un moment, regardant le druide de façon étrange de ses grands yeux d'ambre. Puis il s'en va, démarche souple et gracieuse, la tête basse.

"- Bon, allez, le monstre va sans doute se goinfrer dans la forêt, et on ferait bien de l'imiter, propose Erasmus. Sauf pour le côté "dans la forêt", notez bien. La p'tite auberge de la grande place m'avait l'air assez digne de nous."

Yjir avec curiosité, Cendres avec appréhension, Erasmus avec délectation, les trois aventuriers se présentent donc devant la grande porte sculptée de l'hostellerie. Un valet en livrée les regarde de haut en bas, puis de bas en haut, dissimulant mal sa désapprobation devant les vêtements usés, les bottes souillées de neige boueuse, les cheveux crasseux, les visages patibulaires et mal rasés, sans parler de l'attirail militaire des aventuriers, de l'arc et de la rapière de Cendres au grand bâton d'Yjir. Erasmus, sans se laisser démonter, prend la parole.

"- Bien le bonsoir, mon brave. Nous souhaiterions nous sustenter et prendre quelque repos dans votre établissement. Et, bien entendu, revêtir des atours plus adaptés à notre statut."

Le groom semble un instant décontenancé par le ton suffisant du gnome, mais son professionnalisme ne tarde pas à prendre le dessus.

"- Certes, Madame, Messires. Veuillez me suivre je vous prie. Puis-je vous débarrasser de vos… euh… sacs ?
- Faîtes, mon ami, faîtes, répond Erasmus en abandonnant nonchalamment son paquetage.
- Moi garder sac, dit Yjir, méfiant."

Le valet, très embarrassé, continue :

"- Je… Puis-je vous demander de bien vouloir également mettre ces couvre-chausse ? Les parquets viennent d'être cirés, et…
- Mais c'est bien naturel, mon brave, accorde Erasmus d'un air magnanime."

Yjir enfile maladroitement les guêtres qu'on leur propose. Cendres s'exécute aussi, lèvres pincées. Le groupe peut enfin pénétrer dans le hall d'entrée, sorte de corridor grandiose et voûté dans lequel les pas résonnent sur le parquet. Le lobby est aussi majestueux, avec sa gigantesque cheminée ouvragée, son tapis moelleux sur lequel reposent des fauteuils aux coussins de soie. A la réception, on s'enquiert des besoins des nouveaux venus avec politesse et retenue. Erasmus insiste pour qu'on leur apporte de beaux vêtements après leur bain.

La découverte des chambres est une nouvelle source d'émerveillement (bien qu'à 5 pièces d'or la nuit, on pouvait raisonnablement espérer quelque chose de plus que correct). Véritables suites, meublées comme des petits appartements, elles sont dans le même style luxueux que le reste, comme l'attestent les lits à baldaquins ou les lourds rideaux de velours.

Erasmus a tôt fait de se vautrer dans la baignoire d'eau chaude que quatre valets musclés apportent dans chaque chambre. Il profite également du massage qu'on lui propose plus tard. Yjir, lui, se sentant plus étranger que jamais, s'est installé une sorte de campement dans un coin de la pièce. Il accepte le bain, mais renvoie tous les serviteurs dès que le bac d'eau chaude a touché le sol. Sa seule coquetterie consistera à se re-huiler les tresses. Quant à Cendres, elle profite aussi des services de l'hostellerie, mais ne peut complètement réprimer un sentiment de malaise face à cette débauche de luxe.

Pour Yjir, le plus étrange reste à venir, puisqu'un valet lui apporte bientôt une tenue d'apparat en velours bleu sombre, avec chemise à jabot, chaussures à boucle et feutre tricorne. Le druide se prête de mauvaise grâce à ce déguisement, conseillé par le groom qui lui indique dans quel sens se porte le chapeau. Erasmus se retrouve affublé d'un curieux (mais magnifique) ensemble rouge à rayures verticales jaunes, apparemment l'unique tenue que l'on ait trouvée à sa taille. Fulminant de se retrouver ainsi déguisé en nain de jardin, il finit tout de même par accepter le béret jaune qui complète sa panoplie. Quant à Cendres, qui ne tarde pas à les rejoindre, vêtue d'une superbe robe vert pâle à dentelles et décolleté généreux, elle fait taire ses deux compagnons d'un ton sec :

"- Le premier qui rigole ou fait la moindre remarque se prend une baffe".

C'est donc dans cet accoutrement que le groupe descend dîner. Le repas, sous forme de buffet, est proposé à l'extérieur dans un jardin aménagé, où des braseros permettent aux convives de ne pas être gênés par la froideur des nuits d'hiver. Avant qu'Erasmus ne puisse se précipiter pour l'en empêcher, Yjir se saisit sans retenue d'une cuisse de volaille et mord dedans à pleine bouche. Le groupe s'assoit à une table ; un serveur s'approche alors et déclare d'un air pincé :

"- Comme Messire l'a déjà remarqué, le dîner de ce soir est un buffet, et l'un des plats que nous vous proposons est de la dinde aux airelles et aux prunes confites.
- Euh… le mieux est que vous nous serviez à table, s'il vous plaît, demande Erasmus, accablé.
- Je crois aussi que c'est mieux, rétorque le serveur d'un ton crispé. Je reviens de suite avec la liste des vins. Voulez-vous que je vous débarrasse de l'étrange volatile qui semble en vouloir à votre épaule, Messire.
- Non, non, euh… merci beaucoup, mais il ne me dérange pas."

Une fois le serveur parti, Korg laisse éclater son indignation.

"- Etrange volatile ? croasse-t-il. Mais il ne s'est pas v…
- Chhhhhht, Korg, je t'en supplie, ne te fais pas remarquer, interrompt le magicien, de plus en plus gêné."

Lorsque le serveur revient, Erasmus s'évertue à s'attirer ses bonnes grâces, et y parvient assez bien. Le groupe apprend ainsi le nom de certains convives, comme le monarque en exil Garam de Llem (qui aurait dû prendre le trône sous le nom de Garam XVI), dont les ancêtres ont été chassés de l'île de Llem par un soulèvement révolutionnaire et républicain. S'ils veulent faire d'autres rencontres intéressantes, leur conseille le serveur, rien de mieux pour nos amis que de fréquenter la Guilde des Marchands, voire le Club du Négoce, bien que ce dernier soit a priori réservé aux membres. Il confirme également que Halos a le privilège d'abriter une Guilde de Haute Magie.

C'est à ce moment qu'un nain richement vêtu fait son entrée dans le jardin de l'hostellerie. Barbe bien taillée, démarche assurée, il se dirige tout d'abord vers la table de Garam de Llem et, comme peuvent l'entendre les aventuriers depuis leur table, le salue avec grand respect. Il converse un moment, puis se dirige vers le buffet.

"- Toi peut-être pouvoir engager conversation, suggère Yjir à Erasmus. Toi lui demander des nouvelles de Dwargon et de Maborg, toi dire que toi connaître Strakal Dalaïm et sa femme Anella. Peut-être nous apprendre choses utiles.
- C'est bon, j'y vais, soupire le gnome, visiblement déçu d'abandonner sa truite à la crème d'oignons."

Il s'avère rapidement que le nain, du nom d'Arnûl, n'a pas de nouvelles récentes de Dwargon, puisqu'il en est parti il y a plusieurs mois. Arnûl est en effet le Maître Maçon du chantier du Grand Phare de Halos (plus communément appelé la "Folie du Drac"). Le Drac l'a fait venir exprès du royaume des nains, ainsi que près de deux cent artisans de Dwargon, choisis parmi les meilleurs, pour l'assister. Tout en étant diplomatiquement réservé sur l'utilité potentielle d'un tel ouvrage, Arnûl n'en insiste pas moins sur ses proportions gigantesques (300 pieds de haut) et la prouesse architecturale qu'il représente.

Bien sûr, nos amis voient immédiatement dans ce chantier une piste possible pour leur enquête : où donc aurait-on besoin d'esclaves robustes, sinon dans ce genre de projets titanesques ? Erasmus interroge gentiment Arnûl sur l'emploi du temps des ouvriers, leur nombre, leur statut, la façon de les recruter. Cependant, difficile de trouver dans les réponses du Maître Maçon le moindre indice intéressant. Les artisans nains travaillent par période de cinq jours au chantier, suivis de deux jours de repos à Halos. Ils sont logés et nourris par leur employeur. Les conditions de travail sur l'île du phare sont très pénibles, du fait de la violence de la mer en plein hiver et des températures glaciales. Au final, rien de très surprenant.

"- Et le Drac lui-même ? demande Erasmus par-dessus son verre de vin.
- Hm, eh bien, comment vous dire… commence Arnûl. C'est un homme euh… étrange, certes, un peu excentrique, pourrait-on dire. Un homme de pouvoir, en tout cas, et à la tête d'une flotte puissante, qu'il met parfois à la disposition d'autres contrées, en échange bien sûr d'espèces sonnantes et trébuchantes. A part cela… eh bien… vous verrez bien, si un jour vous avez le privilège de le rencontrer.
- En parlant de rencontre, cher Sire Arnûl, je n'ai pas pu m'empêcher de remarquer l'illustre présence de Sa Majesté le roi de Llem. Serait-ce trop vous demander que d'avoir l'obligeance de me présenter ?
- Ah, mais oui, bien entendu, suivez-moi mon ami."

Quelques civilités, et une conversation à laquelle se joignent d'ailleurs Cendres et Yjir, révèlent que Sa Majesté le roi en exil est un vieillard très conservateur, visitant assidûment les capitales des royaumes alentours à la recherche de promesses de soutien pour sa cause. Sans trop de réussite : apparemment, le Prince Rubis des Baronnies Naïmides ou le Drac de Halos ont manifestement d'autres priorités d'investissement. Quant aux aventuriers, ils affichent un intérêt poli face aux propos du souverain en exil, mais esquivent gracieusement la proposition de Garam de les embaucher au service de la reconquête de son trône.

Tout ce beau monde finit par se quitter, non sans s'être donné rendez-vous le lendemain soir pour aller dîner "chez Maurice", un restaurant réputé du quartier marchand où le Drac lui-même vient parfois.

Une fois remontés à l'étage, les aventuriers tiennent conseil dans la chambre d'Erasmus (le gnome vautré dans un immense fauteuil, Cendres assise le dos raide sur le lit, Yjir en tailleur par terre). La piste la plus probable pour retrouver Umar est tout de même le chantier de la Folie du Drac. Décision est prise de se rendre dès à présent dans le quartier des entrepôts pour sympathiser avec des ouvriers nains et en apprendre plus sur la façon dont la construction se déroule. Mais Yjir et Erasmus s'y rendront seuls, Cendres exprimant le souhait de rester à l'hostellerie, pour envoyer un message au Temple de Mezrâ et se coucher tôt.

Après avoir récupéré leurs vêtements sales auprès d'un valet étonné, le magicien et le druide repartent donc, dans la nuit, vers les quartiers est. Quittant les rues éclairées et intensément patrouillées du quartier marchand, ils s'engouffrent dans les ruelles situées à l'ouest des quais. A part l'occasionnel groupe de miliciens, le coin semble bien désert, au point qu'Erasmus doit demander à un garde l'adresse d'une taverne.

"- Dans le quartier des entrepôts, il n'y en a qu'une, Monsieur, répond le militaire d'un ton sec. La Bitte et la Corde. Tournez à gauche au prochain croisement, montez les escaliers, puis à droite, et vous verrez plus loin l'enseigne et les fenêtres éclairées. Pouvez pas vous tromper. Traînez pas trop tard dans les rues. Bien le bonsoir."

Suivant ces précieuses indications, les deux compères arrivent bientôt devant l'établissement en question. A l'intérieur, l'ambiance est braillarde mais correcte. Il y a une foule de dockers plutôt costauds accoudée au bar, trinquant avec des gobelets de fer remplis de rüm. La plupart des tables sont occupées par des groupes parlant fort et buvant beaucoup. Yjir repère tout de même dans le fond de la salle une cheminée assez large autour de laquelle se presse une douzaine de nains. Ceux-ci n'ont pas l'air de vouloir socialiser avec les autres convives de la taverne, et encore moins avec les deux nouveaux arrivants.

Affichant avec assurance leur connaissance superficielle de Dwargon et du royaume de Maborg, Yjir et Erasmus finissent tout de même par obtenir qu'un jeune nain du nom de Murl se joigne à eux pour un brin de causette. Une chope d'ale et surtout un petit enchantement lancé par Erasmus (profitant d'une subtile manœuvre d'Yjir destinée à détourner l'attention de tout le monde) achèvent de lui délier la langue.

"- Des nouvelles de Maborg ? Bah, vous savez, moi, ça fait un bail que j'y ai pas mis les pieds. J'me suis porté volontaire pour partir sur ce chantier, et j'suis pas retourné là-bas depuis. Mais j'suis d'accord avec vous, ce Dalaïm, là, c'est qu'un ambitieux, et il aurait mieux valu qu'ce soit un vrai Lernaïm qui monte sur l'trône. C'est pas souvent qu'on change de dynastie chez nous autres à Dwargon, et en général ça porte pas chance. J'peux que prier que l'vieux roi y tienne le plus longtemps possible.
- Mais il n'y avait pas un héritier, fils du roi ?
- Ah ouais, mais ça fait une éternité qu'y s'est barré, le gars. Pour c'qu'on en sait, il est mort quelque part. C'est dommage, parce qu'il était estimé de beaucoup… Enfin, pour les p'tites gens comme moi, j'imagine qu'ça change pas grand-chose de toutes façons.
- Petites gens, petites gens… J'imagine que n'importe qui ne pouvait pas être sélectionné pour ce chantier, tout de même. Tu ne dois pas être le premier ouvrier maçon venu."

Murl se renfonce dans sa chaise, visiblement flatté.

"- Oh, bin, c'est sûr que j'suis pas un manchot quand y s'agit d'construire. Ils ont pas pris des nains des profondeurs pour faire ce phare. Le gars Arnûl, surtout, c'est un vrai bâtisseur comme on n'en fait plus.
- C'est un vrai chef-d'œuvre, alors, cette "Folie du Drac" ?
- Ouais, enfin, on peut rien dire avant qu'ce soit fini, mais en tout cas, y se sont donnés les moyens. Les pièces de métal ont été spécialement forgées à Dwargon, la pierre aussi vient de Dwargon, c'est complètement dingue. J'peux même pas commencer à imaginer d'où vient l'pognon qu'y faut pour acheter tout ça.
- Eh bien… Ils font peut-être des économies sur la main d'œuvre, non ? Vous n'avez pas des compagnons de travail qui ne sont pas exactement… euh… aussi bien payés que vous ?"

Murl lève un sourcil broussailleux.

"- Comment ça ?
- Eh bien, des travailleurs forcés, des prisonniers, des esclaves, ce genre de choses…
- Oh, bin non, pas à ma connaissance en tout cas. C'est pas le genre d'Arnûl de bosser avec des gars en qui il a pas 100% confiance, d'ailleurs. Nous autres, les nains, on est attaché à la qualité des finitions, tu vois, le souci du détail, la conscience du travail bien fait. Avec des gars qui trimeraient en étant obligés, t'obtiendrais jamais ce genre de résultat, tu vois ?
- Mmm… Je vois… Tiens, tu connaîtrais pas un ouvrier du chantier qui s'appelle Umar ?
- Umar, tu dis ? Euh, non. Pourtant on commence à connaître un peu tout le monde. Il est peut-être dans une autre équipe ?
- Mmm… Pas grave. Vous dormez tous dans le quartier des entrepôts ?
- Bin ouais, quand on dort pas sur le chantier, c'est là que le Drac nous loge. C'est pas comme si on avait le choix, tu sais ?
- Mais vous n'allez jamais vous détendre ailleurs ?
- Pfff… Moi, de toutes façons, je suis pas trop genre débauche. Je fais mon métier, je bois quelques ales pendant mes jours de repos, mais pas d'excès, alors bon… Bien sûr, y'a des gars qui vont s'éclater à Scorbeville, mais c'est carrément malsain, d'après ce qu'on me dit.
- Ah bon ?
- Ouais. Et d'ailleurs, récemment, y'a sept ou huit de nos compagnons qui en sont pas r'sortis, de Scorbeville. Ils nous ont juste dit qu'ils allaient s'amuser là-bas, et on les a plus jamais r'vus. Quartier dangereux, j'vous dis. Même la milice elle veut pas y aller, et Arnûl a jamais pu obtenir du Drac qu'il ordonne des recherches pour récupérer les ouvriers."

Yjir et Erasmus échangent un regard qui en dit long.

"- Sept ou huit nains enlevés à Scorbeville ? insiste Erasmus. Et quand cela s'est-il passé ?
- Enlevés, enlevés, c'est toi qui l'dit ! M'est avis qu'on les a juste détroussés proprement et qu'après on a balancé les corps aux sharques !
- Tu as sans doute raison. Mais c'était quand ?
- Oooh, bin, y'a une dizaine de jours, j'dirais."

Erasmus pose encore deux ou trois questions sans intérêt, puis les deux aventuriers sortent de la taverne. Le froid de la nuit est saisissant après l'atmosphère confinée et les odeurs de bière.

"- Bon, annonce Erasmus, j'ai comme l'impression que la piste de la Folie du Drac ne nous mènera nulle part.
- Moi d'accord. Pas esclaves sur chantier. Nous aller à Scorbeville pour savoir quoi arriver à groupe de nains. Quelqu'un avoir besoin esclaves nains, et Umar sans doute en faire partie.
- Tu ne trouves pas qu'il se fait tard ? On pourrait rentrer dormir et revenir demain…
- Non. Manger viande quand viande encore fraîche, ça être proverbe chez nous. Scorbeville sans doute plus active pendant nuit, nous pouvoir parler à beaucoup personnes."

Le gnome soupire.

"- Bon, allez, d'accord. Soyons sur nos gardes. Et n'oublions pas que nous pouvons être suivis par l'elfe invisible !"

Nouvelle marche vers l'est, le long des quais où gémissent quelques bateaux, ballottés par une mer d'encre. Les voiliers, à mesure que l'on se dirige vers Scorbeville, se font plus petits, moins bien entretenus ; l'odeur qui se dégage du port, de douce et iodée, devient vaseuse et putréfiée. La nuit elle-même semble s'assombrir et les étoiles pâlir.

Alors qu'ils s'apprêtent à quitter le quartier des entrepôts, Yjir remarque plusieurs silhouettes, à la démarche incertaine, se rapprocher d'eux. A la faible clarté que jette la lune sur les quais, on devine des mines patibulaires et des vêtements sales.

"- Nous pas dévier route. Nous pas devoir montrer que nous inquiets. Sinon eux sentir chasse facile."

Erasmus hausse les épaules.

" Oui, enfin, je ne pense pas que nous risquions grand-chose, quoi qu'il arrive."

L'inévitable arrive en effet : parvenant à leur hauteur, moues narquoises affichées sur leurs visages mal rasés, les huit vauriens se déploient pour cerner les deux aventuriers. L'un d'eux vient se planter devant le gnome et le druide, bras croisés.

"- Eh bien, eh bien, eh bien… commence-t-il, l'air satisfait. Qu'est-ce qu'on a là ? Un nabot et un grand dadais qui viennent respirer l'air nocturne ?"

Yjir, visage rigide, mâchoire serrée, regarde droit devant lui.

"- Vous nous laisser passer. Nous pas hostiles, pas vouloir faire de mal à vous.
- Ouais, ouais, nous non plus, mon gars. D'ailleurs, on vous fera pas de mal du tout si seulement vous voulez bien déposer toutes vos possessions par terre, et repartir là d'où vous venez, hop, tout de suite maintenant.
- Vous faire grave erreur. Moi avertir vous.
- Bien sûr. Allez, assez palabré, foutez-vous à poil avant que je ne perde patience."

Comme réagissant à un signal, les sept autres voyous se jettent sur les deux compagnons. Tout se passe alors très vite. Erasmus jette une pincée de sable sur ses attaquants en murmurant une formule, et quatre d'entre eux tombent aussitôt à terre, profondément endormis. Yjir ferme les yeux, les bras le long du corps, et son corps se nimbe aussitôt d'une lumière jaune, qui devient vite aveuglante. Alors que les quatre bandits encore valides reculent, étonnés, une douzaine de puissants rayons surgissent du druide, semblables à des flammes éthérées. Deux des agresseurs sont touchés, et hurlent de douleur, profondément brûlés. Sans demander leur reste, tous ceux qui en sont encore capables s'enfuient.

Erasmus jette un léger coup de pied dans le flanc de l'un des dormeurs.

"- C'était presque trop court pour être drôle. Heureusement qu'Œil-de-Nuit n'est pas avec nous, sinon nous n'aurions jamais se genre d'aventures amusantes.
- Ca pas drôle. Nous perdre temps et ressources. Devoir nous dépêcher."

Les deux compagnons poursuivent leur chemin, et arrivent bientôt dans Scorbeville. Le quartier est encore pire que ce qu'ils attendaient. Dans des rues étroites, pleines d'immondices, se presse une foule de mendiants, d'estropiés, de malades défigurés, de clochards de la pire espèce, un véritable ramassis de tout ce que Halos juge indésirable dans les districts civilisés. Des prostituées offrent leur nudité ravagée, des ivrognes boivent un vin âcre, des enfants en haillons défèquent devant tout le monde, accroupis dans les détritus. Des chiens faméliques pourchassent des rats parmi les ordures. Des visages défigurés par la maladie se devinent derrière les portes entrouvertes de bâtisses délabrées.

Visage de marbre, Yjir contemple ce paysage pathétique.

"- Ca être fruit de civilisation qui se détourne de nature. Hommes devenir fous, devenir comme des bêtes. Mais même bêtes être propres. Hommes ici être moins que bêtes."

Erasmus lève les yeux au ciel.

"- Ouais, ouais, c'est ça Yjir. Quoi qu'il en soit, tâchons de rapidement enquêter sur la disparition des nains. J'ai hâte de sortir de cette puanteur. C'est vraiment infect.
- Oui, croasse Korg, et moi j'ai l'impression que tout le monde me regarde goulûment. J'vais finir en rôtisserie si on se grouille pas."

Erasmus appréhende au hasard un mendiant qui à l'air capable de parler normalement.

"- Salut. Mon ami et moi cherchons une taverne où on peut boire et prendre des nouvelles du coin. Tu connais ça ?"

L'homme en guenilles découvre ses gencives malades où deux dents noircies achèvent de pourrir.

"- Z'avez pas l'air du coin, pour sûr. Z'avez qu'à aller à la Gorge de Krom, c'est pas loin."

Le clochard semble agité de tics nerveux, comme s'il ricanait sans bruit. Après avoir donné des indications détaillées et empoché la pièce lâchée par le gnome, il disparaît dans la foule en gloussant étrangement.

"- Bon, bin, y'a plus qu'à, dit Erasmus. On y va, c'est parti."

La taverne en question se trouve dans une ruelle sombre et curieusement déserte. Les fenêtres sont closes, mais de la lumière filtre par des interstices et sous la porte d'entrée. Celle-ci est au pied de quatre marches qui descendent environ un mètre plus bas que le niveau de la ruelle. On entend les echos de rigolades et de chants avinés à l’intérieur. Le druide s'avance et pousse la porte.

Stupeur. A l'intérieur, deux douzaines de visages orcs se tournent vers Yjir, l'air farouchement hostile. Un grognement rageur jaillit de la gorge de l'orc derrière le bar.

"- Moi désolé, dit Yjir très vite. Moi partir."

Il claque la porte, et empoigne le bras d'un Erasmus étonné.

"- Nous vite partir. Taverne être remplie orcs. Eux pas l'air content."

Trop tard. Alors que les deux aventuriers s'éloignent d'un pas empressé, la porte s'ouvre à la volée, et cinq orcs en surgissent, fous de rage. Avec un hurlement, ils se lancent au pas de course pour rattraper Yjir et Erasmus.

"- Toi partir, crie Yjir. Moi rester et les faire fuir !"

Le druide se retourne et tombe à quatre pattes. Alors que les orcs sont pratiquement sur lui, son corps semble se gonfler, ses vêtements se perdre dans des poils bruns, son nez et sa bouche s'allonger et ses doigts se rétracter en griffes. C'est un ours noir grondant qui accueille les cinq poursuivants.

Trois d'entre eux reculent en effet, poussant des grognements effarés. Mais les deux autres, trop ivres pour sentir le danger, assaillent aussitôt l'animal avec leurs massues.

Dès le premier engagement, Yjir prend nettement le dessus. En deux coups de griffe, l'ours arrache la tête de l'un des deux attaquants. Le survivant, visiblement secoué, rate complètement son coup de gourdin.

Réalisant que le combat tourne en fait au carnage, et que son intention n'avait été que d'effrayer les orcs, le druide change soudain de stratégie. L'animal recule, semble prendre de l'élan et, alors que son adversaire se prépare à encaisser la charge… l'ours s'envole, soudain transformé en aigle majestueux ! Une troupe d'orcs, sortie de la taverne armés jusqu'aux dents pour prêter main forte aux cinq premiers, ne peut que contempler avec stupéfaction la métamorphose de la bête. Le rapace tourne deux fois au-dessus d'eux en criant, puis en quelques coups d'aile disparaît de la scène. Vainement, les orcs agitent vers le ciel leurs poings et leurs armes, avant de venir s'agenouiller autour de leur compagnon décapité.

Rapidement, l'aigle-Yjir retrouve Korg dans le ciel de Scorbeville, et le corbeau le conduit à son maître, qui l'attend sur les quais de Scorbeville. Le druide reprend aussitôt sa forme humaine.

"- Tu m'as l'air un peu pâlot, mon gars Yjir. Ou c'est la lumière de la lune ?
- Moi avoir massacré pauvre orc bagarreur. Moi me sentir coupable. Moi pas avoir maîtrisé force de ours.
- Bah, qu'est-ce que tu crois ? Qu'ils nous auraient gentiment sermonné, avant de retourner boire ? Ils nous auraient fracassé la tête, oui ! Et mangé Korg en friture.
- Toi sans doute raison, mais moi quand même penser que utiliser pouvoirs shamaniques pour régler bagarre de rue être mauvais. Pouvoirs de nature être pour autre chose : contribuer bien de la tribu, défendre tribu contre étrangers et civilisation…
- Bon, arrête de te biler comme ça. La prochaine fois, tu te transformes direct en aigle et tu t'envoles. C'est plus simple, plus rapide, moins dangereux, et ça évite les bains de sang, d'un côté ou de l'autre."

Yjir se renfrogne, croisant les bras et regardant la mer. Visiblement, il doit régler la question avec lui-même.

"- Allez, viens, il nous reste quand même l'enquête sur les nains disparus, qu'on n'a pas avancée d'un poil ! Tu bouderas quand on rentrera à l'Hostellerie. Je n'ai aucune envie de passer une nuit blanche dans ce charmant voisinage, alors qu'on paye cinq pièces d'or pour une chambre spacieuse et confortable à l'autre bout de la ville !"

Le druide se retourne.

"- D'accord. Bon, nous rechercher autre taverne et…
- Bof, interrompt le gnome. Après tout, pourquoi une taverne ? Tiens, posons des questions au type affalé dans le coin, là-bas."

D'un pas décidé, le magicien se dirige vers un ivrogne à moitié endormi, vautré contre un mur et un vieux tonneau.

"- Hola ! crie Erasmus. Debout là-dedans, on a des questions à te poser !"

Le clochard ouvre un œil jauni.

"- Hein ? dit-il d'une voix éraillée et grinçante.
- Oui, c'est à toi que je parle. Que sais-tu de la disparition de nains dans Scorbeville ?"

L'homme regarde un moment Erasmus, l'air hébété, puis part dans un éclat de rire caquetant.

"- Z'êtes encore plus soûls que moi, les gars ! C'est quoi cette histoire de…"

Mais sa phrase est interrompue par une gifle magistrale du gnome. L'ivrogne arrête aussitôt de rire, et regarde Erasmus d'un œil maintenant inquiet. Yjir hausse un sourcil, surpris par le geste d'agacement de son compagnon.

"- Bon, maintenant que t'as fini de te payer ma tête, tu vas peut-être me raconter des choses intéressantes. Alors, je reformule : t'aurais pas entendu parler d'ouvriers nains enlevés ? Ils sont venus dans Scorbeville il y a une dizaine de jours, et ils ont disparu. Je t'écoute. Vite."

L'homme a l'air de désespérément se creuser la tête pour trouver une réponse adéquate. Son regard fuyant semble scruter les environs à la recherche d'une voie pour s'enfuir.

"- Mais, euh… J'sais pas, moi… gémit-il. Me frappez pas…
- T'en veux une autre ? menace le magicien.
- Non, non, attendez… attendez… L'endroit l'plus habituel pour des ouvriers qui veulent s'distraire, c'est la Rue qui Rêve. Ouais, la Rue qui Rêve. J'peux vous y emmener tout de suite. Mais me frappez pas !
- D'accord, intervient Yjir, visiblement soucieux d'en finir avec cet interrogatoire malsain. Toi nous mener là-bas, et moi alors te donner pièce. Erasmus ?"

Le gnome hésite, puis ses épaules se décrispent, et il semble soudain se calmer, comme s'il avait expulsé une frustration.

"- Euh, oui, Yjir, tu as raison. Bon, toi, conduis-nous à la Rue qui Rêve, sans traîner."

D'une démarche peu assurée, le clochard les guide dans Scorbeville, progressant vers le nord. Lorsqu'ils arrivent à destination, Yjir lui remet une pièce d'or. Les yeux de l'homme s'écarquillent.

"- Oh, bin à c'prix-là, pouvez rev'nir tous les jours me coller des baffes, mon prince ! Sauf que j's'rai sans doute trop bourré d'main, avec une somme pareille !
- Ouais, allez, en fait pas trop, le coupe Erasmus. File."

La Rue qui Rêve est une version sale et pauvre du Quartier des Plaisirs de Razem. Seuls des marins revenus de six mois en mer pourraient être tentés par les femmes vieilles et flasques qui hantent les porches le long de la rue. Les vendeurs d’herbe à rêver ont l'air si lamentable qu'on n'ose essayer leurs produits de peur de venir à leur ressembler. Les échoppes n'ont pas d'enseigne, les bâtiments sont croulants, les portes de guingois, l'éclairage inexistant. Et toujours la même population de rebuts de la civilisation, peut-être même plus dense ici qu'ailleurs.

"- Essayons dans ce bordel, propose le gnome. Ca n'a pas l'air pire qu'ailleurs, ni mieux, c'est donc bon signe."

Le temps qu'Yjir débrouille la dernière phrase du magicien, celui-ci a poussé la porte et pénétré dans une pièce à l'ambiance malsaine. Alors qu'un couple misérable termine son affaire, au vu de tous, sur une paillasse dans un coin, deux autres prostituées nues et sales attendent le client en se partageant du vin qu'elles boivent à même la cruche. L'une d'elles se tourne vers le gnome.

"- Allez, viens mon coco, que j'te fasse du bien, dit-elle d'une voix monocorde et manquant totalement d'enthousiasme.
- C'est que, gente dame, je ne viens pas exactement pour cela, commence galamment Erasmus. Voyez-vous…
- Si tu viens pas pour ça, barre-toi. Nous, on bosse.
- Mais attendez, je suis en quête de renseignements et…
- On cause pas à la milice, et on bosse. Tu baises ou tu te barres.
- Je peux vous payer si seulement…
- T'es bouché ou t'es seulement débile ? On est pas là pour causer."

Découragé, le gnome part en claquant la porte. Korg et Yjir se retiennent de faire la moindre remarque, tant le magicien semble fulminer intérieurement.

"- Bon, essayons une fumerie, dit Erasmus après s'être calmé. Si on ne trouve rien, on rentre !"

Un peu plus loin, les deux compagnons entrent donc dans une bâtisse d'où s'échappe un parfum âcre et entêtant. Affalés sur des paillasses à même le sol de terre, des clients parcourus de spasmes étranges goûtent aux plaisirs douteux d'une herbe hallucinogène dispensée par des espèces de longues pipes. Le propriétaire, au visage ravagé par une maladie particulièrement immonde, s'approche.

"- Deux pièces de cuivre pour une dose, annonce-t-il laconiquement. A prendre ou à laisser.
- Je t'en donne quatre pour une dose, plus des réponses à quelques questions, répond Erasmus du tac au tac."

L'homme se renfrogne aussitôt (ce qui n'est pas très joli à voir).

"- J'cause pas à la milice.
- On n'est pas de la milice. Je suis un gnome, et regardez mon compère : avec ses tresses et ses tatouages, est-ce qu'il vous donne vraiment l'impression de bosser pour le Drac ?
- Ca veut rien dire…
- De toutes façons, on te demande pas de balancer qui que ce soit. Juste de nous dire ce que tu sais de la disparition d'un groupe de nains, dernièrement, à Scorbeville."

L'homme hausse les épaules.

"- Ca me dit rien du tout. J'ai eu des clients nains, c'est sûr, depuis que le chantier du phare a commencé. Mais aucun a disparu, enfin j'crois pas.
- Ils sont venus fumer, et ils sont repartis, point final ?
- Bin ouais."

Erasmus décide de jouer le tout pour le tout. Il y avait longtemps qu'il n'était pas tomber sur quelqu'un d'aussi coopératif.

"- Si je te dis que je pense qu'on les a enlevés pour en faire des esclaves, ça te dit quoi ?"

L'homme regarde Erasmus, l'air méfiant, puis hausse de nouveau les épaules.

"- Bof, ça me surprendrait pas plus que ça. Le trafic d'esclaves, ça se généralise, dans le coin, par les temps qui courent.
- Ah oui ? Et pourquoi ?
- Je t'apprendrais rien si je te disais que le Drac a besoin d'argent pour son phare. Et je t'apprendrais rien non plus si je te disais que de décider de fermer les yeux sur certains trafics, sa rapporte beaucoup…"

Erasmus acquiesce silencieusement.

"- Où être esclaves ? demande soudain Yjir avec son tact habituel."

L'homme lève la tête vers le druide au visage tatoué.

"- Est-ce que je sais, moi ? répond-il. J'ai cru comprendre que la plupart n'étaient ici qu'en transit, et qu'on les gardait donc à fond de cale dans les bateaux pour éviter de les débarquer. J'pense que la milice du port est pas censée inspecter certains bateaux, moyennant finances."

Il se retourne vers Erasmus.

"- Bon, vous voulez fumer, ou pas ? J'ai pas que ça à faire que la conversation !"

Le gnome se surprend à sourire.

"- Allez, pourquoi pas ! Qui ne tente rien…
- Erasmus, ça être mauvais. Ca brouiller esprit, empêcher harmonie corps avec nature…
- T'as qu'à m'attendre dehors. Tenez, Monsieur, voilà les quatre pièces promises."

Le propriétaire des lieux revient bientôt avec une longue pipe. Le magicien s'installe confortablement sur une paillasse. Dès les premières bouffées, il se sent particulièrement bien. Alors que ses yeux viennent juste de se fermer, Yjir le secoue soudain.

"- Toi avoir assez essayé comme ça. Nous rentrer !
- Mais… attend un peu, quoi… dit Erasmus d'une voix lente et pâteuse. On comment juste à rigoler ce soir, et toi…"

Sans ménagement, le druide l'attrape par le col, et le traîne pratiquement dehors. Le gnome se débat sans conviction.

"- T'es vraiment pas un mec cool, tu sais ? arrive-t-il à articuler avant de sombrer dans l'inconscience."

Silencieux comme un roc, bouche pincée, c'est en portant Erasmus sur son épaule qu'Yjir entreprend de rentrer à l'Hostellerie du Dernier Recours.
 
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