Episode Troisième : La Crypte des Protecteurs
Après une bonne journée de marche, nos héros arrivent enfin à Samella. Ils ne savent que peu de choses de cette ville qu’ils n’ont pas eu l’occasion de traverser en se rendant à Taërion, mais ils ont entendu dire par quelques voyageurs le long de la route qu’on l’appelait la Ville aux Cent Dieux en raison de son activité religieuse et de la représentation de nombreuses divinités en ses murs.
Targedaël est d’humeur morose. Il a, bien sûr, raconté à ses acolytes ses déboires nocturnes avec Lorana. Yjir et Erasmus n’ont pas trop réagi, mais Sküm, qui semble avoir développé une haine tenace pour l’assassin rencontré à Serdel, qui n’est autre que la même Lorana, ne manque pas une occasion de rappeler à l’elfe sa naïveté. Mais l’humeur de Targedaël semble plus profondément affectée que s’il avait été simplement abusé…
A l’entrée de Samella, nos acolytes s’acquittent d’une « dîme laïque » sensée servir à l’entretien des (rares) parties de la ville qui ne dépendent pas de tel ou tel culte. Après quelque pas, la portée de la religion dans cette ville les frappe de plain fouet : alors qu’on est à vingt mètres des remparts, nos amis ont déjà été accostés par trois bonimenteurs qui leur proposent des colifichets, des symboles ou des icônes religieux, et des chapelets de prière pour la plupart des dieux connus et quelques uns dont nos amis n’ont jamais entendu parler.
Alors qu’ils s’arrêtent quelques instants pour écouter la harangue d’un prêcheur, Sküm a l’impression qu’on tripote un peu sa ceinture. Soupçonnant l’œuvre d’un tire-bourse, il se retourne brusquement et attrape par la main un svelte halfelin qui tentait visiblement de fouiller ses poches. Il s’apprête à lui infliger une sévère correction quand, sous le masque de crasse et les cheveux hirsutes, il reconnaît un ami : « Garwin, tu as l’air en bien piteux état… » dit-il, un sourire aux lèvres.
- Sküm, c’est toi ? demande le halfelin, toujours pendu par le bras à cinquante centimètres du sol.
- Tu reconnais même pas tes anciens collègues avant de leur faire les poches ? s’exclame le demi-orc, souriant à pleins crocs.
- Te moque pas de moi, répond le halfelin, la mine piteuse… Depuis qu’on s’est quitté, j’ai pas réussi à retrouver un acolyte qui m’aide à faire fortune… J’en suis réduit à agir seul, mais je ne suis pas très doué pour ce qui est couper les bourses…
- Je vois ça ! dit Sküm avant d’éclater de rire…
- Euh… Je peux descendre ? demande enfin le halfelin.
Sküm repose Garwin à terre et, se tournant vers ses compagnons, le leur présente : « Garwin et moi avons travaillé ensemble il y a quelques mois. Ce n’est pas le plus brave des compagnons, mais il est plein de ressources insoupçonnées… Je vous propose qu’on l’embauche parmi nous. Ca te tente, Garwin ? On est en voyage pour Dwargon, dans le royaume des Nains.»
Le halfelin regarde tour à tour l’elfe renfrogné, l’homme tatoué, le gnome à l’air malin et de nouveau le colosse demi-orc, puis il se remémorant l’absence de contenu de sa bourse, les nuits passées dans la rue le ventre vide et les courses poursuites avec la milice de Samella. « Ben, si vous voulez bien de moi, je peux pas dire que j’aie mieux à faire… »
Les trois compagnons de Sküm se regardent. Targedaël hausse les épaules d’un air indifférent. Yjir fait un vague sourire, et c’est finalement Erasmus qui manifeste le plus de plaisir à l’idée de trouver un compagnon à sa hauteur : « Tu verras, dit le gnome au halfelin, entre petites gens, on se serrera les coudes ! »
Nos amis, intimidés sans doute par le zèle religieux des habitants de Samella, préfèrent ne pas s’y attarder et reprennent aussitôt la route. Après une journée et demi de marche, ils arrivent donc à leur étape suivante, Naïm, principale ville des Baronnies Naïmides et demeure du Prince Rubis auquel sont soumis les Barons des quatre autres provinces que baignent la rivière Naïmide.
La ville est construite sur et autour de la Naïmide qui, à ce stade de son cours, fait une bonne demi-lieue de large. Naïm est entourée d'une puissante enceinte qui filtre à la fois les personnes et les barges qui arrivent de l’amont ou de l’aval du fleuve. Après s’être acquitté d’une taxe de quelques barons d’argent pour entrer dans la ville, nos héros arrivent bien vite au bord du fleuve. Là, quelques barges et nombre de bateaux plus modestes sont à quai, tandis que sur l’immense ponton, un va et vient permanent de marchandises fait penser à l’activité d’une ruche au moment des floraisons. Yjir est stupéfait et se tient là, comme abasourdi, tandis qu’Œil de Nuit gémit doucement.
- Aaaaah ! s’exclame Erasmus. Ca fait plaisir de revenir à la civilisation, non ?
Comme pour lui répondre, le propriétaire d’une des barques s’approche de nos amis et les interpelle :
- Mes bons seigneurs cherchent sans doute passage pour l’Ile des Protecteurs ? demande-t’il d’une voix mielleuse…
- Et c’est ce que vous proposez, j’imagine ? répond Erasmus
- Absolument, Monseigneur ! Pour une modique somme, je loue mon embarcation de confort pour des gens de qualité tels que vous.
- Modique comment ?
- Seulement un baron d’or par personne !
- J’espère que pour ce prix là, ton embarcation est en bois de Santal et que l’intérieur est tendu de soie et de velours… Pas question ! Un baron d’or pour nous tous, et c’est encore bien cher payé !
- Allons, monseigneur, j’ai une femme et des enfants à faire vivre, ayez bon cœur…
- Ils n’ont aucune raison de vivre comme des princes à notre crochet. Tu connais mon prix, s’il ne te convient pas, tes nombreux collègues seront sans doute heureux de nous servir…
En grommelant, le bateleur accepte la proposition du gnome et indique à nos amis une barque miteuse accostée non loin. Les cinq héros se serrent sur les bancs latéraux tandis que le bateleur sort une longue perche et entreprend de les propulser de l’autre côté de ce bras de la Naïmide. Erasmus engage de nouveau la conversation avec le bateleur, essayant de glaner des renseignements sur Naïm :
- Combien d’îles comporte la ville, mon brave ? demande-t’il, légèrement condescendant.
- Quatre principales, si l’on compte l’île du Prince, mais les gens du commun comme vous et moi, sauf votre respect, n’y ont pas accès.
- Et comment s’appelle les deux autres îles ?
- Il y a l’île des Marchands, et l’île du Temple, sur laquelle se trouve le Temple d’Ehrûn. C’est le plus grand des Baronnies Naïmides !
- Tu ferais presque un bon guide touristique. Quelles sont les attractions dignes de ce nom à Naïm ?
- Si vous avez le temps, ne manquez pas de passer aux arènes ! Les combats y sont grandioses ! Tous les pires brigands et les hors la loi y sont confrontés à des monstres maintenus en captivité, c’est toujours un spectacle passionnant !
- Ouais, pas mal. Et tu sais où est le siège de la Guilde de Haute-Magie ?
- Euh… non messire, répond le bateleur en regardant Erasmus d’un air inquiet…
Pendant ce temps, Targedaël, toujours morose, a sorti de sa besace la dague que Lorana lui a laissée, plantée dans son oreiller. Il l’examine d’un air pensif, la faisant tourner entre ses mains. Soudain, Sküm pousse un hurlement tout en tentant de dégager sa hache qui est dans son dos :
- Salope ! Je vais te faire la peau, crie-t’il en regardant Targedaël.
Sküm tente de se lever, le bateau se renversant presque sous son poids. L’elfe relève la tête, interloqué, et Sküm a maintenant peint sur le visage un grand étonnement :
- A ta place, là, il y avait l’assassine ! Lorana, crache-t-il, la voix encore haineuse.
- Sküm, c’est Targedaël, pas Lorana, dit Garwin, essayant de calmer le demi-orc et ne comprenant pas bien ce qui a pu se passer…
- Tu perds la tête, mon ami, dit Targedaël à Sküm, se levant à son tour.
- Messires, si vous voulez bien vous rasseoir, cela nous évitera de tous finir au fond de la Naïmide… interrompt le bateleur d’une voix tremblante…
L’elfe et le demi-orc se rassoient donc, non sans se jeter des regards noirs… Un peu plus tard, nos amis accostent sur l’île de Protecteurs et Garwin part se renseigner auprès des passants pour savoir où ils peuvent trouver une auberge correcte. Il revient au bout de quelques minutes :
- On m’a recommandé un établissement tenu par un nain, dit le halfelin à ses amis. Je me suis dit qu’il pourrait peut-être nous en dire plus sur Dwargon, les traditions naines, et tout ça. Ca s’appelle l’Auberge du Nain Sauveur.
L’auberge du Nain Sauveur est un établissement d’apparence respectable sis dans un district visiblement industrieux de l’Ile des Protecteurs. La rue dans lequel elle se trouve regorge d’échoppes d’artisans, et l’activité y est constante. Nos amis sont accueillis par un nain affable répondant au nom d’Erman. Celui-ci, bien que commerçant, rechigne à laisser Œil-de-Nuit rentrer dans son établissement et demande à Yjir de le maintenir sous bonne garde dans la cour extérieure de l’auberge. N’ayant pas connu une auberge digne de ce nom depuis Taërion, nos amis prennent leurs chambres et se délassent quelques minutes, les uns par un bain bien chaud, les autres en allant boire une petite choppe dans la salle commune.
- Aubergiste, demande Targedaël en sirotant un verre d’hydromel, pourquoi ton auberge s’appelle le « Nain Sauveur » ?
- Eh bien, messire, vous n’êtes sans doute pas sans savoir que le peuple nain a sauvé les Baronnies Naïmides il y a fort longtemps, lorsque les armées de Glass menaçaient de prendre contrôle du territoire. L’amitié entre les nains et les hommes est restée forte dans toutes les baronnies de l’Ouest. Comme je viens moi-même de Llambeth, j’ai nommé mon auberge d’après ce glorieux événement de notre histoire commune.
- Je vois… soudain fatigué par cette conversation historique.
- Dites, reprend-il quelques instants plus tard, il n’y aurait pas un endroit un peu raffiné dans le quartier ou l’on pourrait manger ? J’en ai un peu assez de la pâtée pour chien qu’on nous sert dans toutes les auberges qu’on traverse…
- Si j’étais bon commerçant, je vous convaincrais que la chère du Nain Sauveur vaut celle de toutes les tavernes huppées de la ville, répond l’aubergiste, un peu vexé, mais je comprends que vous cherchez un raffinement que le Nain Sauveur n’offre pas. Notre clientèle est effectivement populaire, et c’est ainsi que nous l’apprécions. Je vous recommande la « Feuille de Chêne ». C’est une taverne que vous trouverez non loin des ruines de l’Ancienne Cathédrale. On y sert uniquement de la verdure, la cuisine y est sophistiquée, et un barde y conte des légendes et y chante des chansons.
- C’est exactement ce qu’il nous faut. Aubergiste, tu es trop bavard…
Un peu renfrogné, l’aubergiste s’en va s’occuper des bains de Garwin et de Sküm, tandis qu’Yjir joue dans la cour avec Œil-de-Nuit et qu’Erasmus feuillette un ouvrage en sirotant un vin chaud. Un peu plus tard, ils se retrouvent tous en bas, et Targedaël leur propose de se rendre à la « Feuille de Chêne » pour y manger et entendre un barde chanter. Les voilà partis à travers les rues étroites de Naïm en cette fin de journée printanière. Tous sont plus détendus que pendant le voyage et l’on sent qu’ils souhaitent s’accorder un peu de bon temps pour chasser la tension des dernières semaines.
La Feuille de Chêne est telle qu’Erman l’a décrite, et l’entrée de Sküm ne manque pas d’attirer l’attention dans un établissement de cette classe. Personne ne fait de remarque toutefois, et nos amis se voient servir une succession de plats sans aucune viande. La variété de légumes et de fruits agrémentés d’épices et d’herbes fines font le délice d’Erasmus, de Targedaël et de Garwin, alors qu’Yjir grimace à l’idée de cette cuisine sophistiquée, si peu en accord avec la nature. Sküm, quant à lui, apprécie le goût des mets mais n’arrive pas vraiment à satisfaire sa faim, ce qui n’est pas sans lui causer une certaine frustration.
A la fin du repas, le barde Ysèbe propose aux clients de lui suggérer des morceaux à interpréter. Après quelques chansons locales, Targedaël suggère qu’il interprète le « Lai de Merianna », célèbre histoire d’amour de la tradition elfique. L’interprétation est fort sympathique. Alors que les spectateurs applaudissent à la fin de la chanson, Sküm prend soudain la parole :
- Il n’y en a jamais que pour les elfes. Pourquoi tu ne chanterais pas un chant orc, hein ?
Tout le monde se regarde dans la salle. Une certaine tension est palpable dans l’air, mais le barde sourit de toutes ses dents et s’adresse au demi-orc :
- De quelle tradition est monsieur ? Dois-je piocher dans le répertoire Azkash-Nabrûk ou parmi les chants de voyages des nomades Erizkines ?
Sküm est évidemment pris de court, lui qui n’a pas été élevé dans la tradition orque…
- Euh, et bien, un chant guerrier des Azkash-Machins là, ce sera très bien…
Ysèbe, toujours souriant, un éclair de malice dans les yeux entonne avec entrain un chant guttural en langue orque. Il joue en même temps de son luth dont il a habilement désaccordé certaines cordes, ce qui lui permet de s’accompagner d’une rythmique dissonante tout à fait appropriée au chant.
A la fin du morceau, le public est fasciné. « Le morceau que je viens de vous interpréter s’intitule Rhazkashû Eamagreyth en langue orque, c’est à dire la « Légende des 49 Insoumis ». Elle raconte la libération d’un groupe d’esclaves sous le joug d’un général de l’Empire de Landis. C’est une chanson encore aujourd’hui très populaire à l’ouest de Terkân, une apologie de la liberté face à l’oppression ».
Bref, nos amis restent encore un bon moment à écouter ce barde versatile qui a sur séduire jusqu’au rude Sküm et finalement, un peu éméchés, ils décident de rentrer à l’auberge. Alors qu’ils longent un immense terrain vague d’où émergent des hauts pans de murs en ruine, nos amis entendent un hurlement de terreur provenant d'une rue adjacente. Ils accourent, pour découvrir un corps inerte face contre les pavés. Sküm est arrivé un peu avant les autres et a le sentiment d'avoir aperçu une ombre s'évanouir dans le sol.
- Par là-bas, j’ai vu une silhouette, mais il n’y a plus rien maintenant, juste une bouche d’égouts…
Yjir examine le corps.
- Ca étrange, dit le druide après quelques instants. Corps mort mais aucune blessure apparente. En plus, lui être couvert de larves telles que moi jamais avoir vues…
C'est à ce moment là que cinq hommes de la Garde de Naïm font irruption sur les lieux.
- Halte ! Arrêtez-là !
Le sergent de la patrouille s’approche de nos amis et, voyant le corps au sol et Yjir penché dessus, prend un air connaisseur…
- Je vois, on assomme, on brigande ! dit-il à la cantonade. Arrêtez-moi ces bonnes gens, je sens qu’il y en a qui vont finir à Dzang ou aux Arènes !
Les gardes se rapprochent, mais Targedaël tente de raisonner le gradé obtus :
- Attendez deux secondes ! Nous venons de trouver ce cadavre ici ! Nous avons entendu un cri et nous sommes intervenus, au contraire, pour essayer d’aider quiconque se faisait agresser !
- Ah oui ? Il est mort dites-vous ? Eh bien, vous n’avez pas peur d’aggraver votre cas !
- Mais enfin, vous êtes aveugle ou quoi ? Regardez le cadavre, il est couvert de larves verdâtres, il en a plein la bouche. Vous croyez que ça vient de nous ?
- Non mais, vous n’allez pas m’apprendre mon métier ! rétorque le sergent, agressif.
Il examine néanmoins le corps et ne peut réprimer une grimace de dégoût. Il se relève, hésite un instant, et se rabat sur sa position préalable :
- Oui, enfin bon, il est mort, je trouve sur les lieux du crime une bande menée par un demi-orc, il n’y a pas besoin d’être un sage de Landis pour faire le lien, hein ? Allez, suivez moi au poste !
- Messire sergent, si je puis me permettre, interrompt Erasmus d’un ton conciliant. Notre ami Sküm a vu une silhouette s’évanouir dans les égouts. C’est sans doute là l’auteur des méfaits… Si vous y envoyez quelques uns de vos hommes, vous pourrez sans doute mettre la main rapidement sur le coupable…
- Hum… Les égouts… C’est à dire que… Nos hommes ne sont pas formés pour aller traîner dans les égouts…
Il s’approche de la plaque d’égout et là, il remarque à la lueur de sa torche de nombreuses larves verdâtres similaires à celles qui grouillent encore sur le corps.
- Ecoutez, j’ai une idée dit-il soudain, magnanime. Si vous pénétrez dans les égouts et que vous me ressortez le coupable, vous serez innocenté. Quant à moi, j’aurais élucidé un mystère de plus. Mais ne vous avisez pas d’essayer de filer à la Razemienne ! Le quartier va être bouclé !
Nos amis se regardent un instant, mais ils n’ont clairement pas beaucoup le choix…
- Bon, allons-y tant que la piste est fraîche résume Erasmus, alors que Sküm se sert de sa hache pour desceller la plaque d’égout.
Essayant tant bien que mal de ne pas sentir l’odeur épouvantable qui émane de l’égout, le demi-orc descend le premier. Quelques échelons de métal rouillé plus bas, il pose les pieds sur un sol de pierre recouvert de vase. Les yeux acérés que son sang orc lui a légués lui permettent de voir, malgré le peu d’illumination, des traces fraîches qui s’éloignent.
- C’est par ici. Prévoyez-vous de la lumière, il fait noir comme dans le trou du cul d’un elfe, ici… Et attention aux glissades !
Les quatre compagnons rejoignent donc le demi-orc dans les égouts sous le regard sévère de la garde de Naïm. Essayant sans grand succès d’avancer avec le minimum de bruit, nos amis suivent donc les traces laissées par l’assassin. Tout à coup, Yjir fait signe à tous de s’arrêter.
- Vous avoir entendu ?
- Non, entendu quoi, répond Targedaël, intrigué…
- Ca bruit humide, comme eau qui coule, puis bruit sec, comme porte qui claque…
- Ouais, ben en attendant, on est pas vraiment plus secs, nous, reprend Erasmus. Avançons !
Après quelques minutes de marche prudente, ils arrivent dans une pièce ouverte. Le couloir qu'ils suivent devient une passerelle qui surplombe un bassin d'évacuation d'eaux fangeuses profond d'un peu plus d'un mètre. Une corniche étroite fait le tour du bassin à la hauteur de la passerelle, ce qui permet d'en faire prudemment le tour sans se mouiller les pieds. Targedaël entreprend donc d’explorer les murs du côté gauche du couloir, tandis que Garwin fait de même de l'autre côté.
Targedaël avance donc à petit pas le long de la corniche, lorsqu’il aperçoit, sur le mur parallèle au couloir par lequel ils sont arrivés, un blason à moitié couvert de mousse, gravé dans la pierre d'un des murs. L’elfe le frotte de sa manche, pour en apercevoir le motif. Il représente un bras armé d'une épée émergeant de l'eau alors qu'un croissant de lune illumine la scène. L’elfe s’arrête et commence à tâtonner sur le mur autour du blason.
- Les gars, je sens qu’il y a un passage ici. Regardez : il y a un blason, et le mur sonne cr… Mais, qu’est-ce que… ?
L’elfe a senti soudain quelque chose de visqueux s'infiltrer dans ses chausses, une légère brûlure, et puis brutalement, il perd le contrôle de ses muscles et s'écroule dans la bassin. Ses compagnons sont stupéfaits et regardent, abasourdis, le bouillonnement d'eau autour de là où le corps de Targedaël a chu.
Sküm reprend le premier ses esprits et saute dans le bassin, hache levée. Seulement, il n'est pas facile de savoir où frapper. L’eau est trouble, et les bouillonnements n’indiquent qu’une localisation générale. Qui plus est, le demi-orc a peur de blesser Targedaël autant que son adversaire… Erasmus, quant à lui, tente de s'approcher par la corniche d’où l’elfe est tombé tandis qu'Yjir plonge à son tour, bâton d'une main et Pierre de Lumière de l'autre. Garwin, enfin, cherche à revenir par la corniche de l'autre bout de la pièce où il se trouve.
Yjir, ne pouvant pas combattre efficacement avec son bâton d'une main et la pierre dans l'autre jette la pierre à Erasmus pour que celui-ci puisse éclairer la scène. Malheureusement, le gnome, peu agile, laisse échapper la pierre qui tombe au fond du bassin, plongeant la pièce dans l’obscurité. « Et merde ! » s’exclame-t’il violemment.
Heureusement, Sküm n’est pas incommodé par la soudaine obscurité. Il aperçoit vaguement des tentacules, et une créature annelée s'avancer vers lui. Il lève sa hache pour un coup magistral, mais avant même qu’il ne puisse l’abaisser, plusieurs tentacules visqueux s'entourent autour de ses membres, et il ressent une étrange brûlure avant de perdre à son tour contrôle de ses muscles et de sombrer dans la fange.
Prestement, Erasmus prononce quelques mots dans le langage de la magie, et la petite pièce est de nouveau baignée de lumière. Yjir se dirige à son tour vers l’endroit où Targedaël a sombré, et, plongeant les mains dans l’eau, il trouve le corps inerte de l’elfe. Le hissant sur ses épaules, il fait quelques pas et le jette sur la passerelle sur laquelle sont maintenant Garwin et Erasmus. Ce dernier, d’ailleurs, ne se laisse pas troubler et, pointant de son doigt en direction d’un tentacule émergent, il projette une flèche d'énergie magique vers la créature qu'il aperçoit vaguement sous l'eau. Garwin, quant à lui, hisse tant bien que mal le corps de Targedaël. « Heureusement que les elfes sont sveltes » se dit-il lorsque, à bout de souffle, il parvient enfin à le poser sur la passerelle…
Yjir tourne maintenant son attention vers la créature monstrueuse. Le corps du demi-orc n’est que partiellement immergé, et le druide aperçoit un bec qui émerge de l’eau de temps à autre pour picorer un morceau de chair de sa victime. Armé de son bâton, Yjir frappe un premier coup, ce qui lui vaut de devenir le centre de l’attention du monstre aquatique. Les tentacules de celui-ci viennent l’enserrer, et il sent un venin tétanisant s’infiltrer dans ses veines. Bandant les muscles, il parvient à résister à la paralysie et frappe de nouveau la créature de deux coups magistraux de son bâton. Dans une gerbe de sang verdâtre, la créature sombre au fond du bassin.
Yjir sort la tête de Sküm de l’eau et, le traînant tant bien que mal, il le ramène à son tour au niveau de la passerelle. Erasmus et Garwin ont bien du mal à le hisser, bien que le druide pousse par dessous de toutes ses forces. Finalement, ils parviennent à l’allonger non loin de Targedaël, et Yjir les examine.
- Eux respirer normalement, dit le druide. Eux pas sous l’eau assez longtemps pour avaler beaucoup. Nous les frictionner pour aider paralysie à s’en aller.
Et nos trois amis de frictionner les deux combattants nominaux du groupe, qui ont fait bien piètre figure dans cette altercation là… Au bout de quelques minutes, la sensation est revenue dans les membres de Targedaël et de Sküm, et tous deux peuvent de nouveau marcher. Pendant qu’ils font quelques flexions pour chasser tout à fait la toxine paralysante, Erasmus et Yjir retournent vers l’endroit où Targedaël a trouvé le blason.
- Erasmus, toi savoir quoi dessin vouloir dire ? demande le druide.
- Yjir, combien de fois faudra-t’il que je te le répète, c’est un blason. Hum… Espee ascendante… Croissant de lune… Non, ça ne me dit rien. En tous cas, je suis à peu près sûr que ce ne sont pas des armes encore utilisées dans les Baronnies aujourd’hui, termine le gnome, pensif.
- Epée être utilisée dans Baronnie. Nous voir nombreux combattants avec épées ! le contredit le druide.
Erasmus lève les yeux au ciel.
- On devrait lui payer quelques cours d’Impérial, ça nous ferait des vacances… lance le gnome à la cantonade. Au lieu de dire des âneries, essaie plutôt d’appuyer sur les différentes parties du blason, pour voir si ça fait quelque chose.
Yjir presse d’abord l’épée, sans effet, mais lorsqu’il appuie sur le croissant de lune, un puissant déclic se fait entendre, et les deux compagnons constatent que le pan de mur devant eux semble prêt à pivoter. Le druide le pousse, et effectivement, telle une lourde porte en pierre, il s’ouvre sur un passage obscur.
- C’est par ici les gars, appelle le gnome.
Targedaël revient prendre la tête de l’expédition, suivi de Sküm. Ce sont le gnome et le halfelin qui ferment la marche. Alors qu’ils entrent à leur tour dans le couloir, Erasmus fait une dernière remarque :
- En tous cas, j’espère qu’on va pas rencontrer une bête qui se repère à l’odorat, sans quoi, autant se peindre en jaune et se mettre une plume dans le cul…
Le couloir qui suit est rectiligne et Targedaël n’en aperçoit pas l’issue. Tout occupé qu’il est à regarder au loin, il ne fait pas attention au léger cliquetis qui ponctue l’un de ses pas. Soudain, le sol se dérobe sous ses pieds. Il tombe dans la trappe qui vient de s’ouvrir et chute lourdement, et douloureusement.
- Toi aller ? demande Yjir.
- Ca pourrait aller mieux. Je crois que je me suis foulé quelque chose… Envoyez-moi une corde !
Nos amis se regardent.
- Qui avoir corde ? demande le druide.
- La mienne est à l’auberge, répond Sküm, légèrement amusé par la situation.
- Mais quelle bande de branques, s’exclame Erasmus…
Finalement, Sküm s’allonge au bord de la trappe et retient par les pieds Yjir qui lui même tend les mains à Targedaël. Celui-ci grimpe le long du dos druidique pour ressortir. Il est effectivement couvert de contusions, mais la blessure essentielle semble être celle qui affecte son honneur… Targedaël reprend donc la tête de la marche, épée en main, frappant chaque dalle pour déceler un éventuel indice permettant d’identifier le prochain piège.
- Euh, les amis, dit soudain Garwin d’un petite voix gênée, j’ai oublié de vous dire que… je m’y connaissais un peu en mécanismes, si vous voyez ce que je veux dire… Je ne sais pas si ce talent peut vous être utile…
- Tu veux dire que tu sais déceler les trappes ? rugit soudain Targedaël.
- Euh… C’est possible… Enfin, je veux dire, oui, enfin, théoriquement… Attention, c’est jamais garanti ces choses là…
- Viens devant tout de suite ! reprend l’elfe. J’ai pas envie de me refaire une descente de 6 mètres la tête la première !
- Euh… moi ? En tête ? Mais s’il y avait du danger ? demande le halfelin d’un air effrayé…
- Ici, et que ça saute ! insiste l’elfe en faisant sa plus grosse voix.
Le groupe reprend donc sa lente avancée avec Garwin en tête, tandis que Sküm ne peut s’empêcher de sourire du ridicule de Targedaël… Le couloir débouche finalement sur une pièce qui ne comporte rien d'autre que des débris de bois pourris de longue date qui semblent provenir de vestiges de tonneaux.
- A mon avis, autrefois, le passage devait déboucher à l’intérieur d’un tonneau creux, dit Garwin d’un air connaisseur.
- Tu m’en diras tant, rétorque Targedaël…
L’elfe et le halfelin franchissent prudemment l’ancien passage secret. Pourtant, cette petite pièce ne comporte rien. Une issue donne sur une salle plus grande qui a du autrefois contenir des coffres, malles, et autres étagères. Aujourd'hui, il n'en reste pas grand chose. Cette nouvelle pièce comporte deux autres issues en plus de celle par laquelle arrivent nos aventuriers : un escalier qui monte mais est complètement bouché par des éboulis qui paraissent quelque peu instables, et un couloir. Des blasons identiques à celui trouvé dans la pièce au bassin sont inscrits au dessus de ces deux issues.
Après une courte discussion, nos héros décident d’emprunter le couloir. Au bout de quelques mètres, celui-ci débouche sur une intersection. A quelques pas sur la droite, le couloir s’ouvre sur ce qui semble être une ancienne bibliothèque. Les murs sont couverts d'étagères en pierre et des vestiges de livres et de parchemins illisibles jonchent le sol. Le temps n’est visiblement pas le seul responsable de cette dévastation. Une courte exploration des débris permet à Erasmus de trouver une lourde boîte en métal qui ne semble pas avoir été ouverte mais qui porte des traces de griffures et de morsures.
- Garwin, tu pourrais vérifier que ce coffret n’est pas piégé, s’il te plait ? demande le gnome.
Le halfelin sort de sa besace quelques outils, et examine la serrure rouillée du coffret.
- Ca n’a pas l’air trafiqué, juste fermé à clé et sans doute un peu grippé… Tu veux que je l’ouvre ?
- Non, je veux le garder fermé pour m’en servir d’escabeau, rétorque le gnome avec son ironie habituelle...
Après quelques trifouillages, Garwin se tourne vers le gnome et, sans avoir ouvert le couvercle, dit : « A vous l’honneur, messire… ». Un peu hésitant, Erasmus ouvre le couvercle. A l'intérieur du coffret se trouvent deux livres, l'un qui semble bien conservé et l'autre très abîmé. Le livre bien conservé intéresse au plus haut point Erasmus qui déclare que lui seul est habilité à le lire, car il est en langage magique. Par contre, l'autre semble être une sorte de journal d'un Ordre de Chevalerie, l'ordre des Chevaliers Protecteurs. Seuls quelques extraits sont encore lisibles, et Erasmus les lit à haute voix pour que tous en profitent.
La lecture de ces extraits, bien que soulevant de nouvelles questions, semble identifier le Tombeau de Varnôn que nos héros ont visité à leurs débuts comme l'entrée possible d'un laboratoire de magie planaire. Qui plus est, ils comprennent que l'Ordre des Chevaliers Protecteurs, bien qu'ayant de toute évidence eu un rôle important dans la sauvegarde des Baronnies Naïmides a été éliminé sous un prétexte qui n'est pas clair, peut-être pour des raisons politiques…
Nos amis discutent pendant quelques instants des implications de cette découverte, mais assez rapidement, Targedaël ; pragmatique, les rappelle à l’ordre :
- Les gars, je veux pas dire, mais on est en train de poursuivre un meurtrier dans des couloirs humides, il fait froid, et je suis contusionné de partout, alors si on pouvait remettre les palabres à plus tard, ça m’arrangerait bien…
Nos amis ressortent donc de l’ancienne bibliothèque, mais ils sont maintenant sur leurs gardes, armes au poing, ne sachant pas ce qui a pu causer le vandalisme et les traces de griffes et de dents qu’ils y ont vu. Ils s’engagent dans l'autre extrémité du couloir qui débouche finalement sur une crypte. La longue pièce est la demeure éternelle de huit tombeaux surmontés de gisants représentants des chevaliers en armure. Les blasons de ces chevaliers, bien que tous différents, reprennent des éléments du blason déjà aperçu : épée sortant de l'eau, rivière ou croissant de lune.
Après un examen rapide de la pièce, l’elfe annonce qu’il soupçonne la présence d’un passage sur le mur du fond.
- Comment tu fais ça ? demande Garwin à Targedaël, aussi curieux que frustré.
- Comment je fais quoi ? demande l’elfe sèchement.
- Ben, savoir qu’il y a un passage là… Tu vois à travers les murs ?
- Evidemment que non. Je le sais, c’est tout. Je sens quelque chose de… différent quand je me tiens ici. C’est un instinct, quoi…
- Bien pratique, répond le halfelin, pensif…
Tous se mettent donc à la recherche d’un mécanisme permettant d’ouvrir le passage identifié par l’elfe, et c’est finalement le halfelin qui le trouve, sur la façade de l’un des tombeaux : « Là, ce croissant de lune, je crois qu’il pivote. Je l’actionne ? » demande-t’il à ses compagnons. Après approbation, Garwin fait pivoter le croissant de lune et un pan du mur du fond se dérobe en effet. Il mène à une pièce plus petite où trône un autel. Celui-ci est décoré de nombreuses lunes ornementées, mais n’a pas d’autre signes distinctifs. Une recherche approfondie permet à Yjir d’y découvrir une petite cavité qui abrite un levier. Ne sachant pas à quoi il sert, Yjir l'abaisse prudemment. Rien ne se passe, et nos amis décident donc de continuer leur route par le couloir qui s’ouvre à partir de cette petite pièce.
Nos amis parcourent quelques mètres dans ce nouveau couloir. L’air y est humide et une désagréable odeur de terreau moisi flotte dans l’air. Garwin et Erasmus forment l’arrière-garde du groupe et discutent à voix basse :
- Je n’aime pas ça, dit Garwin
- Mouais… Ca sent pas bon, à tous les sens du terme…
- C’était quoi le terrain vague au-dessus de nous ? J’espère que c’était pas un cimetière…
Tous deux se regardent, et Garwin, n’osant pas mener jusqu’au bout son raisonnement, frissonne d’inquiétude… Quelques mètres plus loin, il lui semble entendre un bruit, plus bas dans le couloir.
- Chut ! Arrêtez-vous, dit-il à ses compagnons.
A quelques mètres d’eux, la lueur du galet enchanté qu’Yjir brandit au dessus de sa tête dessine tout juste un embranchement en croix à quelques mètres plus loin.
- Qu’est-ce que tu as entendu ? demande Erasmus au halfelin.
- Je ne suis pas sûr… Un frottement de pieds ? Un grattement ?
Targedaël et Sküm, qui forment la tête du groupe assurent leur prise sur leurs armes respectives et, maintenant mis en garde, ils reprennent lentement leur avance. Alors qu’ils arrivent au niveau du croisement, deux créatures horribles et décharnées se jettent sur eux ! Garwin pousse un hurlement et, sortant sa courte épée, il recule héroïquement de quelques mètres… Sküm n’attend pas que les être immondes ne le frappent, il abat sa hache sur l’un d’eux et le tranche en deux ! Mais deux autres des créatures émergent derrière les premières, et l’une d’entre elles parvient à lui griffer la cuisse. Il sent une torpeur envahir ses muscles et, pour la deuxième fois dans la même journée, il perd le contrôle de ses muscles et s’effondre.
Targedaël, pendant ce temps, élimine prestement une autre des créatures, mais se retrouve seul face aux deux autres. Deux coups de pattes griffues plus tard, il a sombré dans l’inconscience sous l’accumulation des blessures mineures qu’il a subies depuis qu’ils sont rentrés dans les souterrains. C’est donc de nouveau à Yjir qu’il revient de sauver la mise à nos amis puisque Garwin est trop loin (et trop peureux) pour intervenir et qu’Erasmus, ne disposant de sortilèges appropriés, se démène pour enclencher un carreau dans son arbalète. Avec un peu de chance et un peu de talent, le druide parvient à éviter les coups des deux êtres décharnés et à leur en asséner quelques uns. Un carreau bien placé par Erasmus finit d’achever une des créatures tandis que l’autre a le crâne fracassé par le lourd bâton du druide.
- Heureusement que nous avoir fier guerriers dans groupe, dit Yjir non sans une certain ironie.
- Occupe-toi de Targedaël au lieu de philosopher ! rétorque Erasmus, qui a déjà pour sa part commencé à frictionner Sküm, dont il peut lire l’intense frustration dans le regard…
Quelques minutes et grâce à l’intervention bienveillante des forces de la nature par l’intermédiaire d’Yjir, l’elfe et le demi-orc sont sur pied. Targedaël se sent encore faible, mais Sküm, quant à lui, fulmine :
- Ca commence à bien faire, les saloperies qui me paralysent ! Le prochain truc qu’on rencontre, je vous jure que je vais me le faire !
Même Erasmus, qui n’a pourtant pas sa langue dans sa poche, préfère ne pas répondre… Il n’a jamais vu le demi-orc aussi en colère ! Garwin, pendant ce temps, a examiné les cadavres purulents des créatures, en faisant bien attention de ne pas les toucher.
- Les gars, je crois que j’étais pas loin avec mon idée de cimetière : à mon avis, ces bébêtes sont des goules. Elles hantent fréquemment les endroits où les cadavres sont enterrées, car elles sont nécrophages… Enfin, à ce qu’on raconte, hein…
- Quant à moi, renchérit Erasmus, je pense qu’il s’agit des mêmes créatures qui pressaient leur visages simiesques contre le mur invisible dans le Tombeau de Varnôn…
Effectivement, la ressemblance est frappante.
- Au moins, on saura qu’il faut se méfier si l’on y retourne un jour… dit Targedaël.
Nos amis, pressés par le temps, décident de laisser pour l’instant inexplorés les deux couloirs latéraux par lesquels les goules sont arrivées, et ils continuent tout droit. Après quelques mètres, le couloir s’ouvre sur une petite pièce ronde au centre de laquelle trône une state. Elle représente une femme vêtue d’une toge incrustée d’épis de blé. Autour du cou de la statue est sculpté un médaillon en forme de croissant de lune et sur son épaule se tient un petit écureuil.
- C’est une représentation de la déesse Zendâ, annonce Erasmus, prenant sa voix de docte professeur. Le blé de la robe symbolise la fertilité, et l’écureuil est l’animal qui lui est associé car il sait toujours tirer le meilleur parti des récoltes et en met de côté pour passer l’hiver. Quand au croissant de lune, je ne vous fais pas un dessin…
- Moi penser nous être dans ancienne crypte secrète d’Ordre des Chevaliers Protecteurs. Eux vénérer déesse Zendâ, non ? hasarde Yjir.
- Ouais, ben ça nous explique pas le cadavre là-haut et les larves qui traînent partout, alors finissons le boulot pour lequel on a été mandaté, on pourra reparler d’ordres de chevalerie disparus depuis 500 ans plus tard ! les reprend Targedaël, qui décidément souhaiterait retrouver son lit d’auberge au plus vite…
Le couloir continue derrière la petite pièce ronde, après quelques mètres supplémentaires de couloir, nos héros aboutissent à une porte délabrée et entrouverte. Targedaël la pousse du bout de son épée. Dans un grincement épouvantable, elle s’ouvre pour laisser entrevoir une pièce rectangulaire et obscure au centre de laquelle trône, posé sur des tréteaux de pierre, un cercueil ouvragé. Contrairement à tous les vestiges d’objets aperçus lors de l’exploration de la crypte, le bois de ce cercueil a l’air superbement conservé. Des larves vert sombre jonchent le sol autour du cercueil. La pièce ne semble pas avoir d’autre issue.
Prudemment, armes aux poings, nos héros s’approchent du cercueil et l’entourent. Celui-ci est perché trop haut pour qu’ils ne puissent voir son contenu. Rien ne bouge dans la pièce et le silence est pesant. Finalement, avec une prudence infinie, Yjir se hisse sur la pointe des pieds et regarde à l’intérieur du cercueil. Brutalement, deux mains décharnées lui attrapent le visage et presse la bouche du druide contre la sienne, répugnante. La créature vomit alors un torrent de larves verdâtres dans le gosier du druide qui, se débattant, fait tomber du cercueil la créature avec lui. Sküm lève sa hache, mais il ne voit pas comment frapper sans risquer de toucher son ami.
Yjir continue à se débattre, mais la créature le fait rouler sous le cercueil, où les autres ont du mal à l’atteindre avec leurs armes. L’être continue à forcer à l’intérieur d’Yjir ses larves immondes. Le druide suffoque et continue de se débattre, sentant confusément que s’il perd connaissance, s’il se laisse aller, c’en sera fini de lui et, peut-être, lui aussi deviendra comme l’être immonde contre lequel il se bat. C’est finalement Garwin qui, prenant son courage à deux mains est assez petit pour se faufiler sous le cercueil et, d’un coup magistral de son épée courte, il parvient à décapiter l’ignoble corps larvesque.
Yjir continue à se débattre spasmodiquement tandis que Sküm l’attrape et le sort de sous le cercueil.
- Il faut lui faire vomir les larves, vite ! crie Targedaël. Sküm, ceinture le par derrière et appuie du plus fort que tu peux sur son estomac !
Le demi-orc attrape en effet le druide comme le lui indique Targedaël et, d’une pression sur son abdomen déclenche un mécanisme de régurgitation. Yjir vomit violemment et des larves verdâtres sont projetées aux quatre coins de la pièce. Erasmus et Garwin entreprennent d’écraser de leurs bottes toutes celles qu’ils aperçoivent. L’odeur devient vite insoutenable et, une fois qu’Yjir semble avoir repris sa respiration, nos amis décident de quitter la pièce.
A l’extérieur de la pièce, Sküm, qui soutient Yjir, interpelle les autres :
- Les gars, j’ai bien peut que si nous voulions nous disculper il nous faille ramener le cadavre de la chose...
Les quatre aventuriers se regardent (Yjir n’est pas en état de commenter) n’osant pas répondre à la question silencieuse de qui va porter cette immonde cadavre…
- Et si on explorait les deux couloirs qu’on a passé à l’aller avant de se décider ? suggère Erasmus.
Ainsi, nos amis retournent un peu plus haut dans le couloir. L’embranchement de droite, par lequel les premières goules avaient surgies, mène à une pièce à moitié effondrée dont le sol est recouvert d’un terreau malodorant. Au fond de la pièce, un trou dans le mur débouche sur une galerie de terre qui semble remonter vers la surface. Garwin, fort de son « expérience » des goules suggère que la galerie mène sans doute à l’ancien cimetière probablement situé au-dessus.
Nos amis renoncent à s’engager dans cette galerie et rebroussent chemin pour aller explorer l’autre portion du couloir. Là, ils découvrent dans une pièce qui servait visiblement de remise, plusieurs cadavres. Certains semblent, aux insignes que l’on aperçoit encore sur leurs cottes de maille, avoir été des Chevaliers Protecteurs. Les autres, sans doute adverses, portent le blason du Rubis surplombant les remparts, les identifiants dont comme des représentants de la Garde Rubis.
- Ca veut dire quoi, à votre avis ? demande Targedaël qui, maintenant que le danger semble écarter et que le retour se précise, daigne s’intéresser aux mystères de la crypte.
- Sans doute que lorsque les Chevaliers Protecteurs ont été mis hors la loi, ils ont été pourchassés. Au-dessus de nous, si je ne m’abuse, il y a les vestiges d’une cathédrale. Je ne serais pas surpris qu’elle ait été autrefois vouée au culte de Zendâ… C’est sans doute là que l’escalier qu’on a vu plus tôt devait mener. La garde pourpre a du investir la Cathédrale et descendre ici pour arrêter les Chevaliers, Ils ont trouvé le passage secret derrière les tombeaux, ils se sont battus, et d’une manière ou d’une autre, l’escalier s’est effondré. Ca expliquerait que les cadavres des Gardes Rubis soient encore là aujourd’hui…
Finalement, ayant exploré toutes les allées d’investigation, nos amis se décident à retourner à la surface. C’est finalement Targedaël qui porte dans un sac les restes de la créature habitée de larves. Il ne peut s’empêcher, à plusieurs reprises, de regarder le sac pour vérifier que celui-ci ne bouge pas de son propre vouloir, mais lorsque nos amis émergent finalement, quelques heures après être entrés dans les égouts, il semble bien que la créature n’aie pas retrouvé la vie. L’air comparativement frais de l’extérieur ravive quelque peu Yjir qui peut de nouveau marcher sans l’aide de Sküm.
Quelques instants après avoir refermé la plaque d’égout, un garde de Naïm s’approche des personnages. Le sergent qui a forcé la main à nos héros pour qu’ils poursuivent le meurtrier dans les sous-sol de l’Ile des Protecteurs ne semble pas présent.
- Messires, interpelle le garde, le Capitaine de la Garde du district des Protecteurs souhaiterait vous rencontrer… Si vous voulez bien me suivre…
Un peu abasourdis et très fourbus, nos amis suivent néanmoins le garde, qui les mène au poste central de l’Ile des Protecteurs. Là, un homme d’une cinquantaine d’années, les cheveux grisonnants mais le regard clair et décidé les invite dans son bureau.
- Je me présente : Estrin Almerrio, capitaine du district. Il y a quelques heures, le sergent Mehari a fini sa tournée et m’a fait son rapport. Il m’a expliqué le plus naturellement du monde qu’ils vous avait forcé à pénétrer dans les égouts pour rattraper un meurtrier qu’il aurait du poursuivre lui-même. Je tenais à vous faire mes excuses pour cet abus d’autorité et vous informer que le sergent avait été mis aux arrêts.
- Vos excuses sont acceptées. Voici le meurtrier, dit Targedaël sèchement en lâchant le sac au contenu macabre qu’il transporte depuis le fond de la crypte. Cette créature semble habitée de larves. Notre ami Yjir ici présent a été attaqué par elle et il a failli succomber. Il pense que, d’une manière ou d’une autre, la créature semblait vouloir se « reproduire ».
Le capitaine ne peut réprimer un grimace de dégoût.
- Plusieurs corps ont été retrouvés morts ces derniers jours aux alentours de la cathédrale. Nous examinerons ces restes, et j’espère bien qu’il s’agit là du meurtrier. Encore une fois, je vous remercie, et je vous prie de me pardonner pour cet incident. Il se termine bien, mais j’imagine que votre exploration des égouts n’a pas été de tous repos. Il est vrai que nos hommes sont de moins en moins enclins à les explorer : les créatures qui vivent dans ces eaux fangeuses sont de redoutables prédateurs…
- Ca n’a pas été évident effectivement. Maintenant que vous avez votre coupable, nous souhaiterions pouvoir prendre congé et terminer notre nuit plus calmement que nous ne l’avons commencée, si vous n’y voyez pas d’inconvénient, lui répond Targedaël.
- Bien sûr ! Avant de vous laisser partir, une dernière question : il arrive que nous faisions appel à des ressources extérieures à la Garde pour certaines enquêtes lorsque nous ne disposons pas d’assez de main d’œuvre. Ces prestations sont rémunérées, bien sûr, et vous semblez avoir fait preuve des qualités que nous cherchons parfois pour ce type de missions. Seriez-vous prêt à me laisser vos noms pour que nous puissions faire appel à vous si jamais vous êtes à Naïm et que nous cherchons des gens compétents ?
Nos amis se regardent.
- En ce qui me concerne, cela ne pose pas de problème, dit Erasmus. Je suis Erasmus le mage.
Garwin regarde son ami puis, se décidant à son tour, il laisse son nom. Yjir en fait autant, mais Targedaël refuse poliment, ne souhaitant pas se créer d’attaches pour l’avenir. Quant à Sküm, l’attitude du sergent de la garde lui reste en travers de la gorge, et il décline donc lui aussi la proposition du Capitaine Almerrio.
Finalement, ce n’est pas loin de l’aube que nos amis réintègrent leur auberge, fourbus, blessés et, pour certains, quelque peu affectés par les visions d’horreur de la nuit… Yjir met un moment avant de pouvoir s’endormir mais, finalement, la nature prend le dessus et il sombre dans un sommeil peuplé de songes grouillants et visqueux…