Episode 12 : La Route de Halos (Suite)
Cela fait maintenant une bonne journée que nos amis ont quitté " La Chênaie ". Cendres a le cœur un peu serré d'avoir laissé derrière elle Rhûn et Myranda, auxquels elle s'était attaché, mais elle fait contre mauvaise fortune bon cœur, se disant qu'ils risquent bien moins au milieu d'un village sylvestre que sur les routes à la recherche de trafiquants d'esclaves.
Après avoir chevauché toute la matinée, alors qu'un soleil glacé perce occasionnellement entre les arbres, nos amis parviennent à une croisée des routes. Au centre de la clairière, un immense chêne trône, autour duquel volent des dizaines de corbeaux croassant.
- Nous devoir décider par où nous rejoindre Halos, déclare Yjir avec son phlegme habituel.
- C'est pas compliqué, rétorque Erasmus : au sud, on rejoint Floreste, et ensuite c'est tout droit jusqu'à Halos. On mettra deux ou trois jours si on n'a pas d'ennuis. A l'ouest on rejoint Yaouze, sur la côte de la Mer des Serpents, et ensuite on pique au sud pour rejoindre Halos. On perdra sans doute une bonne journée, peut-être deux…
- D'un autre côté, répond Cendres, l'assassin a probablement anticipé que nous passerions par Floreste, pour suivre la caravane d'esclaves. Qui nous dit qu'elle ne nous aura pas tendu d'autres pièges ou payé des sbires pour nous éliminer ? On a eu de la chance, hier, à la Chênaie, ça aurait pu très mal tourner…
- Moi avoir réfléchi à ça, hier soir, en attendant que sommeil venir… Moi penser avoir compris comment assassin être en avance sur nous !
- Ah bon ? Ben, j'veux bien qu'tu m'expliques, Yjir, parce que moi, j'ai beau chercher, je vois pas, dit Erasmus, agacé.
- Vous vous souvenir de spadassin habillé comme femme qui venir nous aider contre Hubert dans crypte des adorateurs d'Evancthe ? Moi penser que lui-être assassin.
- Mais pourquoi nous aurait-il aidé ? demande Cendres, interloquée…
- Justement parce que lui chercher information sur où être Umar. Lui avoir perdu piste de Umar depuis longtemps. En suivant nous, assassin espérer que nous trouver information sur où être Umar… Assassin suivre nous dans crypte, sans doute invisible, puis quand lui penser que nous nous faire tuer par adorateurs, lui se dire : " si eux mourir, moi pas savoir où être Umar… " Donc lui nous aider, puis, quand nous sortis d'affaire, lui redevenir invisible, écouter ce que dire Myranda et Rhûn, remonter dans chapelle, ouvrir porte fermée de l'intérieur et partir…
Ensuite, assassin s'arrêter dans Chênaie et se faire passer pour victime de nous pour que villageois ralentir nous ou faire arrêter nous… Et si nous tuer villageois pour passer, nous ensuite être recherchés…
- Quelle fiente de porc, celle-là ! s'exclame alors Erasmus…
- Au fait, en parlant de la Chênaie, reprend Cendres, la prochaine fois qu'on a un pépin, j'apprécierais que vous ne me faussiez pas compagnie dès que ça commence à sentir le roussi… Entre Yjir qui se transforme et s'enfuit à une lieue et Erasmus qui se rend invisible et se planque, c'est toujours moi qui doit faire face… C'est la deuxième fois que vous me faites le coup, j'espère que ce sera la dernière…
Un silence pesant s'installe…
- Bon, par ou nous partir ? dit finalement Yjir, un peu embarassé…
- La côte ? demande Erasmus
- La côte, répond Cendres…
Nos amis reprennent donc la route, au 26ème jour du mois de Merise, alors que le ciel se couvre de lours nuages gris. Après une bonne journée de chevauchée dans le froid et l'humidité de la forêt qui se fait plus éparse, ils émergent finalement à quelques lieues de Yaouze, port côtier protégé des colères de la Mer des Serpents par une vaste baie naturelle qui en fait un point de mouillage idéal pour les navires de toutes les nations. La ville est un peu léthargique en ce début d'hiver, et le soir, à l'auberge du Front de Mer, nos amis entendent les anciens parler des hivers les plus rudes, il y a bien longtemps, où même la mer finissait par geler, scellant les bateaux dans son emprise de glace jusqu'au printemps…
Le lendemain matin, ragaillardis d'avoir enfin dormi une bonne nuit au chaud et dans un confort certain, ils reprennent la route avec des chevaux frais proposés par l'aubergiste en échange de leurs montures fourbues. Ces chevaux-ci ne sont pas des animaux fins et sveltes mais plutôt une espèce solide, à la fourrure épaisse, et qui ne sont pas sans rappeler les montures offertes par leurs amis orcs. " J'ai l'impression que c'était il y a une éternité ", dit Erasmus à Yjir alors que nos amis quittent Yaouze par la route du sud sous une neige drue qui a recommencé à tomber pendant la nuit…
La journée se passe sans encombre. La route entre Yaouze et Halos sert à de nombreuses caravanes, elle est donc bien aménagée et, malgré le vent glacial venant de la mer, nos amis peuvent avancer plus aisément que dans la forêt. Par contre, la neige qui continue de tomber commence à ralentir les bêtes, obligées de soulever plus haut leurs pattes alourdies de congères. Le soir, alors que le groupe s'est tant bien que mal installé pour la nuit sur un sol enneigé, Cendres et Erasmus remarquent qu'Yjir regarde pensivement son loup Œil-de-Nuit, avec une expression de tendresse et d' appréhension mélangées.
- Eh bien, Yjir, y'a un problème qui te cause du souci ? s'enquiert le gnome. Tu en fais une face d'enterrement. Tu es encore plus rébarbatif que d'habitude.
Le druide soupire, et caresse lentement la profonde fourrure grise de l'animal.
- Depuis quelques semaines, moi avoir peur pour Œil-de-Nuit. Nous être entraînés dans dangereuse histoire, nous avoir ennemis partout maintenant. Lui être loup robuste, mais un jour, peut-être, lui prendre danger inconsidéré pendant combat, et lui mourir. Et si ça se produire, ça être ma faute.
Cendres lève les yeux de son maigre dîner, et regarde Yjir avec sympathie.
- Tu as peut-être raison, Yjir, dit-elle d'une voix douce. Parfois, il faut savoir se séparer de ses amis pour mieux les protéger. Mon cœur me dit que de lourdes épreuves nous attendent dans un futur proche. Nous avons affaire à des êtres cruels que l'innocence des animaux n'émeut guère. Ton loup pourrait, par amour pour toi, courir de gros risques.
Le trio se plonge dans un silence pensif, brisé par les craquements du feu que viennent attiser des petites bourrasques de vent humide.
- Moi peut-être pouvoir aider loup… dit Yjir d'une voix si basse que ses compagnons ne savent pas s'il s'adresse à eux ou à lui-même.
- Que veux-tu dire ? demande l'elfe.
Le druide semble hésiter, les sourcils froncés, le regard perdu dans les flammes.
- Hyoawakaee, mon maître, lui un jour m'enseigner rituel très long. Lui dire que rituel transmettre essence vitale de chaman vers animal, et alors animal devenir plus fort. Mais rituel être dangereux, car ne marcher que si lien très fort d'amitié entre chaman et animal. Si pas amitié, alors rituel mauvais pour homme et pour bête.
Yjir se tourne vers Œil-de-Nuit qui, peut-être sentant qu'on parle de lui, redresse la tête et fixe son regard ambré vers le visage de son maître.
- Que toi penser, ami à fourrure ? Toi vouloir rester animal normal ? Toi vouloir que moi briser lien spirituel, pour que toi rejoindre autres loups, devenir chef de meute, avoir beaucoup enfants loup ? Ou toi vouloir rester avec moi, et recevoir essence vital de Yjir pour renforcer encore lien entre nous ?
Œil-de-Nuit ouvre sa gueule pour laisser pendre une langue baveuse entre ses crocs, respiration haletante.
- Toi sans doute pas comprendre. Moi devoir choisir pour toi, ami. Toi venir chasser dans mes rêves cette nuit, nous alors décider ensemble.
Yjir se lève et se tourne vers ses compagnons.
- Moi aller dormir et méditer, annonce-t-il. Bonne nuit.
Une fois le druide parti, Erasmus se penche vers Cendres, avec un air de conspirateur.
- Il est vraiment bizarre, parfois, tu trouves pas ?
L'elfe hausse les épaules.
- Il avait l'air sérieux avec son histoire de rituel. Mais je n'ai jamais entendu parler d'une telle chose. C'est peut-être purement symbolique, une sorte de bénédiction chamanique. Mais à son ton, j'ai l'impression que c'est quelque chose de très fort. J'espère qu'il sait ce qu'il fait.
- A vrai dire, cela me rappelle quelque chose que j'ai lu quelque part, une étude sur les tribus primitives, déclare Erasmus d'un ton docte. Comme quoi certains sorciers barbares arrivaient à élever et à dresser des bêtes magiquement pour en faire des monstres. Mais ce texte était fort mal documenté, je me demande si ce n'était pas pure invention. Ou du ouï-dire. Enfin, nous verrons bien demain matin, une fois que notre ami aura les idées plus claires.
Le lendemain à l'aube, le gnome et l'elfe sont réveillés par une lente mélopée, récitée d'une voix extrêmement grave. Interloquée, Cendres s'extrait de sa couverture trempée - Erasmus, lui, fait de son mieux pour ignorer le bruit et grappiller quelques moments de sommeil supplémentaires. Le temps d'enfiler des bottes froides et humides, l'archère se lève et fait quelques pas en direction du chant.
Le spectacle qui s'offre à elle est surréaliste. Complètement nu, Yjir se tient debout dans les premiers rayons de l'aube, les paumes tournées vers le ciel, les pieds dans la neige. A quelques mètres de lui, assis en transe, les yeux comme écarquillés, Œil-de-Nuit fixe son maître, parfaitement immobile.
- Yjir, ça va ? demande Cendres, inquiète.
Le druide ne répond pas, et continue à chanter à voix grave, semblant répéter indéfiniment un même cycle de syllabes incompréhensibles. La respiration de son loup, lente et profonde, paraît être en phase avec le chant. L'homme et la bête, face à face, forment comme un étrange tableau dans la clairière illuminée par le soleil du matin.
L'elfe retourne auprès du gnome, qui s'est assis et se frotte les yeux, l'air bougon.
- Il a pas bientôt fini avec ses vocalises d'halluciné ? On s'entend plus dormir ici.
- Je crois qu'il s'est lancé dans le rituel dont il parlait hier soir.
- Ouais, eh bin, vivement qu'il ait fini, parce que les lamentations du cerf en rut ça va vite me courir sur le haricot. Il te reste du pain au noix ?
Mais les heures de la matinée s'écoulent et la mélopée ne cesse pas. Les deux compagnons d'Yjir préfèrent ne pas interrompre l'étrange cérémonie. Vers le milieu de la journée, Cendres vient apporter de la nourriture au druide, mais celui-ci semble coupé du monde qui l'entoure. Son chant a prix un rythme légèrement plus rapide, et une imperceptible oscillation le fait se pencher lentement en arrière, puis en avant. Œil-de-Nuit ressemble à une étrange statue canine, les yeux injectés de sang.
Au campement, Erasmus profite de cette journée de répit pour se plonger dans l'étude des sorts trouvés dans la bibliothèque de la crypte d'Evancthe. Cendres observe tantôt le gnome - emmitouflé dans sa couverture, grimoire sur les genoux, tournant nerveusement les pages, lèvres murmurant des mots cabalistiques - tantôt Yjir - nu sous la pluie légère, quasi immobile, chantant sans fin sa monotone suite de syllabes.
Alors que le soir tombe et que, faute de lumière, Erasmus abandonne à regret son livre de sorts, l'elfe vient lui faire part de son inquiétude.
- Yjir n'a rien mangé de la journée, et il doit être frigorifié... Son rituel semble s'éterniser. Tu ne crois pas qu'il y a quelque chose de bizarre ? On ne devrait pas le secouer pour le sortir de sa transe ?
- Ne t'inquiète pas. C'est le genre de gaillard qui sait ce qu'il fait. J'ai lu que les rituels chamaniques pouvaient durer plusieurs jours. Il aurait pu nous prévenir avant de se lancer là-dedans, c'est tout…
Cendres fait une moue sceptique.
- Mouais. Bon. C'est toi l'expert en tout. Mais nous devrions quand même jeter un coup d'œil de temps à autres, voir si tout va bien. Cela ne me dit rien qui vaille. Il semble faire appel à des forces si naturelles et fondamentales… Qu'est-ce que la volonté d'un homme face à de tels pouvoirs ?
- Pff… Nous autres les magiciens ne nous posons pas tant de questions. Les pouvoirs du monde sont là pour qu'on s'en serve. Et à propos, si on mangeait ?
Après un dîner sans enthousiasme, Cendres et Erasmus essaient de trouver le sommeil. Mais entre la neige qui recommence à tomber et s'infiltre entre les feuilles des arbres, le chant monotone du druide qui s'élève dans la nuit, et les bruits nocturnes de la forêt, le repos tarde à venir.
Le lendemain matin, Cendres ne peut que constater l'incroyable : Yjir est toujours en transe, sa voix maintenant rauque de fatigue chantant toujours l'ancienne mélopée. Ses muscles sont contractés, les tendons saillants, et le balancement d'avant en arrière est plus prononcé que la veille. Œil-de-Nuit n'a pas bougé non plus, mais il émet maintenant un grondement sourd, entrecoupé parfois d'un petit gémissement. L'elfe secoue la tête et revient au campement, découragée.
- Erasmus, fixons-nous au moins une limite. S'il est toujours comme ça ce soir, nous devons le réveiller. Personne ne peut rester ainsi sans manger et sans boire pendant deux jours.
Le gnome, indécis, semble hésiter.
- Je ne sais pas, Cendres. Je ne connais rien à ce genre de magie, mais il me semble qu'arrêter un tel rituel en chemin pourrait être au moins aussi dangereux que ne rien faire. Attendons ce soir, et nous aviserons. De toute façon, il finira par tomber de fatigue, même si j'espère que l'on n'en arrivera pas là.
La journée s'écoule. Erasmus a du mal à se concentrer sur son livre de sorts. Cendres, de plus en plus inquiète, fait les cent pas en récitant nerveusement des prières à Mezrâ.
Finalement, n'y tenant plus, en fin d'après-midi, elle retourne d'un pas décidé dans la clairière… et s'arrête net. Yjir et Œil-de-Nuit sont maintenant enlacés au milieu de la clairière, et semblent entourés d'une sorte de halo impalpable, comme si elle les voyait à travers une surface aqueuse. La scène est silencieuse, comme si la nature elle-même retenait son souffle.
Fascinée, l'elfe observe cette étreinte entre l'homme et la bête. Autour d'eux, la nature semble soudain bruisser et vibrer avec une vigueur particulière, comme si la terre elle-même se mettait en harmonie avec le druide et son loup. On entend des cris nerveux d'animaux dans les sous-bois.
Soudain, la nature entière relâche toute la tension accumulée. Les branches des arbres s'agitent, les feuilles secouées par l'envol de tous les oiseaux de la forêt. Le vent souffle une bourrasque qui manque de renverser Cendres. Le corps d'Yjir se tend comme un arc, et l'homme hurle à plein poumons, et son cri se perd dans le vacarme des bois soudain devenus fous. Œil-de-Nuit pousse un hululement puissant et fantastiquement sinistre.
L'instant d'après, tout est fini. Le druide gît dans la clairière, inconscient, le corps agité de tremblements. Cendres s'approche, hésitante, encore sous le choc de ce qu'elle vient de voir.
- Bon, c'est quoi tout ce bruit ? demande la voix du gnome derrière elle. J'arrive pas à me concen…
Erasmus s'interrompt soudain.
- Nom d'un chien, Cendres. Tu as vu Œil-de-Nuit ?
- Oui, j'ai vu, j'ai vu…
Le loup se tient au-dessus de son maître dans une attitude protectrice, presque maternelle. Mais ce n'est plus le même animal, du moins en apparence. Alors que, deux jours avant, son échine était au niveau des cuisses (d'un humain) et sa tête au niveau du bas-ventre, sa taille est maintenant bien plus impressionnante : il peut regarder Erasmus dans les yeux sans lever la tête ; sa gueule arriverait presque au niveau du torse d'un homme.
Mais c'est bien Œil-de-Nuit, avec le même regard ambré et la même fourrure grise, noire par endroit. Erasmus et Cendres n'en croient pas leurs yeux.
- Bon, finit par dire l'elfe. On ferait bien d'apporter Yjir près du feu, de le couvrir et d'essayer de lui faire manger quelque chose. Aide-moi.
Ils portent le corps inerte du druide jusqu'au campement. A force de soin, il reprend vite quelques couleurs, et cesse de frissonner.
- Eh, patron ? coasse soudain Korg. Tu crois que tu pourrais faire le même truc avec moi ? Ca me plairait bien de doubler de volume. Pour draguer les p'tites corbettes ça se poserait là…
- Tais-toi Korg, c'est pas le moment.
- Oh, la la… Si on peut plus rigoler…
Au bout d'un long moment, Yjir ouvre faiblement les yeux.
- Ca être plus rude que moi penser, murmure-t-il. Moi peut-être… moi peut-être boire eau-de-feu, juste un peu…
Ses deux compagnons soupirent de soulagement. Et avant d'aller se coucher, chacun se prend en effet une bonne rasade de cordial…
Le lendemain, nos amis reprennent la route. Au milieu de la journée, une étrange rencontre vient les réveiller de la monotonie de la blanche route : alors qu'ils s'approchent d'un croisement, ils aperçoivent au loin deux cavaliers montés, et un troisième à terre à côté de son cheval. Ce dernier tient entre ses mains un cristal étrange qui luit d'une lueur rougeâtre. Alors qu'ils s'approchent, prudents mais intrigués, nos héros constatent avec étonnement que sous leurs fourrures, les deux cavaliers portent la livrée de la garde de Mezrâ. Cendres se fait immédiatement connaître, et demande, bien sûr, si elle peut être d'une quelconque assistance :
- Je suis Cendres, novice de la garde, sœur du temple de Naïm. Puis-je vous être d'une quelconque utilité, frères ?
- Que la Lune Pourpre soit avec toi, Cendres, répond l'un des deux gardes, un homme de forte stature au visage agrémenté d'une épaisse moustache. Je suis Phalstène, gardemage du Temple de Halos, et voici Merric, apprenti gardemage. Notre compagnon, ajoute-t'il en montrant l'homme au cristal, est Balaphon, mage triangulateur de la Guilde.
" Quoi être mage triangulateur ?, demande discrètement Yjir à Erasmus.
- Quand un mage renégat utilise des magies interdites, les mages triangulateurs utilisent leurs talents pour les localiser. On les appelle triangulateurs parce qu'ils doivent être trois, équipés de cristaux spécialement enchantés. Ils entourent la zone où le mage est sensé se trouver, et utilisent un rituel spécial qui à l'aide des cristaux leur permet de localiser exactement le mage renégat.
Phalstène explique alors que la Garde Pourpre est à la poursuite d'un mage dangereux qui a pratiqué des rituels interdits. Les gardemages attendent que la triangulation soit terminée, et ils se rejoindront tous au lieu indiqué par le rituel pour faire face à la menace. Cendres sait que les gardemages subissent un entraînement spécifique pour faire face aux adversaires mages ou magiques, et elle sait aussi qu'ils sont tenus d'éviter que des gens innocents ou extérieurs à leur fonction ne soient affectés. Elle ne peut donc pas les aider dans cette tâche spécifique qui est la leur.
" Invocation ", dit soudain le mage Balaphon, sortant de son silence concentré. " Je sais où est le renégat. Allons-y ! " Il remonte à cheval et les trois hommes se mettent en route, suivant la direction de l'est. En s'éloignant, Phalstène se retourne vers Cendres et dit : " on se retrouvera peut-être au Temple de Mezrâ. A bientôt !"
Le reste du périple se déroule sans événement particulier, et après une nouvelle nuit passée dans une auberge au bord de la côte, nos amis arrivent en vue de la bourgade de Marquette, qui signale la fin de la route. Il y a là quelques auberges, quelques masures et un long ponton auquel sont amarrées de nombreuses embarcations, de la barque la plus simple au sloop de haute mer. La bourgade semble aussi être animée d'un petit marché permanent où paysans et artisans viennent vendre aux commerçants de Halos leurs productions, évitant ainsi d'avoir à s'embarquer eux même pour les commercialiser en ville.
Après avoir pris quelques renseignements, nos amis apprennent qu'Halos se situant sur une île à quelques lieues de la côte, on ne peut y aller autrement qu'en bateau. Yjir n'a pas l'air réjoui :
- Moi pas aimer idée de ne plus être sur la terre… Mon lien avec nature être la terre… Dans Plaines Arides, pas y avoir de Grande Eau…
- T'inquiètes donc pas, répond Erasmus : la ville est forcément sur terre, elle. Il n'y en a que pour quelques heures avant d'y être. Et puis, la mer, c'est la nature aussi : les poissons, les requins, les calamars géants…
Après avoir négocié pour quelques pièces un passage sur une embarcation à l'air solide, nos amis montent à bord et attendent patiemment que les autres passagers embarquent. La diversité des voyageurs est étonnante : il y a là des marchands de retour de Marquette, des voyageurs à la recherche d'exotique, mais aussi des hommes, des nains et des halfelins à l'apparence peu recommandable. Après avoir sympathisé avec un marchand gnome qui s'embarque, escorté de deux gardes du corps, Erasmus apprend que Halos, de par sa localisation particulière et son indépendance farouche fait office d'abri pour beaucoup de criminels ou d'exilés recherchés ailleurs. En particulier, de nombreux nains chassés des royaumes souterrains s'y réfugient.
Le bateau quitte bientôt le quai dans un mer agitée, pour une traversée qui doit durer quelques heures. La neige est toujours là, couplée à des vagues violentes qui jettent des paquets d'eau glacée sur le pont. Nos amis descendent bien vite dans la cale, mais l'odeur de la foule humaine, de la crasse accumulée et des régurgitations des premiers malades est nauséabonde. Bientôt, Erasmus perd de son vaillant et remonte sur le pont, mais le tangage est vraiment insupportable. Il sent remonter la soupe d'écrevisse pourtant si délicieuse qu'il a mangée sur le port, et finit le trajet accroché au bastingage, détrempé, gelé, et nauséeux… Cendres n'est pas beaucoup plus vaillante, même si elle parvient à garder le contrôle de son estomac. Contre toute attente, au moment d'arriver dans le port de Halos, c'est Yjir qui est le plus ragaillardi : " Mer être nature sauvage. Toi avoir raison, Erasmus… Moi aimer mer ! ! ! "
Nos amis débarquent à la fin d'une après-midi pluvieuse dans le port de Halos. Celui-ci est immense, et on aperçoit les silhouettes de dizaines de navires imposants arrimés le long des pontons. A l'ouest, de grands bâtiments longs bordent des quais, sans doute des entrepôts pour les marchandises de qualité. Les navires amarrés devant les entrepôts semblent être solides et bien entretenus, certains sont de taille imposante, faisant sans doute partie des flottes de riches marchands. Plus à l'est, on aperçoit dans la brume des silhouettes d'embarcations moins luxueuses et moins bien entretenues. Erasmus retrouve un peu ses esprits avec le vent froid qui souffle, et demande à son camarade gnome où il leur recommande de passer leur première nuit. " Vous avez l'embarras du choix ! " répond ce dernier, " mais si j'étais vous, j'éviterais Scorbeville. Il y a quelques bonnes auberges dans le quartier des docks, et si vous voulez être traités comme des princes, vous pouvez remonter vers le quartier Marchand… " Avant de prendre congé, il leur recommande d'acheter pour quelques piécettes une carte de la ville qui leur permettra de se repérer. Tous les gamins des docks en ont quelques unes sur eux...
Nos amis se trouvent donc enfin à Halos, en cette fin de 31 Merise. La ville a l'air immense, et débordante d'activité malgré le froid et la neige. Autour d'eux, dockers et marchands s'affairent alors que des hommes à la mine patibulaire les regardent d'un œil inquisiteur. Il est temps de bouger, mais une question se pose : où peut bien être Umar ?