Episode 18 : Le Retour à Dwargon (Part 2)
Le trajet est long, mais se déroule sans encombres. D'un commun accord, il a été décidé de ne pas traverser la Naïmide à Nour, ville sise au milieu des marais du delta de ladite rivière que nos héros ne connaissent pas. Du coup, il est logique de franchir le fleuve au niveau de la capitale, pour éviter tout désagrément. Les journées à cheval sont rythmées par les prières de Cendres, les mélopées du druide et les plaintes incessantes du gnome, qui doit partager sa monture avec Umar, ce qui ne facilite pas l'étude des parchemins à laquelle il comptait bien consacrer le temps du voyage . Les nuits sont courtes, mais nul ne trouve à en redire, car le temps est compté.
Le soleil couchant accueille le groupe de cavaliers à Taërion, en ce soir du 3 Rême Le nain n'entend pas perdre plus d'un jour sur place, aussi propose-t-il à ses compagnons de partir sur le champ retrouver Sküm au monastère Antonien pendant qu'il récupère les effets qu’il a caché dans son ancienne auberge.
- Je suis content de vous voir, dit Loàg à Yjir, Erasmus et Cendres lorsqu’ils se présentent à lui. Votre ami demi-orc se porte bien, et je crois même qu’il s’est réconcilié avec lui-même, malgré sa condition. Mais il vous racontera ça en personne.
Les arrivants ont droit à un court résumé de la part du responsable du monastère des activités de Sküm pendant ces dernières semaines. Puis Loàg les conduit à la chambre de leur camarade, qui accueille le mage et le shaman avec de franches accolades, un peu brutales cependant. Le salut entre l'elfe et le guerrier au sang orc est en revanche beaucoup plus froid, Cendres se montrant méfiante à l'égard de celui qu'elle sait affecté d'une dangereuse maladie…
- Ca me fait plaisir de vous revoir ! Pour tout vous dire, je commençais un peu à tourner en rond… Depuis quelques jours, je me demandais si je n’allais pas partir de moi-même. De toute façon, après mon escapade dans la forêt d’Argûnn, Loàg m’a bien fait comprendre que je n’étais pas à proprement parler le candidat idéal pour une vie de contemplation…
- Ton escapade dans la forêt d’Argûnn ? demande Erasmus d’un air surpris et un peu inquiet…
- Oui, il m’est arrivé une aventure bien étrange. Laissez moi vous raconter.
Nos amis s’assoient dans le jardin de pierres du monastère et, après quelques instants passés à rassembler ses pensées, Sküm entame son récit :
« Tout à commencé par un rêve. Ou plutôt non : plusieurs rêves. En fait, presque depuis mon arrivée, je fais des rêves. Souvent, la nuit, je me vois en loup, traversant la forêt, et je sais qu’il s’agit de la forêt d’Argûnn que l’on voit depuis le monastère. Dans ces rêves, souvent, je mène une meute, et je me sens bien, proche de la nature qui m’entoure. Je chasse, je sens le sang de mes proies dégouliner le long de mes babines…
Le jour, évidemment, c’est tout le contraire : avec les moines, j’apprends à faire le vide, à méditer, à combattre sans passion, bref, à dominer mes émotions. On travaille aux champs, aussi, pour alimenter le monastère et parce que Loàg dit que c’est bon pour la paix de l’esprit de travailler la terre.
Et puis un soir, il y a quelques jours, j’ai fait un rêve différent. Il y avait une tempête, ce soir là, mais le rêve commençait de la même manière que d'habitude : j’étais à la tête de ma meute, la lune était pourpre, presque noire. Nous étions sur un promontoire qui surplombait la forêt. Au loin, je voyais les nuages de tempête s’amasser au Sud, énormes et menaçants. Ils me semblaient presque vivants, comme des larves noires grouillantes d’où soudain un orage horrible éclate. Sans trop bien savoir pourquoi, je tourne la tête dans la direction vers laquelle les nuages semblent se rendre, et j’aperçois comme une tour noire qui grimpe jusqu’au ciel.
Ensuite, je cours dans la forêt, mais je n’ai plus cette joie comme les autres soirs. J’ai une sourde angoisse qui me bat dans la poitrine. Et puis, je commence à sentir une odeur de brûlé, il y a des cadavres autour de moi. La meute me suit toujours, et soudain, nous arrivons à l’orée d’une clairière répugnante : l’herbe y est noire et les arbres tordus et malsains. Je n’ai pas envie de continuer à avancer, et pourtant il le faut. Je franchis l’orée de la clairière, et je me retourne. Les loups ne me suivent pas. Je sens qu’ils ont peur. Je continue à avancer, et là, un éclair illumine le ciel nocturne, et je me suis réveillé.
Au passage, j’ai réveillé mon voisin de cellule, Loël, un demi-elfe peu bavard mais bon compagnon. Ensemble, nous sommes sortis car la pluie tombait dru et il semblait que l’orage était à son comble. Et là, nous avons vu que le rêve rejoignait la réalité, puisqu’un orage menaçant flottait sur la forêt d’Argûnn, au sud. Les éclairs zébraient le ciel, et il nous a même semblé voir des feux sans doute allumés par la foudre. J’ai raconté mon rêve à Loël qui m’a dit qu’il conviendrait sans doute d’en parler à Loàg au matin venu.
C’est ce que j’ai fait. Loàg n’a pas été très loquace sur le sujet, mais il ne l’est jamais. Il m’a dit que moi seul pouvait comprendre et interpréter mes songes, pour autant qu’ils aient une signification particulière. Cela dit, vu ma condition, il m’a recommandé d’y prêter attention. Loël et moi sommes donc partis au champ, comme tous les matins, avec nos outils sur l’épaule. Ce matin là, on travaillait à l’orée de la forêt.
Au milieu de la matinée, Loël attire mon attention sur les fourrés à la lisière de la forêt. Je regarde, et j’aperçois dans les sous-bois une dizaine de loups qui me scrutent. Vous imaginez ma tête. Je commence à m’approcher tandis que Loël dit « Très intéressant… » d’une voix traînante. Il dit toujours ça ! Enfin bref, je m’approche, et les loups ne bronchent pas. Ils n’ont pas l’air agressifs, ils me regardent tous de leurs yeux gris, c’est comme s’ils m’attendaient… Je m’approche encore un peu, et soudain je sens que je vais me transformer.
Je résiste, évidemment ! J’ai appris à contrôler mes instincts, et en général, le jour, c’est assez facile. J’explique à Loël ce qui se passe, et il me dit : « Il faut qu’on aille voir Loàg tout de suite… » On rentre dare-dare au monastère, et on explique à Loàg ce qui s’est passé. Je pense que je dois vraiment pas être fait pour le monastère, parce qu’il est rentré dans une explication pas possible sur le fait qu’on apprenait à contrôler nos instincts pour pouvoir mieux y céder lorsque c’était important, que c’était un des paradoxes de la philosophie Antonienne. Bref, il pensait que j’aurais du céder.
Il demande à Loël si celui-ci est prêt à m’accompagner dans le voyage initiatique qui s’ouvre « de toute évidence » à moi. Loël accepte. Loàg lui a d’ailleurs confié une ceinture de soie sensée avoir appartenu à Anton lui-même pour que ça lui porte chance…
On est donc retourné à l’orée de la forêt, et les loups étaient toujours là. Cette fois ci, je m’approche, et lorsque je sens que je vais me transformer, je me laisse aller. Bizarrement, je ne sens pas la colère qui accompagnait mes transformations jusque là. Loël est ébahi par ma transformation, mais tout ce qu’il trouve à dire, je vous le donne en mille, c’est « très intéressant ». Il ramasse mon équipement (ma hache, surtout) et me suit. Je m’approche des loups, et je les sens respectueux, un peu intimidés. Même le chef de la meute me fait sentir que sans me considérer comme un concurrent, il est mon inférieur. C'est très intéressant les relations dans une meute de loups, mais je vous en parlerais une autre fois... J’ai le sentiment confus que les loups veulent m’amener quelque part, donc je les suis.
Heureusement, Loël marche vite, malgré la Forept qui devient de plus en plus dense. Du coup, il arrive à garder le rythme et nous avançons dans la direction marquée par les loups, vers le sud-ouest. Après quelques heures de marche forcée, Loël aperçoit un rocher de forme curieuse, et en s’approchant, il se rend compte qu’il y a quelque chose de gravé dessus. Ce sont des runes Impériales, mais avec une calligraphie assez ancienne. En fait, le rocher est une borne qui indique vers le Nord-Est « Taërion » et vers le Sud-Ouest « Membach » et « Port-Faucon ».
Du coup, Loël et moi cherchons une route, et on trouve effectivement quelques pavés et une zone de quelques mètres de large où la végétation est différente. On essaie de suivre la route, mais le sol y est finalement moins praticable que dans le reste de la forêt. Du coup, on la longe à quelques dizaines de mètres, toujours en allant vers le sud-ouest. Une fois la nuit tombée, je déniche un soubassement qui fera un bon campement, et nous laissons Loël tandis que moi et la meute allons chasser. Loël mange chichement et puis s’endort. Lorsque je reviens, deux ours sont en train de lui renifler les pieds, alors je les menace d’un puissant grognement. Ils hésitent et puis finalement s’enfuient quand ils voient les loups de la meute rappliquer.
La nuit se passe sans encombre, et le lendemain, on reprend notre chemin. Dans la matinée, on traverse une étroite rivière, et Loël aperçoit un peu plus haut quelques ruines. Il va les examiner, et il s’avère que ce sont les anciennes piles d’un pont qui devait franchir la rivière en question. Loël gratte quelques pierres et trouve un blason gravé représentant un lune noire entourée de trois arbres. On ne peut pas dialoguer, évidemment, mais Loël me demande si ça me dit quelque chose. Je lui fais « non » de la tête et il me répond : « C’est très intéressant ! Je connais assez bien l’héraldique des Baronnies, et je n’ai jamais vu de tel blason… »
On continue à marcher, toujours dans la même direction. Quelques heures plus tard, un peu avant la mi-journée, une odeur capiteuse et un peu écœurante m’assaille les naseaux. Il ne me faut pas longtemps pour identifier l’odeur du sang… On commence à fouiller les environs, et on trouve plusieurs cadavres. Visiblement, il y a eu une bataille ici. On peut assez aisément identifier les deux camps. D’un côté, des hommes à l’apparence sauvage, des gobelins et des animaux qui semblent avoir été tués par des lames acérées. De l’autre, des militaires en armures noires, qui semblent avoir trouvé la mort soit par des morsures d’animaux, soit par des coups d’épieux. Parmi ceux-ci, on aperçoit les cadavres les plus étranges qu’il m’ait été donné de voir : des hommes qui portent leur armure sous une robe de bure et dont les yeux ont été cousus. Ceux-là semblent calcinés, comme s’ils avaient été frappés par la foudre… »
A ce stade du récit de Sküm, ses trois anciens acolytes poussent quelques jurons :
- Tu es sûr de ce que tu décris ? demande Cendres au demi-orc.
- Bien sûr, répond Skûm. Vous croyez que je pourrais inventer un truc pareil ?
- Non, bien sûr, reprend Erasmus. C’est juste que… nous aussi nous avons rencontré ces êtres maléfiques ! On ne pensait pas qu’il y a en avait aussi haut au nord… Enfin, on te racontera ça plus tard. Finis donc ton histoire.
« Donc, disais-je, on est en train d’examiner les cadavres quand on entend comme un bruit de fond. Mes sens exacerbés de loup me permettent de comprendre que ce n’est pas un bruit complètement naturel, même si à première écoute, on dirait bien un chant d’oiseau. Et ça se rapproche. Je comprends qu’il s’agit d’un langage, du coup je me cache, mais Loël, qui n’a pas été aventurier, reste planté là, attendant de voir ce qui va arriver. Et ce qui arrive, tenez vous bien, c’est un grand humanoïde efflanqué à tête de chien ! Autour de sa tête vole un corbeau, et c’est eux qui ont l’air de parler en langue des oiseaux.
Quand « tête de chien » voit Loël , il fait un geste et marmonne quelques syllabes, et les pieds du moine se retrouvent enserrés dans un enchevêtrement de ronces. Comme à son habitude, Loël regarde ça d’un air curieux et dit : « Très intéressant… Pourquoi tentez vous de m’immobiliser alors que je ne vous ai fait aucun mal ? »
- Intrus mourir ! aboie l’être canin en saisissant un lourd gourdin qu’il porte à la ceinture.
Evidemment, c’est le moment que je choisis pour sortir de mon camouflage et me planter entre Loël et son agresseur. Je grogne un bon coup, et laissez moi vous dire que quand je suis sous forme lupine, je ne suis pas un petit loup de pacotille… Pas aussi gros qu’Œil de Nuit ne l’est devenu, mais pas loin… D’ailleurs, tu lui as donné quoi à manger à ce loup Yjir ?
Enfin bref, je m’interpose donc, et l’homme à tête de chien recule, inquiet et perplexe. Le corbeau se perche sur son épaule, puis se pose par terre devant nous, et il se transforme soudain en homme ! Un homme assez âgé au visage buriné, les cheveux roux et une barbe hirsute. Il a un bâton à la main, surgit de nulle part. Il me regarde droit dans les yeux, et ça me met un peu mal à l’aise.
Pendant ce temps, l’homme à tête de chien s’apprête à se ruer vers nous, mais l’autre lui met la main sur l’épaule. En me regardant, il dit un mot un peu rauque, quelque chose comme « Ashrâk ». L’autre a l’air presque effrayé et ne s’approche plus. Alors l’homme hirsute dit un truc du genre :
- La tradition veut que tous les enfants d’Ehrûn qui foulent le sol de cette forêt soient sacrifiés, mais je pressens que votre venue n’est pas accidentelle. Suivez-nous, le Conseil de la Forêt statuera.
L’homme à tête de chien échange encore quelques mots avec le changeforme roux, et puis il prend la tête du cortège. L’hirsute nous fait signe de suivre, et nous partons, Loël et moi. C’est là que je me rends compte que les loups ont disparu, ou fui, comme s’ils nous avaient mené là où ils le souhaitaient… Je vous avoue que sur le moment, j’avais bien envie de discuter avec le rouquin pour savoir comment ça faisait d’être corbeau-garou, mais évidemment, je pouvais pas parler. Quant à risquer de perdre le contrôle en essayant de me tranformer, non merci…
Après quelques temps, on arrive dans une sorte de campement assez étendu, et croyez moi, je n’ai jamais vu autant de races diverses (et généralement hostiles les unes aux autres) cohabiter : j’ai reconnu des hommes, des gobelins, des orques, des elfes, des halfelins et même une ou deux espèces (comme notre homme-chien) que je n’avais jamais vu. Les gens semblaient nous regarder d’un air étonné, presque surpris qu’on arrive pas pendus à une branche et déjà vidés…
En tous cas, ils avaient tous l’air très sauvages, on a pas vu un brin de métal aux alentours. Ils avaient tous des armes à portée de la main, épieux, haches en silex, arcs, etc. Visiblement, ils se considéraient plus ou moins en état de guerre. Et c’est évidemment à ce moment là qu’on débarque, nous…
L’homme qui nous escorte se déride un peu pendant qu’on traverse le campement, et il nous dit que son nom est Myrdwaine, ou quelque chose comme ça. Il nous explique aussi que nous allons être présentés au Conseil de la Forêt, et que nous aurons le privilège insigne de pouvoir défendre notre cause, ce que la plupart des visiteurs n’ont jamais l’occasion de faire… Charmant…
En tous cas, il nous amène dans une petite ravine entourée d’immenses chênes, et nous indique que nous avons tout intérêt à ne pas bouger de là, pour notre sécurité. On s’installe tranquillement, il n’y apparemment personne alentour, mais mon flair animal me laisse penser qu'il n'en est rien. De toute façon, ni Loël ni moi n’avons l’intention de partir, donc Loël se restaure d’un peu de pain azyme et d’une tranche de fromage, tandis qu’il me tend les lanières de viande séchée qu’il avait prévues pour notre voyage. Je déteste manger de la viande pas fraîche quand je suis sous forme lupine, mais je préfère quand même pas aller chasser vu les risques que ce soit mal interprété.
On attend longtemps dans notre trou, et la nuit finit par tomber. Loël et moi, on se repose un peu en se disant qu’on ne sait pas trop ce qui va se passer plus tard. Mais pour ma part, je suis impatient. Je commence à tourner en rond, au sens propre comme au sens figurer. Au bout d’un moment, Loël me rappelle ce qui fait que je ne serais jamais un moine comme il faut : « Souviens toi des paroles du Philosophe, dit-il d’un ton sentencieux : la marée ne se hâte point pour piéger les crabes ». Vous y comprenez quelque chose, vous ? Le pire c’est que sous forme de loup, je ne peux même pas lui répondre ou lui demander ce qu’il veut dire.
Un peu plus tard, au milieu de la nuit, les lourds nuages semblent se disperser un peu, et j’aperçois Zendâ, laiteuse. Sans que je sache trop pourquoi, ça me rassure et ça me calme un peu. C’est à ce moment là qu’une dizaine de guerriers de diverses races émergent des fourrés et nous font signe de les suivre. On obtempère, depuis le temps qu’on attend.
Ils nous amènent sans ménagement au centre d’une clairière entourée des chênes les plus immenses que j’ai jamais vus ! On est presque jetés au centre, et lorsqu’on se relève, on est entouré par six silhouettes encapuchonnées, vêtues d’amples robes noires. L’un d’entre eux est immense, au moins grand comme un ogre, un autre a un museau qui sort de l’intérieur de la capuche. Ils ont tous des faucilles en argent au côté, et soudain, je me sens mal à l’aise…
- Très intéressant, marmonne Loël. Ils sont en cercle autour de nous, mais c’est comme s’il y avait une place vacante pour un septième participant…
Je n’ai pas le temps de grogner à l’attention de ce damné moine imperturbable que l’un des druides pointe son doigt vers moi. De sous son capuchon émerge une voix féminine :
- Ashrâk, reprends ta forme originelle ! ordonne t’elle.
Et là, je sens la douleur désormais presque familière de la transformation. Mes pattes avant s’épaississent, mes pattes arrières s’allongent, mon torse se comprime, et bientôt je suis redevenu Sküm, le demi-orc, nu devant un parterre de druides… C’est pas que je sois particulièrement prude, mais je vous assure que ça met mal à l’aise…
- Explique ta venue, Ashrâk, reprend une autre voix, mâle, cette fois. Si tu n’étais pas Fils des Deux Lunes, ton sang et celui de ton compagnon fertiliseraient déjà le sol de la Forêt.
Je me retiens de faire un commentaire sur leur hospitalité et, tenant mes mains devant moi pour cacher ce qui peut l’être (sans succès, évidemment), je leur raconte mon rêve, ma transformation à l’orée de la Forêt et la journée escortée par les loups. Je termine par un petit laïus auquel je ne crois qu’à moitié :
- Je suis convaincu que la Forêt m’a appelé. Quelqu’un ou quelque chose lui a causé du tort, et je sens que je peux contribuer à réparer ce tort. C’est pourquoi je suis là. Quand à mon ami Loël, il a tenu à m’escorter.
Je sens qu’ils sont perplexes, maintenant. Ils commencent à débattre dans une langue qui nous est inconnue. Loël, comme toujours, est serein et curieux. Un peu plus tard, on voit revenir les guerriers, qui nous escortent vers le même refuge ou nous avons passé la première moitié de la nuit. Lorsqu’on s’en va, les druides débattent toujours.
- Loël, à mon avis ils sont partis pour la nuit.
- Le Philosophe ne disait il pas : « Il n’y a pas de palabre trop long du moment qu’il débouche sur la bonne décision ? »
- Ouais, sans doute. En tous cas, s’ils décident de ne pas nous immoler par le feu, ils peuvent bavarder toute la semaine, je ne leur en voudrais pas. Dans quel pétrin on s’est fourré, quand même…
- Loàg t’a dit d’être fidèle à tes instincts, c’est ce que tu as fait. Je ne crois pas qu’au bout du compte il en ressortira du tort.
- C’est stupéfiant ce que tu peux être optimiste, toi alors !
On est réveillé au petit matin par Myrdwaine. Il nous amène même des noix et des baies pour nous restaurer. Je me retiens de lui dire qu’il est trop bon, et j’attends la mauvaise nouvelle. Finalement, ça pourrait être pire :
- Le Conseil est partagé quant au crédit à accorder à vos dires et au sort auquel vous destiner. Trois d’entre nous veulent appliquer la Loi de la Forêt qui ne souffre pas d’exception et trois autres préfèreraient vous accorder le bénéfice du doute. Dans ce contexte, vous comprenez pourquoi nous avons débattu toute la nuit. J’ai finalement obtenu un sursis pour vous qui se transformera en libération si vous nous rendez un service.
- Un service ? Vous pouvez nous en dire un peu plus ? demande-je, un peu inquiet…
- J’y viens. Comme vous l’avez sans doute compris, le peuple de la Forêt a été attaqué il y a quelques jours. Les assaillants étaient une bande d’hommes d’armes avec parmi eux des Serviteurs des Puissances Inférieures. Avec l’aide de la Forêt, nous les avons défaits. Malheureusement, au cours du combat, le Grand Druide qui menait notre congrégation s’est trouvé opposé au meneur des assaillants, un puissant Guerrier protégé par des forces impures. Le Grand Druide a trouvé la mort dans ce duel. Ceci n’est pas important, la vie et la mort font partie du cycle de la Nature. Ce qui est plus important pour nous, c’est que le Guerrier en armure noire s’est saisi du bâton de notre Grand Druide, le bâton de l’Office. Sans ce bâton, nous sommes orphelins, nous ne pouvons désigner un nouveau meneur pour notre peuple.
- Et vous pouvez pas en tailler un autre ?
- Nous pourrions le faire en effet. Cela prendrait du temps et beaucoup d’énergie, mais c’est déjà arrivé de par le passé. Notre inquiétude porte plus sur le lieu dans lequel le bâton du Grand Druide a été amené. Le Guerrier à l’armure noire, comprenant que la bataille tournait à son désavantage, a fui avec quelques uns de ces aveugles impies qui l’escortaient. Sans doute mus par l’instinct de leur cœur corrompu, ils se sont dirigés vers une partie de la forêt où nous ne pouvons pénétrer : l’Opikabana.
- L’Opikabana, reprend Loël. Très intéressant…
- L’Opikabana est une partie corrompue et maudite de la Forêt. Autrefois s’y trouvait une puissante cité, Membach. Mais les hommes de Membach étaient arrogants et expérimentaient de dangereuses magies. Un jour, la Forêt s’est retourné contre eux et la cité fut détruite. Mais le cœur de la ville était trop corrompu pour que la nature puisse y reprendre ses droits. Aujourd’hui, c’est un noir abyme au sein du Vert de la Forêt. La nature y est déformée et maléfique, les ruines de Membach y déversent encore le poison de la corruption. Nous craignons que la puissance du bâton du Grand Druide ne soit corrompue à son tour par l’Opikabana et que celui-ci n’en gagne en intensité, faisant s'étendre la corruption du lieu. C’est pourquoi il nous faut récupérer le bâton.
- Et pourquoi ne pouvez-vous pas envoyer quelqu’un le chercher ?
- Pour le peuple de la Forêt ce lieu est tabou, ceux qui s’y rendent, s’ils en sortent vivants, doivent être sacrifiés d’avoir brisé le tabou. Votre arrivée éviterait ce triste sort aux plus valeureux de nos guerriers qui se sont déjà proposés pour y aller. Voilà le service que nous vous demandons.
- Hum… C’est pas comme si on avait franchement le choix… Mais de toute manière, je suis convaincu que l’Opikabana est la bande noire que j’ai aperçue dans mon rêve. C’est bon pour moi. Loël ?
- Tout ça me paraît très intéressant ! Allons-y !