Le Livre Maudit (Part 2)
Nos héros transportent les corps plus près du refuge, sans trop s’en approcher, et le Garde inconscient est adossé à un arbre en attendant qu’il ne reprenne ses esprits. Le corps du demi-elfe est fouillé, et une missive y est retrouvée. Elle est scellée du sceau de Mezrâ, une Lune Pourpre :
« Ta couverture est dévoilée. Fuis au plus vite avec l’objet. Nous te retrouverons à l’endroit convenu. »
- Hé, les gars, qu’esse qui se passe ? fuse soudain une voix dans l’obscurité.
C’est Erasmus qui a enfin rangé ses affaires et qui en a profité pour protéger ses vêtements de la pluie.
- Oh là ! Ca a cartonné ! ‘tain ! Vous avez attaché un Garde Pourpre, mais on va se faire allumer !!!
- Lothar lui penser que eux être imposteurs. Eux avoir tué demi-elfe avec flèche empoisonné, lui dire que ça pas pouvoir être méthode de Mezrâ.
- A mon avis, ils sont capables de tout, c’est pas des rigolos quand on est pas d’accord avec eux. Cela dit, c’est vrai que ça paraît un peu bizarre. Et pourquoi ils l’ont buté, le demi-elfe ?
Lothar et Yjir échangent un regard hésitant, sachant le risque de montrer à Erasmus un ouvrage de magie, peut-être. Mais l’initiative ne leur est pas laissée, puisque Sküm, le plus innocemment du monde, tend le paquet au Gnome :
- Ils voulaient récupérer ce bouquin. Et on a trouvé une lettre. Je l’ai pas lue parce que c’est pas facile, mais Lothar dit que ça disait au demi-elfe qu’il était découvert et qu’il fallait qu’il s’enfuie…
- Hum, fait Erasmus en attrapant le livre. Sküm, tu peux me protéger de la pluie deux minutes que je regarde ça ?
- Erasmus, dit Lothar, quoiqu’il y ait à l’intérieur de ce paquet, je t’enjoins à la prudence. Yjir a déjà déterminé que c’était de nature magique…
- Vous me prenez pour qui ? Je suis pas un débutant, non plus…
Erasmus sort précautionneusement le livre du paquet de cuir dans lequel il était conservé. Le livre lui-même est enveloppé dans une boîte en bois laqué peinte de caractères ésotériques. La boîte a du être autrefois scellée par le sceau de Mezrâ, mais celui-ci est maintenant brisé. Erasmus semble hésiter un instant à sortir le livre de la boîte, puis il se retient finalement.
- Le mystère s’épaissit… Ces boîtes sont utilisées par le Temple de Mezrâ pour y conserver généralement les ouvrages interdits car jugés dangereux. Ces boîtes contiennent normalement toute magie à l’intérieur, mais le sceau ayant été brisé… Enfin, j’examinerais ça plus tard.
Le gnome s’apprête à mettre le livre dans sa besace, mais Lothar l’interrompt :
- Laisse, Erasmus, ta besace est déjà très encombrée avec tous ces ouvrages. Je vais me charger de porter le livre.
- Non, ça ira, je t’assure, répond le gnome, mais il est évident que sa besace ne ferme plus…
De mauvaise grâce, Erasmus tend l’ouvrage à Lothar, qui le met au fond de son sac de voyage. Contre l’arbre, le Garde Pourpe gémit et reprend connaissance.
- Bon, nous allons pouvoir t’interroger, maintenant, dit Lothar. Dis nous pourquoi vous êtes déguisés en Gardes Pourpres et pourquoi vous avez assassiné le mage demi-elfe.
- Nous ne sommes pas déguisés en Gardes Pourpres, nous sommes des Gardes Pourpres. Et croyez-moi, le Temple de Mezrâ ne sera pas du tout content de découvrir ce que vous avez fait…
- Je suis un adepte de Zendâ. Je pense ne pas me tromper en disant que votre comportement est à des lieues de celui des Gardes Pourpres.
- En temps normal, tu as raison. Mais cette mission est très particulière. Le demi-elfe a volé au Temple un ouvrage interdit et dangereux, et il était possible qu’il s’en soit servi lui-même. Nos ordres étaient de ne prendre aucun risque et de le tuer s’il faisait la moindre résistance.
Yjir et Lothar se regardent, se demandant un instant s’ils n’ont pas commis une terrible erreur qui va les plonger dans des problèmes épouvantables…
- Nous avons trouvé une lettre sur le corps du demi-elfe, reprend Lothar, précisant qu’il est mandaté par le Temple de Mezrâ, justement, pour retrouver un objet, que je soupçonne être ce livre… Comment expliques-tu ça ?
- Je ne l’explique pas. Moi j’ai des ordres clairs de mes supérieurs au Temple de Mezrâ à Halos. Nous poursuivons ce demi-elfe depuis des semaines.
Lothar a une mine de plus en plus sombre, et commence à se demander si son approche humaniste ne l’a pas aveuglé face à la cruauté des représentants d’un culte frère au sien, mais dont les objectifs sont somme tout très différents… Et si les deux groupes adversaires faisaient partie du Temple légitimement et que c’était une querelle intestine qui les avait lancé les unes contre les autres ? Alors que le prête contemple les ramifications possibles d’un tel imbriglio, Yjir, semble avoir une idée et reprend la parole :
- Quoi être nom de Gardien des Arcanes de Temple de Halos, demande-t’il au Garde.
Celui-ci hésite une demi-seconde, un peu surpris peut-être par la question, et répond :
- Arcanus !
Yjir se tourne lentement vers Lothar et dit :
- Lothar, ton instinct pas avoir trompé toi. Lui être imposteur. Erasmus et moi connaître Gardien des Arcanes des Halos et lui pas s’appeler comme ça…
- Mais alors pour qui peut bien travailler cet homme, demande Lothar à voix basse à Yjir… Je ne peux tout de même pas le torturer pour le faire parler, même si c’est un assassin…
- Toi, non, mais moi ça me dérange pas de lui faire un peu mal, si c’est le seul moyen de le faire parler, intervient Sküm…
- Non, je ne le souhaite pas. Faisons-lui peur, plutôt.
Puis, se tournant vers le Garde il dit d’une voix ferme :
- Pour qui travailles-tu ?
- Va te faire voir, répond celui-ci en crachant vers Lothar.
- Tu sais, on a tout notre temps… Tu es assis là, dans le froid et sous la pluie, et il ne tient qu’à toi d’éviter de passer une nuit très désagréable en compagnie d’un loup sauvage qui n’a pas mangé depuis quelques jours…
Yjir siffle et Œil de Nuit s’approche en quelques bonds, avant de s’arrêter net devant le faux Garde et de grogner… Une lueur de terreur s’allume dans les yeux de l’homme, mais cela ne dure pas. Il regarde Lothar dans les yeux et, un petit sourire au lèvres, le nargue :
- Tu es prêtre de Zendâ, tu ne ferais jamais ça…
- Ne me tentes pas… Après tout, je pourrais toujours dire que c’est un loup qui t’a mangé, je n’y suis pour rien...
Mais Lothar n’est pas convaincant dans le rôle du cruel méchant, et l’homme sent bien qu’il ne risque rien. Nos amis s’éloignent, le laissant sous la surveillance d’Oeil de Nuit.
- Je ne comprends pas à quel faction ce type appartient, dit Sküm d’un air perplexe...
- J’ai peut-être un moyen de le faire parler... dit Erasmus en se frottant les mains.
- Non violent ? s’enquiert Lothar.
- Tout ce qu’il y a de plus pacifique !
- Allons pour ça alors, dit Lothar, mais avant, Yjir, je voudrais te poser une question. Tu m’as dit tout à l’heure que le demi-elfe était membre de la Grise Guilde parce qu’il avait un tatouage. Vous avez déjà rencontré des membres de cette guilde ?
- Ca être vrai. Nous avoir combattu contrebandiers Grise Guilde et avoir même affronté plusieurs fois assassin Grise Guilde.
- Salope ! rajoute Sküm, le visage crispé et le poing serré...
- Donc, reprend Lothar, si cet homme est membre de la Grise Guilde, il aurait un tatouage quelque part ?
- Je suppose, dit Erasmus. Ca c’est facile à vérifier !
Nos amis retournent vers l’arbre au pied duquel ils ont laissé l’imposteur, et Lothar commence sans ménagement à le dévêtir. Il n’a pas longtemps à chercher : sur l’épaule gauche, l’homme a un proéminent tatouage d’un rat noir. Lothar reprend son interrogatoire :
- Donc tu es membre de la Grise Guilde et tu as pris l’apparence d’un Garde Pourpre. Et c’est toi qui nous disait que nous allions avoir des ennuis avec le culte de Mezrâ ? Je ne préfère pas imaginer ce qu’ils feront de toi lorsque nous te livrerons à eux. Si tu nous dit pourquoi tu as tué ce type, on sera peut-être plus clément...
- Pfff... Vous savez pas à quoi vous avez à faire. Moi, si j’étais vous, je me donnerais le paquet et je partirais au plus vite ! Parce que lorsque mes supérieurs vont apprendre ce que vous avez fait, je ne donne pas cher de votre peau...
Lothar crispe le poing, retenant la claque magistrale qu’il s’apprêtait à donner au brigand. Il se tourne vers Erasmus :
- C’est quoi ton plan ?
- Laissez moi faire, dit-il avant de marmonner quelques mots dans le langage étrange des mages en faisant des gestes discrets.
- Eh, Erasmus, dit le brigand, tu veux pas dire à tes potes de me libérer ? Ca caille et je vais choper la crève. En plus, les cordes me font mal aux poignets...
Sküm et Lothar regardent le brigand avec étonnement, mais Erasmus leur lance un regard qui leur fait comprendre que tout cela fait partie du « plan ».
- Tu comprendras bien que je doive d’abord leur prouver que tu n’es pas mauvais bougre ; j’ai bien peur qu’il faille que tu gardes encore un peu tes liens... Rappelle moi ton nom, déjà ?
- Ah la la, ayez des amis... C’est Narvis. Mais je t’en veux pas. C’est vrai qu’on s’est pas vu depuis si longtemps... C’était quand déjà ?
- Oui oui, il y a bien longtemps. Tu habites où, ces jours-ci ?
- Toujours à Namarië.
- Et qu’est-ce que tu faisais là ce soir ?
- Euh... Je préfèrerais pas en parler devant tes potes là. Je pense pas qu’ils soient très bien disposés à mon égard.
- Tu as raison, je vais leur demander de s’éloigner.
Il se retourne.
- Yjir, Sküm, Lothar, ça ne vous dérange pas de partir un peu plus loin, demande le gnome à haute voix, nous souhaiterions parler « entre amis »...
Une fois les trois autres partis hors de portée d’oreille, Erasmus reprend :
- Donc tu fais quoi ici, loin de Namarië ?
- Une mission pour la Grise Guilde. Tu sais, au village, on est dix membres, infiltrés, sous les ordres de notre caïd...
- Il s’appelle comment le Caïd ?
- C’est Galtar, le bourgmestre. Mais tu gardes ça pour toi hein, sinon moi, couic !
- Ne t’inquiètes pas. Et vous deviez le buter pourquoi, le demi-elfe ?
- Il a volé un truc à la Grise Guilde. On a intercepté trois Gardes Pourpres qui venaient le retrouver. On les a fait parler pour avoir le lieu de rendez-vous et on est venu à leur place.
- Le truc, c’est le bouquin là ?
- Ah c’est un bouquin ? Nous on savait pas, on nous a juste dit une boîte couvertes d’inscriptions illisibles...
- Et vous deviez en faire quoi après ?
- On a une planque à une petite heure d’ici, une caverne. On devait laisser le paquet là-bas et rentrer au village.
- Je vois. Bon, merci pour ces infos, je garde ça pour moi. Je vais demander aux autres si on peut te détacher.
Erasmus retourne donc auprès de ses compagnons et leur relate la conversation. Une discussion s’engage sur la marche à suivre. Dans un premier temps, Lothar suggère de foncer au point de rendez-vous pour éventuellement intercepter le troisième faux garde, celui qui avait été touché par l’éclair du demi-elfe et que Lothar a soigné. Il s’est enfuit, et Lothar suppose qu’il a du se rendre à la caverne.
- Si c’est la cas, il faudrait l’intercepter avant que quiconque ne vienne. Ainsi, il ne pourrait pas relayer l’information et nous gagnerions quelques jours...
Après quelques minutes de discussion, tout le monde accepte ce plan. Après avoir rapidement récupéré leurs affaires à l’intérieur du refuge de Sylvain où tout le monde est maintenant endormi et caché les corps dans les sous-bois, nos amis se mettent en marche, le brigand monté sur un cheval mais les mains toujours attachées dans le dos. Il les guide à travers la forêt vers la cachette dont il a parlé.
Pendant qu’ils avancent, Lothar et Yjir discutent ce qu’ils vont faire du livre.
- Il faudrait l’amener au Temple de Mezrâ à Naïm, dit Lothar.
- Ca loin. Si Grise Guilde trouver trace à nous, voyage peut-être difficile...
- Certes. Mais si nous faisons une halte par Llambeth, le baron nous protègera. Il pourra même peut-être nous aider... D’autant que j’aimerais lui livrer ce malandrin, et je pense que nous devons au plus vite l’informer que le village de Namarië est aux mains de la Grise Guilde !
- Dans ce cas, toi pas penser que nous perdre du temps à aller vers caverne ? Si fuyard pas là-bas, nous avoir perdu quelques heures que pouvoir consacrer à chevaucher vers Llambeth...
- Tu as raison, Yjir, nous sommes en train de perdre du temps. Le plus tôt nous serons à Llambeth, le mieux cela vaudra...
Une fois la décision prise, Lothar informe discrètement Lothar et Sküm. Celui-ci est agacé :
- Vous êtes toujours pareils, vous les intellos... Vous vous triturez la cervelle pendant des plombes, et finalement vous changez d’avis au bout de dix minutes...
Malgré ses bougonnements, il accepte d’assommer le malandrin qui ne soupçonne pas que son sort vient de changer... Un bon coup de poing sur la nuque tandis qu’Erasmus lui attire l’attention et le tour est joué. En un instant, le voilà saucissonné sur le cheval supplémentaire. Nos amis tentent tant bien que mal de récupérer la route principale en coupant à travers la forêt, mais la nuit et la pluie rendent l’orientation difficile, si bien qu’ils finissent par retourner au refuge pour retrouver leur chemin.
Une fois là, ils entament une chevauchée la plus rapide possible malgré l’humidité et la nuit, espérant arriver à Llambeth le lendemain soir. Au milieu de la nuit, les chevaux et les hommes commençant à faiblir, ils décident de monter un camp de fortune et de dormir quelques heures. Tout le monde ayant besoin de repos après cette journée humide et harassante, nos amis décident de faire confiance aux sens d’Oeil de Nuit et de Korg, et tout le monde s’entoure de ses couvertures pour un repos qui sera court.
- Eh, Erasmus, t’entends ça ? demande Korg dans un chuchotement caquetant à l’oreille de son maître.
- Hein ? Qu’est-ce que c’est, fait le gnome, désorienté par ce réveil brutal.
- C’est justement ce que je te demande ! répond le corbeau agacé.
C’est encore le milieu de la nuit. Il fait froid et humide, le vent souffle dans les feuilles. Il n’y a rien d’anormal, et Erasmus s’apprête à tancer vertement son corbeau pour cette mauvaise blague, quand soudain il lui semble percevoir un bruit inhabituel, comme un bourdonnement sourd. Le bruit s’intensifie légèrement, il semble venir du ciel.
- Tu es allé voir ce que c’est, demande Erasmus à Korg.
- C’est à dire que, je suis pas rassuré...
- Tu seras camouflé par les frondaisons. Va voir, vite !
Korg monte, et le bruit semble s’intensifier. Discrètement, Erasmus réveille Sküm mais ils décident d’attendre quelques instants avant d’interrompre le sommeil de leurs deux compagnons. Le bruit s’amplifie toujours, faisant penser à celui de milliers de bourdons en furie. Finalement, une ombre immense se détache au dessus de la forêt, mais il semble bien que sa destination ne soit pas le campement de nos amis puisqu’elle continue son vol en direction du nord, le bourdonnement perdant régulièrement de son intensité. Korg revient sur l’épaule de son maître :
- Ouah, quelle horreur ! On aurait dit un immense bourdon... Au moins gros comme trois chevaux !
- Bon, il a l’air d’être parti. Profitons-en pour finir notre nuit. Réveille nous si ça recommence !
Mais le reste de la nuit se déroule sans encombre, et c’est la rosée glacée de l’aube hivernale qui réveille finalement nos amis. Après de rapides ablutions et quelques minutes de recueillement (pour Lothar et Yjir), nos amis sont repartis au galop cette fois-ci. Malgré les craintes de nos héros, la journée se déroule sans encombre, et c’est au crépuscule qu’ils parviennent aux portes de Llambeth. Comme il est habituel dans cette ville fortifiée, leurs armes leurs sont retirées, mais lorsqu’ils demandent à être menés jusqu’au Baron, le garde en charge rechigne un peu :
- Et qu’est-ce qu’y se passerait si je menais tous ceux qui demandent à voir le Baron à sa porte ?
- Vous semblez oublier qu’il y a parmi nous un Chevalier de la Baronnie, répond Erasmus.
Le garde se tourne vers Lothar, le visage contrit :
- Mille pardons, messire. C’est que vous ne portez pas les Armes de votre fief, c’est la source de ma méprise.
- Il y a une méprise, mais ce n’est pas celle que vous croyez ! Je n’ai qu’une seule maîtresse, la Déesse Zendâ. C’est Sküm, ici présent, qui est Chevalier de Llambeth.
Le garde jauge le demi-orc d’un air méfiant, et celui-ci lui tend la lettre de marque du Baron qui stipule qu’il est Chevalier en attente d’adoubement. Le garde n’est visiblement pas convaincu, et il appelle un de ses collègues. Ce dernier examine le courrier, et, ne souhaitant sans doute pas endosser la responsabilité de déranger le Baron, il part chercher le sergent du poste de garde. Celui-ci revient quelques instants après, et s’incline immédiatement bien bas :
- Bienvenue à Llambeth, messeigneurs. C’est un plaisir de revoir des héros tels que vous parmi nous !
Les deux gardes sont abasourdis, si bien que le sergent doit leur expliquer :
- Ces personnes sont les amis du Baron qui ont permis de sauver de l’esclavage tous des pauvres gens qui sont arrivés il y a quelques semaines ! Messeigneurs, je vais moi-même vous escorter jusqu’au castel du Baron.
- Sergent, serait-il possible de mettre cet homme « au frais », demande Lothar en montrant le brigand saucissonné sur son cheval. C’est un traître qui travaille pour des intérêts étrangers à la Baronnie sur son territoire, et je pense que le Baron souhaitera l’interroger personnellement... Gardez-le précieusement !
Quelques minutes plus tard, nos amis sont donc introduits dans le bureau privé du Baron. Celui-ci est penché sur une immense carte de la baronnie, et le Baron donne congé à un de ses aides de camps au moment où nos amis entrent. Le Baron a l’air fatigué et les rides qui creusent son front laissent entendre qu’il est gravement préoccupé. Mais il n’en laisse tout d’abord rien paraître :
- Mes amis ! Vous voici de retour ! Mon ambassade est revenue pour m’annoncer la nouvelle du couronnement du roi Dragoun, mais je serais heureux de l’entendre relater par vos bouches !
- Ce serait fort volontiers, Baron, mais nous avons malheureusement des nouvelles plus pressantes à vous relater...
- J’espère qu’elles ne sont pas mauvaises, j’en ai déjà bien assez comme cela...
Nos amis se regardent un instant, puis Lothar raconte rapidement au Baron leur rencontre de la veille, la manière dont ils ont récupéré le livre et les informations qu’ils ont pu glaner sur le village de Namarië, semble-t’il repaire de la Grise Guilde.
- Ainsi, Baron, vous allez pouvoir arrêter le caïd et sa bande avant même qu’ils ne sachent que nous avons récupéré le livre, termine Lothar.
- En temps normal, je me poserais peut-être la question, Lothar, mais en ce moment, la dernière chose que j’aie envie de faire, c’est de me mettre la Grise Guilde à dos.
Nos amis sont quelque peu interloqués, si bien que le Baron s’explique :
- Depuis quelques jours, la baronnie est l’objet d’assauts occultes et inexplicables. Toutes mes ressources sont consacrées à répondre à cette menace. Cela ne veut pas dire toutefois que votre information ne me servira à rien, au contraire. Dès ce soir, je vais établir une surveillance à Namarië, et qui sait, cela sera peut-être plus payant à long terme qu’une arrestation massive.
- Baron, quels sont les troubles « occultes » auxquels vous êtes confronté, demande Erasmus assez cavalièrement.
Le Baron soupire, et montre la carte de la baronnie de Llambeth déployée sur son bureau. Trois croix rouges y ont été marquées, l’une au sud, l’une vers l’ouest, dans les montagnes, et l’une au nord-est, non loin de la frontière.
- Ces croix représentent trois villages. Ils ont été dévastés par une force inconnue. Il n’y a aucun survivant, aucun témoin, et la violence des assauts semble avoir été terrible. Nous pensons à un péril occulte parce que nous avons retrouvé, dans un des trois villages, un cercle tracé sur le sol orné d’entrelacs mystiques. Nous avons mandé les services d’un Mage Recruteur de la Guilde de Haute-Magie de passage pour qu’il nous donne son avis sur ces entrelacs, mais il n’en avait jamais vu de pareils.
- C’était Gorion ? Nous l’avons rencontré au refuge non loin de Dwargon... interrompt Erasmus.
- Oui, c’était lui.
- Mais par quoi ces villages ont-il été dévastés ?
- On ne sait pas. On a retrouvé d’innombrables traces de sabot, des corps affreusement mutilés, certains à moitié brûlés, comme par un acide. Des murs étaient effondrés... Bref, les villages ont été rasés. L’un d’entre eux se trouve d’ailleurs dans le fief de votre ami Garwin...
Un silence stupéfait s’installe. C’est finalement Lothar qui le brise :
- Baron, nous devons impérativement nous rendre au Temple de Mezrâ à Naïm pour remettre ce dangereux ouvrage à qui de droit. Je vous promets que nous reviendrons au plus vite pour vous aider à trouver le mystère qui affecte votre baronnie. D’ailleurs, nous parviendrons peut-être à enrôler quelques représentants du Temple de Mezrâ ou de la Guilde de Haute Magie pour nous aider.
- Merci mes amis. Alors c’est à mon tour de faire le maximum pour que vous arriviez rapidement à Naïm. Je vais vous doter de quatre chevaux supplémentaires pour que vous puissiez pousser les vôtres sans les tuer à la tâche.
Sur ces considérations, le Baron encourage tout le monde à profiter d’une bonne nuit de repos, et tout le monde se retire.
Le lendemain matin, après avoir demandé au Baron de pouvoir discrètement quitter Llambeth afin de fausser compagnie à d’éventuels espions de la Grise Guilde, nos amis retrouvent leurs montures à l’extérieur des remparts et reprennent la route au plus vite. Ils chevauchent dur toute la journée, changeant de montures à mi parcours, et trouvent une auberge non loin de la Naïmide pour y passer la nuit.
L’auberge est encore vide lorsqu’ils s’installent. Du coup, ils payent grassement l’aubergiste pour qu’il n’accepte pas d’autre clients qu’eux. Ils se couchent tôt, mais non sans prendre quelques précautions : Lothar et Sküm partagent une chambre, Yjir et Erasmus l’autre. Le prêtre de Zendâ dort avec le livre sur la poitrine, et il a placé son épée le long de la porte pour que celle-ci tombe si quelqu’un tentait de s’y introduire. Sküm, quant à lui, dort avec sa hache le long du corps.
Ces précautions ne sont pas inutiles, mais pas non plus suffisantes. Au milieu de la nuit, un léger bruit réveille Lothar. Il ouvre les yeux, et aperçoit deux silhouettes vêtues de vêtements jaune et orange. Ils sont devant la porte, mais celle-ci n’a pas bougé, et son épée y est toujours appuyée. Lothar crie pour alerter ses compagnons. Sküm se réveille en sursaut, mais les deux hommes pointent leurs doigts, l’un vers le prêtre, l’autre vers le demi-orc. Sküm s’effondre sur sa couche, terrassé de sommeil. Lothar sent ses paupières s’alourdir, mais il résiste de son mieux et parvient à écarter cette torpeur magique.
Pendant ce temps, Yjir et Erasmus sautent de leur lit dans la chambre à côté, et se cognent dans le noir. Lothar invoque la protection de sa déesse, juste avant qu’un des deux hommes ne pointe à nouveau le doigt vers lui en psalmodiant. Lothar sent alors ses muscles commencer se tétaniser, mais luttant de toute sa volonté il parvient à briser cette paralysie magique. Aussitôt il fonce vers son épée, entre les deux mages qui poussent un juron et se regardent l'un l'autre, hésitant sans doute sur la marche à suivre…
Pendant ce temps, Yjir et Erasmus sont arrivés sur le palier, mais ils n’y voient goutte. Yjir retourne donc dans sa chambre pour trouver une chandelle et l’allumer. A l’intérieur de la pièce, les deux mages se sont remis à incanter tous deux, et soudain, sous les yeux ahuris de Lothar, ils se dissolvent en une brume évanescente. Un des nuages se dirige vers la fenêtre et l’autre se glisse sous la porte.
- Ils viennent de se transformer en brume ! crie le prêtre d’une voix un peu hystérique. Il y en a un sur le palier et un à la fenêtre !
- Zendâ ! Eclaire moi de ta divine lumière ! clame-t’il ensuite avant d’ouvrir la porte de la chambre, épée à la main.
Sur la palier, Erasmus aperçoit soudain, à la lumière que projette l’épée de Lothar une forme brumeuse qui se glisse lentement entre les lattes du plancher.
- Toi mon bonhomme, dit-il avant de faire tournoyer ses mains tout en chantant une puissante formule…
Mais sa magie ne semble avoir aucun effet. La forme brumeuse se fond dans le plancher, malgré les coups d’épée répétés de Lothar.
- En bas ! hurle celui-ci. Elle va bien ressortir quelque part !
Il bondit en bas de l’escalier, suivi par Erasmus et Yjir. Sküm est toujours endormi.
Mais arrivé en bas, nulle trace de la brume… Yjir demande à Œil de Nuit de sentir l’ennemi, mais le loup est désorienté, ne comprenant pas bien ce qu’on lui demande… Lothar remonte pour essayer de repérer par la fenêtre la seconde ombre, tandis qu’Erasmus et Yjir se ruent vers la porte de l’auberge. Mais lorsqu’ils ouvrent celle-ci, elle vole en éclat, emportée par des tentacules noirs qui viennent de jaillir du sol bloquant le passage. Avant qu’ils puissent réagir, Erasmus est emporté par trois tentacules visqueux qui commencent à le broyer, l’empêchant par là même d’effectuer la moindre magie…
En haut, Lothar a donné un coup de pied à Sküm pour le réveiller et il est en train d’ouvrir les volets lorsqu’il entent la commotion au rez-de-chaussée. Avant de sauter, il regarde pour tenter, sous la lumière de la lune, d’apercevoir leurs ennemis. Il lui semble bien voir une silhouette camouflée dans les fourrés, à une cinquantaine de mètres de l’auberge. Il saute par la fenêtre, bientôt suivi par Sküm qui a repris ses esprits. Lothar court vers la silhouette tandis que le demi-orc s’apprête à tailler dans les tentacules à grands coups de hache.
En bas, Erasmus est au plus mal. Il ne peut rien faire, et Yjir et Œil de Nuit qui ont tenté de lui venir en aide ont été enserrés eux aussi par les immondes tentacules. Lorsque Sküm arrive, il semble qu’Erasmus est au bord de l’évanouissement, , mais le demi-orc a vite fait de trancher les tentacules qui l’immobilisaient. Erasmus se retrouve donc à l’extérieur pendant que Sküm, ignorant l’ennemi visqueux, s’efforce de libérer le druide et son loup.
Pendant ce temps, Lothar a pu voir que le mage fuyait au loin. Il montre à Erasmus la direction dans laquelle il est parti, et sans hésiter, le mage projette une flammèche dans cette direction, qui va exploser non loin d’une silhouette fuyante. Un cri se fait entendre dans la nuit, et Lothar et Erasmus courent pour si possible maintenir en vie le mage afin de pouvoir l’interroger. Mais la magie d’Erasmus a été trop efficace… Il ne subsiste qu’un corps fumant dont on distingue encore vaguement l’uniforme jaune et orange sur lequel un blason se distingue clairement : une lyre entourée de deux ailes. Une fouille rapide montre que l’homme n’avait rien sur lui.
- Il n’a pas de composants magiques, dit Erasmus d’une voix grave. Ce sont donc des sorciers auxquels nous avons affaire…
Erasmus et Lothar reviennent à l’auberge. Là, Sküm a fini de libérer Œil de Nuit et Yjir, et ce dernier s’efforce de brûler les tentacules à l’aide d’un globe de feu primordial qu’il a invoqué. Finalement, au bout de quelques minutes, l’horreur tentaculaire est éliminée, et tous rentrent dans l’auberge pour souffler un peu.
- C’est bizarre, l’aubergiste ne s’est même pas réveillé, dit Lothar.
- Il n’est peut être plus en état de se réveiller, répond sombrement Erasmus.