Les Terres Anciennes [UPDATED 24/03/03]


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Sammael99

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Le Chemin des Rois (Part 2)

Extraits de « Vie Barbare », biographie romancée de Sküm l’Intrépide, par le barde Galeïmon Dermanol, sur base des témoignages de l’intéressé.

Je me souviendrais encore longtemps des effroyables cris du géant, découvrant les corps mutilés de sa femme et de son petit. Je crois que ses plaintes ont ébranlé les parois du passage où nous progressions silencieux, comme ils ont ébranlé l’esprit de chacun d’entre nous pendant les longues heures où nous allions rester sous la terre. Il semblait soudain que nous pénétrions dans des entrailles infernales, menés par un guide incertain, et que nous en ressortirions peut-être, mais profondément changés. Nous restâmes tous muets, réalisant la douleur que nous avions causée par notre maladresse, nous imaginant à hurler à la mort puis sangloter sans fin. Il fallut beaucoup de temps pour que la distance n’affaiblisse enfin la voix de ce malheureux.

De temps à autre, Umar s’agenouillait à nouveau et murmurait le rituel des Rois et nous indiquait le chemin à suivre dans le dédale de roches qui nous entouraient. Nous arrivâmes enfin à un coude qui s’élargit, révélant un gouffre immense qui nous barrait la route. Il y avait eu sans doute autrefois un passage aménagé par les nains, mais aucun moyen de traverser n’était apparent. J’ignore combien d’heures nous avions passées sous terre, mais la vue de ce nouvel obstacle acheva de nous décourager pour la journée. Nous décidâmes donc d’établir le camp devant le précipice à la sortie du tunnel.

Tandis que nous nous affairions pour le soir, Cendres décida d’inspecter la paroi pour détecter des passages en contrebas, mais au lieu de se pencher précautionneusement au bord du gouffre, elle disparut d’un coup au dessous de nous, descendant l’à-pic avec l’aisance d’un insecte. Yjir, quant à lui, se tint au bord de la paroi et se métamorphosa en volatile d’envergure pour plonger ensuite au fond du précipice.

Cendres réapparut quelques minutes plus tard, escortée par le grand oiseau aux étranges tatouages :

- Il y a un sentier étroit qui descend le long de la falaise, mais je ne peux en voir le fond. Il faudrait investiguer pour voir où il mène…

- Ça mener à pont mais pont brisé. Ça seule route possible, renchérit Yjir, ayant repris sa forme normale.

- Mouais, grommela Erasmus, et comment on fait pour défier la loi de l’apesanteur ? On se change tous en araignées ou tous en oiseaux ?

- En tous cas, ce ne sont pas tes explosions de flammes qui vont nous aider à traverser…, lança Cendres au gnome d’une voix venimeuse.

- Mais c’est qu’elle pique la mygale ! rétorqua le gnome. La prochaine fois qu’il y a de la castagne, tu devrais essayer ton nouveau tour.

- Tu as failli tous nous griller ! Tu es complètement inconscient ! Tu devrais retourner à tes études de magie !

Avant que les choses ne s’enveniment encore, Yjir intervient :

- Vous laisser moi méditer cette nuit, Dame Nature ouvrira chemin.

Les évènements de la journée combinés à cette dernière altercation achevèrent de me décourager. Je sombrais dans un profond sommeil troublé par les exclamations de mes compères. Je rêvais de corridors tentaculaires, de gouffres, d’araignées et d’oiseaux géants. Mais mes rêves ne dépassèrent ni en intensité ni en étrangeté les folles aventures du lendemain.

Yjir, par dieux savent encore quelle diablerie, nous changea tous en volatiles pour franchir le gouffre. Je ne souhaite pas refaire l’expérience, bien qu’elle fut par certains côtés inoubliable. J’étais une bête, bien différente de celle qui m’avait habitée jusqu’ici, dont je me rappelais encore la puissance, l’odorat et le goût compulsif du sang. Cette fois, ce qui m’imprégnait, c’était l’air qui me guidait dans tous mes instincts. Ma faiblesse, ma force, c’était l’air qui glissait sur moi. Cela ne dura quelques secondes car à peine avais-je touché le sol de l’autre coté du vide, je me métamorphosais au plus vite pour retrouver à ma forme initiale.

Ce changement de forme me rendait nerveux et j’avais peur de sentir mon contrôle sur moi-même, chèrement appris au monastère de Taërion, s’estomper. J’étais obsédé par l’idée que si je pouvais me changer en oiseau, l’envie pouvait me revenir à tout instant de reprendre ma forme lupine ce qui, dans les circonstances actuelles, serait désastreux… Perdu dans mes pensées, je ne m’aperçus pas que nous avions marché assez longtemps pour déboucher sur une nouvelle caverne, plus basse encore que les précédentes. Mon dernier pas fit trembler le sol autour de moi et des craquements inquiétants se firent entendre.
- Vite, par ici, m’indiqua l’elfe dans gracieux mouvement que je ne pus imiter que d’un saut un peu lourd. Le coin a l’air plein de crevasses..

- En effet, il convient davantage aux nains et aux gnomes qu’aux elfes et encore moins aux or..demi-orcs, expliqua Umar. Cette caverne est un coin fameux pour ses vers de roche.

- Ce doit être goûteux, ironisa Erasmus, peut-être un peu croustillant non ?

- Ça ne se mange pas vraiment… En fait, les vers de roches se nourrissent, comme leur nom l’indique, de roches poreuses. Certains spécimens peuvent atteindre plusieurs mètres de long, et ils sont attirés particulièrement par certaines roches. Le sous-sol de cette caverne doit être fécond en minéraux qu’ils affectionnent. Du coup, le sol est dangereux. Voyez ces tâches plus sombres sur le sol ? Ce sont des affaissements. La roche en dessous est fragile et poudreuse, et si l’on marche dessus, on risque de tomber au fond d’un trou et de mourir étouffé par les poussières de roches.

- Charmant ! répond Erasmus. Et on fait comment alors ?

- Vous me suivez. Lorsque j’étais jeune, j’ai beaucoup chassé le ver des roches. On va voir si je n’ai pas trop perdu de mes réflexes.

- Et pourquoi les chasse-t’on s’ils ne se mangent pas, demande le gnome, toujours curieux.

- Ils ne digèrent pas très bien les cristaux et les pierres précieuses. Ils les stockent donc dans un espèce de gésier. C’est cela que chassent les jeunes nains, parfois au péril de leur vie. Continuons, je vais faire la trace, bien que ce ne soit plus de mon âge.

Nous nous miment donc en file et suivirent attentivement l’itinéraire tracé par Umar. Mis à part quelques craquements inquiétants et d’occasionnels nuages de poussière rocheuse, la traversée se déroula sans encombre, mais nous fit perdre un temps précieux. Arrivés de l’autre côté, Umar s’agenouilla de nouveau pour rechercher la voie de ses ancêtres. Une fois encore, son anneau se mit à rougeoyer et révéla les runes secrètes gravées sur l’un des passages.

- C’est par ici. Essayons d’accélérer le pas, je souhaiterais que nous arrivions à Khazel-Andûn avant la nuit.

Umar nous expliqua que Khazel-Andûn, le Champ des Mille Larmes, était une immense caverne par laquelle on pouvait accéder au royaume de Maborg. Nous avancions au plus vite, mais la pente descendante s’accentuait, et le passage se faisait de plus en plus humide. Après quelques heures de marche supplémentaire, j’arrêtais soudain Erasmus qui me suivait de près :

- J’entends des bruits devant nous, chuchotais-je.

Le gnome s’arrêta puis, prêtant l’oreille, dit :

- Ca ressemble à des… à des coups de pioches.

- Des coups de pioche ici ? T’as le mal des profondeurs le gnome ! Qui veux-tu qui vienne creuser dans cet endroit sinistre ? Enfin, nous verrons bien… Avançons.

Bien que le son se précisât au fur à mesure que notre progression, il nous fut impossible de valider ou d’invalider la thèse d’Erasmus jusqu’à ce que nous aboutîmes à l’orée d’une nouvelle caverne où résonnait très distinctement le bruit qui nous intriguait depuis quelque temps. Des bruits sourds, métalliques se faisaient écho, comme des bruits de pioche, en effet, mais sans que nous puissions en voir la source. Nous décidâmes de rester à couvert et d’essayer d’en savoir plus avant d’avancer. Nous sentions une présence mais nous étions incapables de déterminer si elle était ou non maléfique.

Erasmus, qui tenait fermement à sa théorie des pioches, décida de partir en éclaireur, non sans s’être entouré de précautions magiques qui le rendirent invisible. Il ne restait plus qu’à attendre. Je me méfie toujours de ces manigances incompréhensibles et de ces messes basses qui finissent toujours par se détraquer. La veille, c’était les explosions de flammes incontrôlables, et je me demandais, planté dans le noir au bout du corridor avec mes compagnons, ce que se pourrait être cette fois. Cependant, j’évitais de partager mes craintes avec mes amis qui disposent tous plus ou moins de ces dons bizarres, et qui se seraient sans doute encore moqués de mon ignorance dans le domaine.

L’incident ne se fit pas attendre, à tel point que je me mordais les doigts d’y avoir pensé : peut-être y l’avais-je malencontreusement provoqué en l’invoquant ? Erasmus s’était rendu invisible, mais pas silencieux. Il avait dû buter sur une pierre et aussitôt, il se fit repérer par des êtres lumineux qui se mirent à tournoyer autour de lui. D’où nous étions, on ne voyait pas grand chose, et surtout pas le gnome, et je me demandais alors comment des êtres si éthérés pouvaient envisager d’utiliser des pioches ou des outils quelconques.

C’est alors que nous entendîmes résonner une voix chevrotante venue de nulle part. Je réalisais alors que nous devions être encore une fois en présence d’un mage et que les sphères lumineuses n’étaient pas vivantes mais devaient être encore l’effet d’un sortilège. A ma grande stupeur, Erasmus réapparut alors et se mit à dialoguer sur un ton qui semblait serein avec son interlocuteur. De nombreux gnomes apparurent autour de celui qui avait pris la parole. Erasmus nous traduisit plus tard quelques bribes de la conversation qui s’était déroulée en langue gnome.

- Préparez-vous à combattre Pythagore Theocritus le Second, magicien diplômé cum laude de l’Université Illusionniste d’Antarbel. Je jure que vous aurez à le regretter amèrement si vous ne vous montrez pas comme doit le faire un homme de cœur.

- Je m’en voudrais de ne pas saluer comme il se doit un congénère, et de plus un maître dans son domaine, répondit alors Erasmus en se découvrant. Il m’est bien agréable de rencontrer des personnes de votre qualité dans un endroit aussi insolite… Permettez-moi de me présenter. Je suis Erasmus. Je suis accompagné de quelques amis… qui se trouvent un peu plus loin. Mais dites-moi, votre présence pique ma curiosité : que faites-vous ici ?

- Humm, nous pourrions vous retourner la question, mon cher ami ! Mais je vois que vous vous montrez intéressé par mes travaux… Sans pouvoir vous dévoiler la véritable quintessence de mes recherches, j’effectue une expédition scientifique de grande ampleur. Non, non, n’insistez pas, je ne vous en dirais pas davantage. Vous ne pouvez pas vous imaginer le véritable espionnage industriel dont sont victimes les chercheurs de ma trempe. Aussi dois-je prendre quelques précautions comme vous avez pu le voir.

Erasmus ne nous traduisit bien sûr pas toute la conversation, et je ne doute pas que, fidèle à son habitude, il n’ait embelli son esprit et sa verve dans le récit qu’il nous en fit. Le dialogue fut sans doute plein de nuances et de circonvolutions impossibles à saisir pour l’esprit simple qu’est le mien. Le seul intérêt de la rencontre, outre d’égayer notre seconde journée sous terre, fut de nous informer qu’un groupe d’humanoïdes, apparemment armés, s’était installé dans la grande caverne vers laquelle nous dirigions nos pas.

- Ça pas bon ! supposa Yjir alors que nous avions repris notre route par un nouveau passage décidément humide, après avoir pris congé du savant gnome et de ses compagnons. Ennemi campé aux portes de Royaume Nain. Peut-être espions elfes noirs. Si nous devoir affronter eux, eux prévenir zurpateur avant nous être arrivés.

- Si c’est le cas, nous devrons agir discrètement pour identifier de qui il s’agot et éventuellement quel rôle ils jouent dans la lutte de succession.

- Je ne puis croire qu’il s’agisse d’elfes noirs, reprend Umar, la voix dure. Khazel-Andûn est le lieu de leur antique défaite. Ils n’oseraient pas…

Il nous fallut presque encore une journée entière pour rejoindre le Champ des Mille Larmes, une immense voûte de plusieurs kilomètres qui abritait un lac intérieur. Toutes, y compris le lointain plafond ruisselaient d’eau et ce bruit permanent, mêlé à l’obscurité moite protégeait notre discrète arrivée. C’était un peu comme une pluie glacée qui nous tambourinait le crâne de façon incessante. Même moi qui suis pourtant habitué à l’obscurité, j’avais du mal à voir au loin, et je compris bien vite qu’à l’exception d’Umar, nul n’y voyait goutte.

Nous montâmes un camp pour quelques heures de repos et de réflexion. Nous étions tous persuadés qu’il nous fallait échafauder un plan pour pallier à notre désorganisation chronique mais les avis étaient partagés quant à la marche à suivre. Après de vives discussions, il m’échut le rôle d’éclaireur. J’étais l’un des seuls à pouvoir évoluer dans le noir absolu, ce qui était primordial pour ne pas être repéré. Je n’étais pas très silencieux mais mon apparence ferait diversion puisque Erasmus se proposait de me rendre invisible afin que j’aille jusqu’au cœur du camp ennemi. Je n’étais pas chaud pour une transformation de plus, mais il me tenait à cœur de me rendre utile dans cette aventure et d’apporter ma contribution au succès d’Umar.

Nous avions entendu quelques bruits suspects en contrebas de la rivière souterraine au bord de laquelle Umar avait établi notre camp. Comme cela correspondait à la direction générale où le sage gnome nous avait signalé le campement des humanoïdes, je m’y rendis prudemment. Il apparut bientôt que le campement était sur l’autre rive, mais il y avait là un gué naturel. Je traversais à mi mollet le cours d’eau glacé et j’évitais à ma grande surprise une sentinelle adossée à un rocher. Heureusement, couvert par le bruit de l’eau, je n’avais pas été entendu, et j’eux tout le loisir d’étudier l’elfe étrange que j’avais en face de moi.

Il était de plus petite taille que Targedaël ou Cendres, et plus svelte aussi. Sa peau était d’une couleur grise tendant vers le noir, origine de leur nom, j’imagine. Ses cheveux de jais laissaient entrevoir deux oreilles pointues plus développées que celles des elfes normaux que j’avais pu voir. Il était armé d’un arc et portait au côté une épée courte. Sous sa tunique grise, il était protégé par une cotte de mailles noires.

Je me faufilais jusqu’au centre du campement. C’était bien, comme l’avait soupçonné Yjir, un campement d’elfes noirs. Umar allait fulminer… Il se composait d’une demi-douzaine de tentes disposées en cercle autour d’une large tente centrale. J’observais les allées et venues des ennemis. Comme Umar nous l’avait indiqué, le société des elfes noirs est matriarcale. Leurs chefs sont, aussi curieux que cela puisse paraître pour un orc, des femelles. Et en effet, la tente centrale était occupée par une femme tandis que les autres étaient celles des hommes. Le plus étrange était qu’il y avait des nains qui semblaient parfaitement à l’aise au milieu de cette troupe d’elfes. Ils parlaient même couramment la langue des elfes noirs. Je croyais me souvenir que les elfes et les nains ne s’appréciaient pas tellement. Aussi je décidai de noter cette incongruité dans un coin de ma tête pour le répéter à Yjir et à Cendres. Eux auraient peut-être une explication sociologique.

Dans la tente centrale, j’aperçus aussi deux nains prisonniers qui avaient l’air mal en point. J’hésitai à intervenir mais je me ravisai, jugeant qu’il valait mieux revenir auprès de mes amis, raconter tout cela. Je ne voulais pour rien au monde être responsable d’une nouvelle catastrophe stratégique.
 



Sammael99

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Le Chemin des Rois (part 3)

Extrait des Mémoires de Yjir Le Shaman - Traduit du Sylvain par Jilraën de la Nouvelle Université de Landis

14 Rême 987

L'idée de ces adversaires qui voyaient dans l'obscurité comme en plein jour me glaçait les sangs. Bien qu'entraîné à combattre "en aveugle", comme tout guerrier de ma tribu, je ne pouvais naturellement mettre à profit cette capacité qu'au corps à corps. Je sais me repérer grâce au bruit que fait l'ennemi, à sa respiration (et à cette brusque inspiration qui précède chaque coup), au son de ses pas, à la sensation des déplacements d'air que provoquent ses mouvements ; mais tout ceci suppose une forte proximité. Ce jour-là, nous voulions nous attaquer, alors qu'inférieurs en nombre, à des créatures qui nous verraient venir de très loin, et qui, puisque disposant d'arcs et de magie, auraient la possibilité de nous neutraliser avant même que nous les ayons aperçus…

Pour palier ce problème, nous comptions sur les sortilèges éclairants qu'Erasmus devrait lancer sur une pièce d'équipement de chacun de nous, une fois que la discrétion n'aurait plus lieu d'être. Par ailleurs, Sküm, comme tous ceux qui ont dans leurs veines du sang orc, pouvait voir dans le noir à une distance raisonnable. Umar, lui aussi, avait ce don. Œil-de-Nuit, comme Cendres et Erasmus, auraient pu voir mieux que moi, si seulement un petit rai de lumière avait filtré quelque part dans la grotte. Mais non, nous étions dans l'obscurité la plus totale, une absence de lumière rendue encore plus angoissante par ce bruit continuel de pluie et ces gouttelettes qui nous ruisselaient sur le visage. Je sentais, sous ma main, la nervosité d'Œil-de-Nuit ; il se retenait pour ne pas gémir doucement.

Le plan fut rapidement mis sur pied, bien qu'il s'agît pour moi d'une pure vue de l'esprit : je n'avais pas la moindre idée de ce à quoi ressemblaient le "campement", la "rivière" ou la "sentinelle", ni où ils se trouvaient. C'était comme avoir a résoudre un problème très abstrait. J'essayais de me concentrer et de faire des suggestions, mais j'étais surtout accaparé par les ténèbres, la pluie invisible et froide, la sensation d'être entouré par un vide immense, comme si mes compagnons et moi-même avions été perdus dans un néant absolu.

Sküm, rendu invisible par Erasmus, devait se rendre au milieu du campement, et s'introduire discrètement dans la tente principale. Le reste du groupe créerait une diversion au niveau du gué où se trouvait la sentinelle, ce qui permettrait au demi-orc non seulement de libérer les prisonniers, mais aussi, une fois ces derniers armés, de prendre nos adversaires à revers.

Je sentis Sküm partir. J'entendis Umar commencer à compter à voix basse dans une langue que je ne comprenais pas. J'avais hâte d'en finir. L'attente au milieu du rien me semblait pire que la mort.

Enfin Umar nous prévint que nous devions y aller. "Rampez derrière-moi. Chacun pose de temps en temps la main sur la cheville de celui qui le précède, comme ça personne ne se perdra dans le noir. Lorsque je dirai 'stop', nous nous arrêterons, et Erasmus lancera ses sortilèges de lumière. Dès que vous êtes illuminés, foncez sur l'elfe noir qui garde le gué : l'effet de surprise est important !". Nous nous exécutâmes.

Notre reptation sur le sol pierreux et trempé fut des plus pénibles, d'autant que notre seul repère dans ce noir total était le contact avec la personne qui nous précédait. Umar nous guidait à bonne allure, essayant sans doute de suivre un trajet, entre les stalagmites et les concrétions pierreuses, qui nous maintenait à l'abri du regard des elfes noirs. Cependant, je ne savais même pas à quelle distance nous nous trouvions du camp ou de la rivière. J'essayais de ne pas penser à mon extrême vulnérabilité, et à la défaite totale qui nous attendait si, par hasard, un elfe noir apercevait au loin Œil-de-Nuit (qui lui, bien sûr, ne rampait pas) et appelait ses amis pour lancer une nuée de flèches dans notre direction.

Grâce sans doute à l'ingéniosité d'Umar, nous échappâmes à la vigilance des elfes noirs et même du garde qui surveillait le gué. "Stop, murmura Umar. Erasmus, lance tes sorts. N'oubliez pas : dès que vous voyez de la lumière, courez au corps à corps." Je sentis le gnome me dépasser en rampant dans l'obscurité. Un instant plus tard, je fus ébloui par ce qui me sembla être une très forte lumière, et vis Cendres, nimbée d'une aura qui semblait provenir de sa ceinture, s'élancer, rapière au poing, en direction d'une rivière souterraine qui coulait à une trentaine de mètres de nous. Le magicien pointa ensuite sa baguette sur ma propre ceinture et, une fois celle-ci illuminée, je me redressai à mon tour et courus derrière l'elfe, aussitôt dépassé par Œil-de-Nuit, qui grondait de toute sa rage accumulée par des heures de ténèbres.

Je ne compris quelle était notre cible que lorsque Cendres, criant le nom de sa déesse, ne s'abattît sur elle. L'elfe noir avait eu le temps de dégainer son arme, mais ne put efficacement parer la charge de la guerrière. Cendres esquiva facilement sa faible riposte. Lorsque le loup géant, à son tour, se jeta sur lui, le garde n'avait plus aucune chance : il s'effondra, la gorge déchiquetée par les crocs de mon féroce compagnon.

J'arrivai, immédiatement suivi d'Umar et d'Erasmus, tendu comme une corde d'arc, jetant des regards dans le moindre coin d'ombre. C'est alors que je me rendis compte d'un défaut majeur, voire fatal, de notre stratégie. Les lumières magiques que nous portions n'éclairaient pas à plus d'une douzaine de mètres ! Autrement dit, alors que nos adversaires, apparemment dotés d'une vision parfaite dans l'obscurité, auraient tout le loisir de nous cribler de flèches à distance, nous n'avions pas d'autres choix que le corps à corps pour espérer en venir à bout.

- Vite, nous devons aller à leur rencontre, dit Umar en essuyant son visage de la pluie qui tombait sans discontinuer.

Œil-de-Nuit à mes côtés, je me précipitai le long de la rivière souterraine dans la direction présumée du campement, le nain sur mes talons. Erasmus nous suivit, un peu en retrait, à une allure moins soutenue, ainsi que Cendres. Nous ignorions si Sküm, de son côté, avait réussi son opération d'infiltration. Peut-être avait-il déjà libéré les prisonniers ; peut-être était-il déjà mort…

Alors que nous progressions à bon train, toujours à l'aveuglette, une volée de flèches s'abattit sur nous, mais trop imprécise pour nous causer beaucoup de mal. L'une d'elles me laissa cependant une belle estafilade sur le bras gauche, laissant une curieuse sensation de brûlure. Ne cédant pas à la panique, nous accélérâmes. Nouvelle pluie de projectiles, l'un d'eux m'atteignant à la cuisse. J'eus un moment de nausée, passager.

- Flèches être empoisonnées ! criai-je à Umar.
- Cours, cours, c'est notre seule chance !

Soudain, je sentis un courant d'air chaud me dépasser sur le côté droit : une flammèche filait dans la direction où nous courions. Erasmus avait lancé un sortilège à l'aveugle ! Sans faire parfaitement mouche, sa boule de feu explosa à une trentaine de mètres de nous, nous révélant la position des archers elfes noirs. Deux d'entre eux se transformèrent aussitôt en torche vivante, alors que les autres parvinrent à se jeter à l'abri au dernier moment.

Profitant de la soudaine visibilité de nos cibles, Cendres décocha une flèche magnifiquement ajustée, qui, touchant en pleine gorge, acheva sur le coup l'un des deux elfes noirs enflammés. Notre objectif maintenant en vue, Umar et moi-même reprîmes espoir et courûmes de plus belle.

Nos adversaires, rapidement remis du choc de la boule de feu, nous décochèrent de nouvelles flèches, nous blessant de nouveau Umar et moi. Je sentis de nouveau le poison brûler mes chairs autour de l'impact, mais résistai encore à la vague de nausée qui s'ensuivit. Jetant un coup d'œil au nain, je devinai à sa mâchoire crispée que lui aussi souffrait mais ne succombait pas. Cendres, toujours aussi précise et meurtrière, abattit d'une flèche en pleine poitrine le deuxième elfe noir qui brûlait toujours.

Approchant inexorablement, nous pûmes enfin compter nos bourreaux : il restait cinq archers à une vingtaine de mètres de nous. Mais, alors même que nous commencions à les distinguer nettement, ils lâchèrent une nouvelle vague de flèches. J'en reçus une à la cuisse ; Umar s'en prit deux… et s'écroula soudain, dans un râle incohérent. Je devinais que le poison avait eu raison de sa forte constitution.

Œil-de-Nuit, mon fidèle compagnon, m'offrit un répit inespéré en atteignant enfin le groupe d'archers et en désorganisant complètement leur cadence de tir. J'en profitai pour m'agenouiller rapidement près du nain inconscient, et appeler les forces de la nature pour qu'elles le purgent de la toxine qui polluait ses veines. A mon grand soulagement, Umar ouvrit les yeux rapidement ; je crois que, au tréfonds des entrailles de la terre, la puissance tellurique du monde est plus présente. En tout cas, je sentis que le pouvoir de la nature était ici d'une nature plus brutale, plus primitive, plus sombre, et plus massive, et que mes rituels y puisaient une force plus essentielle.

Tant bien que mal, Umar se redressa avec mon aide, et nous entamâmes les derniers mètres qui nous séparaient des archers. Ils en profitèrent malheureusement pour tirer une nouvelle salve, avec un succès terrible : Œil-de-Nuit, Umar et moi-même fûmes de nouveau touchés. Quant aux deux autres flèches, elles filèrent vers Cendres, qui s'était rapprochée dans l'intervalle ; mais les projectiles rebondirent étrangement sur une sorte de barrière invisible, juste devant l'elfe.

Enfin, grandement affaiblis, nous fûmes en mesure de riposter, et de rendre la monnaie de la pièce à nos adversaires. Notre fureur se déchaîna. Alors qu'Œil-de-Nuit déchirait la gorge d'un archer, je produisis une boule de flammes ardentes ; des projectiles de lumière fusèrent des doigts du gnome magicien ; Umar hurlait en abattant sa hache sur tout ce qui bougeait ; les flèches de Cendres sifflaient dans l'air et trouvaient chaque fois leur cible. En un clin d'œil, tout fut fini, les elfes noirs survivants s'enfuyant sans demander leur reste.

- Bin alors les gars ? fit une voix bourrue que nous connaissions bien. Vous auriez pu m'attendre pour les finir…
- Sküm ! m'exclamai-je.

Je n'avais jamais été aussi heureux d'entendre le demi-orc. De son côté aussi la réussite était complète. A peine s'était-il introduit dans la tente centrale que nous avions commencé notre assaut, et la diversion avait été parfaite : seuls restèrent dans le campement la cheftaine et un garde, leur attention toute accaparée par le combat se déroulant à une cinquantaine de mètres de là. Le barbare avait pu détacher les trois prisonniers, et confier à deux d'entre eux une dague de facture orque (celles-là mêmes que nous avions héritées de nos aventures avec la tribu de l'Œil de Fer).

Sküm était sorti le premier et, toujours invisible, avait assené un coup de hache magistral à la cheftaine elfe, la mettant quasiment hors d'état de nuire. Magicienne, celle-ci avait échappé au pire en se fondant soudain dans une stalagmite de bonne taille. Son garde avait rapidement succombé aux coups conjugués des deux ex-prisonniers et du demi-orc. Sküm avait ensuite tiré quelques carreaux d'arbalète vers la mêlée qui faisait rage au loin, sans succès, avant de nous rejoindre, laissant les trois nains veiller sur le rocher où s'était réfugiée la capitaine.

Au final, force était de reconnaître que notre plan avait parfaitement fonctionné.

Exténué, je m'assis à même le sol, et entrepris d'extraire les deux flèches qui me meurtrissaient la jambe et le côté. Le sang se mêlait à la pluie qui dégoulinait sur mon armure de peau. Je serrai les dents, luttant contre la douleur. Près de moi, Œil-de-Nuit se léchait une plaie à la patte avant.

- Heureuse rencontre en des temps funestes, Myrol, mon oncle, dit Umar en langue naine à l'un des ex-prisonniers. Je suis Dragoun Dalaïm. Mais je crains que mon retour ne se fasse trop tard !
 

Sammael99

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Le Chemin des Rois (part 3)

Extrait des Mémoires de Yjir Le Shaman - Traduit du Sylvain par Jilraën de la Nouvelle Université de Landis

Le nain interpellé ne put cacher sa stupéfaction, remplacée peu à peu par de la méfiance indécise.

- Dragoun ? demanda-t-il en roulant le r à la façon naine. Est-ce vraiment toi ?
- Oui, mon oncle. Bien que j'imagine que les nombreuses années passées n'ont pas été tendres avec moi, et que mon absence de barbe change quelque peu mon visage ; mais je vous assure que c'est bien moi.

Le visage d'Umar s'illumina d'un sourire malicieux. Et il ajouta :

- Tonton Mimy, vous appelais-je dans ma jeunesse. Vous n'aimiez pas cela.

Cette fois, Myrol ne put retenir un bref éclat de rire.

- Par le marteau des géants, c'est bien toi ! Mais tu choisis une époque bien difficile pour revenir, et aussi un bien curieux chemin, si je puis me permettre.

- Je connais la situation de Maborg, mon oncle. Je sais que Strakal Dalaïm a épousé ma sœur de force dans l'espoir de succéder à mon père sur le trône. Je sais qu'il a même noué des alliances contre-nature avec nos ennemis héréditaires, les elfes noirs, et qu'il s'appuie sur eux pour poursuivre ses noirs desseins. Je suis revenu pour empêcher cela.

Myrol regarda Umar d'un air sévère.

- Dragoun, tu arrives avec de funestes nouvelles, si tu me dis qu'il y a bien un pacte entre Strakal et les drows. Je le redoutais, depuis ma capture, mais refusais encore d'y croire. Mais tu arrives aussi un peu tard, car…

Il s'interrompit, et sa voix s'adoucit.

- Car ton père est mort, Dragoun. La maladie a eu raison de lui. Il a résisté bravement, et jusqu'au bout. Digne et régal, comme un Lernaïm, jusqu'à son dernier souffle.

Umar baissa la tête, les dents serrées. Je sentis ma gorge se nouer. Erasmus se frotta la tête, mal à l'aise, mais ne dit rien. Cendres posa doucement une main sur l'épaule de notre ami nain.

- Il a succombé il y a trois jours, reprit Myrol, la voix chargée d'émotion. La période de deuil est achevée. Le couronnement de Strakal Dalaïm a lieu aujourd'hui.

Umar releva la tête brusquement, remettant sa peine à plus tard.

- Bon sang ! Et nous restons là à discourir ! Il faut y aller sans tarder ! La garnison du fort est-elle complètement corrompue ? Elle doit l'être, si elle a laissé passer des nains emmenant à l'extérieur d'autres nains prisonniers !

- Sans doute en effet, Dragoun, mais pas complètement. Je connais un lieutenant de cette garnison, et je garantis sa loyauté envers la Maison des Lernaïm. Il me laissera passer sans encombre. Mais hâtons-nous !

- Un instant, intervint Erasmus.

Le gnome, avec un sourire diabolique, désigna le rocher où s'était magiquement réfugiée la cheftaine elfe noire.

- Quelque chose me dit que la Madame qui est là-dedans n'a pas perdu une miette de notre conversation. Nous ferions bien de la faire sortir et de la mettre hors d'état de nuire. Sinon, on pourrait avoir des mauvaises surprises.

Joignant le geste à la parole, il se mit à incanter, sa magie dirigée sur la pierre. Je pense qu'il comptait simplement faire réapparaître l'elfe noire, sans plus. Mais les effets de son sortilège furent aussi inattendus que spectaculaires : le corps disloqué de la drow fut violemment projeté hors de la stalagmite, et nous ne pûmes que constater que son éviction l'avait tuée sur le coup. Plus rien ne nous retenant ici, nous nous mîmes en route.

En chemin, Myrol nous fit une rapide peinture de la situation politique de Maborg. Le peuple nain, discipliné et loyal, suivrait de toute façon celui qui aurait été désigné comme roi par le Conseil des Sages, à moins bien sûr qu'il ne devînt évident pour tout le monde que le monarque était coupable de haute trahison. Pour cette raison, même si Strakal ne passait pas vraiment pour un exceptionnel futur souverain, il n'était pas facile de trouver des partisans prêts à s'opposer activement à sa prise de pouvoir, qui se faisait, du moins en façade, de façon tout à fait régulière.

Myrol, en tant que frère de la reine défunte, avait pourtant réussi à réunir autour de lui une poignée d'opposants à Strakal. Apparemment, avec la mort du roi Lernaïm, le prétendant au trône avait décidé de ne prendre aucun risque avec cette mini-conspiration, et était passé à l'action : les quelques conjurés avaient donc été soit fait prisonniers, soit assassinés discrètement ces deux derniers jours. Ce n'était donc qu'à présent que Myrol percevait toute l'étendue de la perfidie de Dalaïm, le comble de l'inacceptable étant cette alliance sans précédent avec les elfes noirs, adversaires héréditaires du peuple nain, dont on n'avait pas vu signe depuis des siècles.

La lumière magique créée par Erasmus sur nos ceintures ne tarda pas à se dissiper, et je sortis donc le galet lumineux pour éclairer notre route. Sa portée étant faible, la grotte me semblait toujours s'étendre à l'infini. En plus de l'obscurité, loin de nous habituer à l'étrange pluie qui nous harcelait continuellement, nous la subissions chaque instant avec plus de peine.

Je compris que nous avions quitté cette caverne immense lorsque enfin nous vîmes une paroi rocheuse de part et d'autre de notre groupe, et que la bruine s'arrêta. Nous étions dans un couloir assez vaste malgré tout, avec d'étranges concrétions en drapé sur les côtés, qui à la lumière de ma pierre projetaient des ombres étranges et mouvantes. Cependant, la force brute et essentielle de la Nature que j'avais ressentie auparavant tendait à s'estomper, et je compris que nous approchions d'une partie habitée de ce monde souterrain.

De fait, nous débouchâmes bientôt dans une caverne tout en longueur, mais barrée en son milieu par une muraille impressionnante, et à but manifestement militaire : meurtrières, mâchicoulis, créneaux, herse, tout y était. Et l'ouvrage de fortification était tenu par une garnison naine, à en juger par les trois sentinelles qui se tenaient sur le rempart.

Myrol fit un signe à l'une d'elles, et expliqua que le lieutenant de service était au courant de notre venue. Le garde disparut, et revint de longues minutes plus tard accompagné par un officier à la barbe noire impressionnante. Le lieutenant Etork ne nous laissa pas le loisir d'étoffer sur notre histoire un peu tirée par les cheveux (selon laquelle Myrol revenait, accompagné d'invités d'autres royaumes, pour la cérémonie de couronnement de Strakal), et nous fit passer presque sur-le-champ. Je suppose qu'il voulait en finir au plus vite, avant qu'un espion à la solde de Strakal ne reconnût Myrol ou ne s'interroge sur le côté hétéroclite du groupe que nous formions.

Il devint vite apparent que la muraille n'était que la première ligne de défense de cette voie d'accès. Car derrière se trouvait une succession de cavernes, dont certaines mortellement piégées, qui abritaient d'autres ouvrages de défense. Assurément, les elfes noirs devaient avoir constitué en leur temps une très sérieuse menace pour Dwargon. Sans la présence des quatre nains qui nous accompagnaient, nous n'aurions pas pu contourner les obstacles ni éviter les invisibles chausse-trappes qui entravaient le chemin.

Arrivés dans une salle aux dimensions réduites, où nous devions marcher quasiment accroupis, Umar nous fit nous arrêter.

- Je crois que c'est ici, dit-il simplement.

Il posa sur le mur la main où il portait le sceau des Lernaïm, et murmura une incantation aux accents rocailleux. Aussitôt, dans un silence qui témoignait de la perfection du mécanisme, une partie de la paroi de la grotte s'ouvrit sur un passage rempli de ténèbres, libérant une bouffée d'odeur renfermée et moisie.

- Mes compagnons, annonça-t-il, voici l'entrée d'un passage qui n'est normalement utilisé que par la famille royale. Nous ferons une exception aujourd'hui, car la hâte l'emporte sur la tradition. Suivez-moi, et marchez exactement où je marche.

Nous lui emboîtâmes le pas, et la porte se referma derrière nous avec un imperceptible déclic. Je frissonnai, sans savoir pourquoi. Maborg n'était plus qu'à quelques heures de marche.
 




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