L'Etranger (Part 1)
Une fois leur repas terminé, les trois ex-Diables décidèrent de quitter le restaurant (non sans avoir remercié Lang’Fat pour l’originalité de sa cuisine et l’excellent service de l’établissement). Ils décidèrent de se dégotter un bar animé pour continuer la soirée. Cinq minutes plus tard, ils entraient dans le « Korona ».
L'endroit était bas de plafond, relativement sombre, peu profond mais très large. Plusieurs rangées de piliers maintenaient la voûte sur toute la largeur. Sur les deux côtés de la salle, il y avait plusieurs tables rondes d'installées, certaines étant placées dans des sortes d’alcoves discrètes. Le comptoir occupait pratiquement tout le fond de la salle.
L’endroit était peuplé et animé. Un groupe de trois musiciens égrenait des chansons folkloriques revisitées au goût plus « avant-gardiste » de Byzantium Secundus. Le comptoir était assailli de consommateurs, et les serveuses vêtues de manière assez extravagante avaient du mal à se frayer un passage entre les tables noires de monde.
Heureusement, au moment où ils arrivèrent, une table se libérait. Nos trois vétérans s’empressèrent d’y prendre place. A peine installés, une serveuse leur demanda ce qu'ils voulaient boire. Ils commandèrent trois bières.
« Enfin un endroit civilisé », se dit Lilwenn en se relaxant sur sa chaise. Elle adorait ces lieux pleins de vie et prenait grand plaisir à observer les gens lorsqu’ils baissaient leur garde, comme souvent après quelques bières. D’ailleurs, c’est dans ce genre d’endroits que, dans une vie antérieure, elle avait fait commerce de toutes sortes d’informations...
Alors qu’elle examinait justement les clients du « Korona », l’un d’entre eux, assis non loin de la sortie se leva brusquement et se dirigea d’un pas alerte vers la porte des toilettes.
« Vous avez vu ce type bizarre ? », demanda Lilwenn a ses compagnons.
Ils n’eurent pas le temps de répondre. La serveuse qui revenait avec leurs boissons poussa un cri et les trois verres de bière vinrent se fracasser sur le sol. Le regard de la jeune femme était rivé sur la porte d’entrée. Là, trois silhouettes sombres venaient de faire leur entrée dans le bar. Les musiciens cessèrent brusquement de jouer et un silence tendu fit place à l’ exubérante animation...
Les trois nouveaux arrivants n’étaient visiblement pas là pour prendre du bon temps. Deux inquisiteurs vêtus de leurs longues robes noires et dont on voyait tout juste les yeux sous leurs capuchons encadraient un troisième homme à l’apparence étrange. Vêtu d’un uniforme sombre, ce dernier avait le crâne rasé et un regard vague assez dérangeant. Mais surtout, il était marqué sur la joue gauche d’un tatouage représentant une croix orthodoxe. Les deux inquisiteurs étaient armés de lance-flammes, prêts à l’usage, et quelques femmes au fond de la salle poussèrent des cris de terreur à cette vue.
Le temps semblait suspendu. L'homme à l’étrange tatouage tourna la tête vers le fond de la salle et, avec une infinie lenteur, il scruta tous les clients présents. Ses yeux ne clignaient pas, trahissant une fixité qui laissait entendre qu’il devait être ailleurs... On aurait pu entendre une mouche voler dans le bar, tous les yeux étaient rivés sur l’étrange personnage. Après qu’il aie observé tous les clients de cette manière, il se tourna vers l’un des inquisiteurs et, baissant la tête par déférence il dit : « Il n’est pas dans cette pièce, Frère. »
Un soupir de soulagement parcourut la foule qui, bien que ne sachant pas ce qui s’était réellement passé sentait bien que c’était du sérieux. Les trois hommes reculèrent et sortirent du « Korona ». Quelques instants après, sur un signe du tenancier, les musiciens reprirent leur musique avec un certain manque d’assurance.
Il fallut quelques minutes avant que l'ambiance ne reprenne. Chacun y allait de ses théories ou de ses avis sur la présence des inquisiteurs.
- Je me demande bien ce que tout cela veut dire, dit Buenaventura, l’air pensif.
- Je sais pas, répondit Lilwenn, mais le type rasé là, c’était un Pénitent.
- Un Pénitent ? la questionna Lamar Faz.
- Tu sais que l’Eglise considère les Psi comme des hérétiques dangereux. Certains d’entre eux peuvent décider de se soumettre à la volonté du Patriarche. Ils suivent alors un entraînement particulier, certains disent que c’est plus proche du lavage de cerveau, mais toujours est-il qu’ensuite on les appelle des Pénitents. La croix sur la joue là, c’est à ça qu’on les reconnaît.
- Attends un instant Lilwenn, intervint Buenaventura. Sur Stigmata il y avait des Psi au sein de l’unité « Lumière Manifeste ». Ils n’étaient pas pourchassés par l’Eglise puisqu’ils travaillaient même avec des prêtres.
- Il faut dire Lieut... euh, Buenaventura, que j’aurais mal imaginé les pontes de l’Eglise Orthodoxe débarquer sur Stigmata pour faire un procès à « Lumière Manifeste », précisa Lamar.
- Peut-être qu’ils avaient une dérogation spéciale, dit Lilwenn d’une voix amusée
- Les dérogations à la foi, c’est un concept porteur, ça ! Nous autres membres de la Ligue on devrait en faire commerce, renchérit Lamar.
Et tous les trois d’éclater de rire... Mais brusquement, le visage de Lilwenn redevint sérieux. La porte des toilettes venait de s’ouvrir de nouveau, et l’homme qu’elle avait vu s’y réfugier jeta un oeil à la pièce avant de sortir discrètement et de marcher vers la sortie, comme si de rien n’était.
- Le mec là, c’est lui qui s’est planqué dans les chiottes juste avant que les inquisiteurs et le Pénitent débarquent. Je suis sûr que c’est lui qu’ils recherchaient.
L’homme passa juste à côté de leur table, et tous les trois le dévisagèrent tout en essayant de rester discret. Lilwenn et Lamar ne remarquèrent rien de spécial, mais Buenaventura, lui, aperçut un détail en apparence anodin, détail qui le plongea deux ans en arrière lors d’un des plus durs moments de ses premiers mois de commandement.
Salmen Ryan est assis dans sa cellule, les deux mains menottées par des chaînes solidement ancrées au mur. Devant lui se tient le Lieutenant Buenaventura, flanqué de deux soldats armés de lance-flammes.
- Puisque je vous dis que j’ai rien Lieutenant. Ca fait douze jours que vous me gardez là, vous pouvez pas faire ça...
- Tu as passé trois jours et trois nuits dans la jungle au-delà de la ligne de front, Ryan. Tu es mis en quarantaine, comme tous ceux qui sont susceptibles d’avoir été infectés...
- Mais enfin c’est débile, je serais bien plus utile à me battre qu’à me morfondre dans ce trou à rat...
- Je suis d’accord. C’est pour ça que j’ai décidé de te soumettre à un test. On m’a dit que ça marchait parfois...
Le Lt. Buenaventura sort d’un sac une large plante verte, fraîchement déracinée de l’orée de la jungle. Elle irradie encore la bonne santé et la vie. Une peu de sève coule lentement le long de ses feuilles vivaces. Le Lieutenant sort son briquet militaire de sa poche, et, avec détachement, il l’allume et commence à brûler une feuille.
- Faîtes pas ça, Lieutenant, ça sert à rien, dit Ryan, toujours enchaîné.
Il a visiblement pâli. Alors que le Lieutenant brûle une seconde, puis une troisième feuille, il commence à perdre son calme.
- Enfin arrêtez, c’est inhumain !
Le Lieutenant sort de son sac une bouteille d’essence à briquet et asperge la plante. Celle-ci prend feu. Les feuilles se tordent sous l’effet des flammes. Le Lieutenant Buenaventura, l’air déterminé, a mis la main sur son blaster. Il regarde fixement Ryan.
Ce dernier se tord, essayant de s’extirper de ses menottes. A la base de son cou, une étrange pulsation soulève sa peau, et soudain, son visage explose dans une magma de mucus dégoulinant, remplacé par un immense tentacule préhensile. Ses bras se ramollissent et s’extirpent des menottes...
Mais l’ex-soldat Ryan n’a vraiment aucune chance de s’en sortir. A l’instant même ou sa tête vole en éclat, deux lance-flammes gonflés à bloc et un blaster lourd entrent en action. Son corps est dévoré par les flammes et criblés d’impacts laser. Une affreuse fumée emplit la cellule, véhiculant une étouffante odeur à mi-chemin entre la chair brûlée et le feu de brousse. Après quelques soubresauts, le corps se recroqueville et achève de se consumer...
Le lieutenant reprit ses esprits. Ce qu’il venait de remarquer sur l’homme qui sortait du « Korona », c’était cette même pulsation étrange à la base du cou. Il ne perdit pas une seconde, et l’instinct du commandement lui revint naturellement :
« Lilwenn, on le suit, c’est un symbiote. Lamar, tu paies tranquillement et tu nous retrouves dans la rue. »