Episode 17 : Péril en Haute-Mer
De retour à l’hostellerie et après s’être séchés et changés, nos amis se retrouvent dans la vaste suite d’Erasmus. Ils contemplent la carte retrouvée dans le coffret de Lareeza.
- A priori, on peut supposer que le navire qui transporte Umar et les esclaves passera par Nurn-Quell le 36 Merise et atteindra Port Dukal le 37.
- Le problème est que nous sommes le 34, résume Cendres.
- Et qu’après 37, probablement impossible pour nous retrouver Umar dans Territoire de Glass, conclut Yjir.
On discute un moment du moyen de transport le plus rapide pour couper la route du bateau. Le recours aux voies terrestres est vite abandonné, et les magies d’Erasmus et d’Yjir ne peuvent réaliser de telles prouesses… Il faudra donc trouver de l’aide. « Pourquoi ne pas faire appel à notre bon vieil ami Goëry de Lambeth ? » suggère le gnome. « Port Dukal n’est situé qu’à quelques dizaines de lieues de Winzeria, le baron a une dette d’honneur à notre égard, et nous disposons d’un moyen très rapide d’entrer en contact avec lui… », termine-t-il en sortant de son paquetage un objet métallique de forme ovoïde qu’il tend à Yjir.
- Œuf de Llambeth, ça être bonne idée , s’enflamme le druide.
Des explications sommaires sur l’histoire de ce cadeau sont données à Cendres qui se doit d’adhérer, non sans réserves, à la proposition du gnome : « Le baron pourra peut-être les ralentir ou leur bloquer la route, s’il est aussi digne de confiance que vous semblez le croire, mais cela ne nous empêchera pas de devoir trouver un bateau pour les rattraper » précise-t’elle.
Le courrier doit être rédigé au plus vite, mais Erasmus, qui a pris la plume, se perd en conjectures inutiles et en excès de politesses. Soutenu par Cendres, Yjir lui impose d’aller droit au but, et le gnome d’adapter le discours du druide dans un style plus choisi :
« Cher Baron,
Dans le cadre de notre recherche à travers les baronnies Naïmides, nous avons pu remonter jusqu’à un trafic d’esclaves de grande ampleur. Pour l’heure, notre ami le nain Umar est détenu contre son gré à fond de cale d’un navire rempli d’esclaves en route vers Port Dukal. Cette destination n’est pas innocente puisque nous avons la preuve que ce trafic est lié au complot organisé au nom du DUC AVEUGLE par le triste sire V.D. qui a tenté il y a quelques mois de déstabiliser la paix dans votre Baronnie.
Nos chances de rattraper ce bateau sont minces, puisque nous sommes à Halos ce 34 Merise et que nous avons des raisons de penser que le vaisseau atteindra Port Dukal le 37. Notre seul espoir est que vous consentiez à armer dans l’heure un navire de guerre, voire plusieurs, pour intercepter les pirates esclavagistes.
Nous espérons votre aide et restons vos humbles serviteurs
- Erasmus & Yjir »
« Espérons ça être utile » soupire le druide en roulant soigneusement le parchemin. Yjir s’empare alors de l’œuf et, le soulevant de manière hiératique, prononce la formule magique : « Goëry de Llambeth ». C’est alors que se déclenche un impressionnant mécanisme qui voit l’œuf s’ouvrir, puis se replier pour prendre la forme d’un oiseau entièrement métallique.
Le shaman attache son parchemin à la patte du curieux volatile et, sans qu’il ait besoin de dire quoi que ce soit, voit l’animal commencer à battre des ailes et prendre son envol. Cendres tourne alors le battant d’une fenêtre pour le laisser s’enfuir, mais à la surprise générale, l’oiseau fonce vers un pan de mur qu’il transperce soudainement. La cloison est intacte et le messager a disparu…
Erasmus se tourne vers son corbeau, d’un air soudainement déçu. « Moi, je refuse de faire ça ! » rétorque le volatile dans un accès de fierté.
Reste malgré tout à trouver l’essentiel, un moyen de rallier Port Dukal, si possible avant les esclavagistes. Existe-t-il un navire assez rapide pour permettre un tel exploit ? Cendres et Yjir conviennent qu’il conviendrait de s’en assurer auprès de Finn, le truand étant susceptible d’être un des mieux renseignés de Halos.
Le visage grassouillet d’une gironde concierge accueille le groupe à l’Association d’Entraide des Halfelins. « Attention la tête » prévient-elle à l’attention du druide et de l’elfe qui se dirigent vers une salle d’attente « L’adjoint de Maître Finn va vous recevoir ». Cette perspective n’enchante guère Erasmus qui craint d’avoir conservé une mauvaise presse auprès du dénommé Orme Feuille-Rouge.
« Asseyez-vous, et qu’il garde ses mains à portée de vue » lance sèchement l’adjoint en désignant clairement le gnome. « Nous vouloir parler affaires » entame Yjir. « Nous devoir trouver un bateau pirate très vite, nous prêts à payer correctement. Bateau devoir être rapide !»
« Il doit y avoir erreur » répond le halfelin avec un léger sourire « nous ne travaillons pas avec les pirates. Cependant, je peux vous recommander à quelques honnêtes entrepreneurs de la mer qui acheminent pour nous des marchandises prisées par nos adhérents. En outre, nos services ne sont pas payants, mais vous pourrez bien sûr faire une généreuse donation à notre association, pour la perpétuation de la cause halfeline dont je ne doute pas qu’elle vous tienne à cœur ».
Ce petit malentendu sémantique réglé, Cendres expose en détails le problème qui les amène à lui. Orme Feuille Rouge disparaît un instant dans une remise, non sans avoir tendu au druide une bourse vide, qu’Yjir lui restitue lestée de 50 pièces d’or. L’homme revient avec un carnet qu’il feuillette un moment, puis referme.
« Votre générosité vous honore, aussi je vous indiquerai deux adresses. Vous trouverez un dénommé Griskin, qui commande le Roïskar. C’est un orc, il est donc un peu bourru, mais avant tout commerçant. Je pense qu’il devrait pouvoir parvenir à remplir votre objectif dans les temps, si les conditions météorologiques sont clémentes. En revanche, j’ai entendu dire que l’Aquelazën était rentré au port. Si vous en avez les moyens, allez voir Elaïn, son capitaine. Son navire est de loin le plus rapide du port de Halos. Vous le trouverez parqué non loin des entrepôts ».
Quelques dizaines de minutes plus tard, nos amis écument donc les quais à la recherche du navire en question. Au milieu des nombreuses embarcations amarrées en bordure du quartier des entrepôts se trouve un vaisseau qui tranche avec le reste de la flotte. Il s’agit d’un navire long et effilé, au faible tirant d’eau et démesurément gréé. La coque et le pont sont faits d’un inhabituel bois gris.
« C’est celui-ci », affirme Cendres. « L’Aquelazën » poursuit-elle en désignant une inscription cursive sur la proue, dont ses compagnons devinent qu’il s’agit d’écriture elfique. A leur approche, un marin costaud les accueille d'un regard méfiant. « Aouw du navire, nous chercher homme nommé Elaïn » entame gaiement Yjir. La brute épaisse répond d’un ton bourru : « Qui le demande ? ». « Nous entrepreneurs recommandés par noble Finn. »
L’homme ne répond pas et fait signe au groupe d’attendre. Quelques minutes plus tard, il revient et, toujours sans un mot, leur indique de le suivre jusqu'à la cabine du capitaine. « Faites entrer » suggère une voix haut perchée après que le matelot ait frappé…
Les appartements du mystérieux Elaïn sont cossus, mais la décoration est d'un style assez sobre. Au fond, une immense tenture de belle facture représente un combat naval. Quelques coussins épais parsèment le sol autour d'une table basse en bois exotique. Cendres lance un timide « Bonjour ? » à l'individu aux longs cheveux blancs qui leur tourne le dos. Grand et svelte, il ne fait pas de doute qu’il s’agisse d’un elfe. Il se retourne lentement et adresse consécutivement à ses trois hôtes un bonjour en langue elfique, en langue des Rudes Plaines et en gnomique. Malgré l'impression laissée par ce tour de force linguistique, Cendres reprend rapidement ses esprits et explique le motif de leur venue.
« Si nous devons parler affaires, asseyez-vous !» les invite Elaïn. L'hôte claque des doigts et une porte s'entrouvre au fond de la pièce. « Du thé ! ».
- Si je vous comprends bien, vous avez l'intention de prendre un navire d'assaut. Je vous signale par avance que je n'interviendrai pas dans une joute navale. A moins qu'elle ne fût clairement à mon avantage, mais à vous entendre, je devine que ce ne sera pas le cas.
- Alors menez nous à ce vaisseau et nous nous occuperons du reste, propose Erasmus.
L’elfe majestueux hésite quelques instants. « C'est entendu » conclut-il finalement, dans un soupir de lassitude. « Les temps sont un peu creux en cette saison. 500 pièces d'or par jour et 3 de plus pour chaque membre de mon équipage ».
Cendres laisse échapper un toussotement tandis que le gnome recrache son thé. « Je dispose de 30 matelots. Tout homme perdu pendant la traversée vous coûtera 50 pièces d'or supplémentaires », précise le capitaine.
« Le thé est-il compris dans le prix ? » tente d'ironiser Erasmus, sans décrocher un sourire à quiconque.
« Nous devoir nous isoler. Nous besoin réfléchir » propose Yjir. Elaïn les laisse seuls. La réflexion se résume à un recensement de la fortune du groupe, qui sera suffisante même si Cendres ne peut contribuer autant que ses acolytes. « Marché conclu » lâche le druide lorsque le grand elfe revient. « Prenez un peu de repos à terre et rassemblez vos affaires. Départ demain matin, 1 heure avant l'aube », décrète Elaïn.
Une courte mais réparatrice nuit à l'Hostellerie plus tard, Cendres et Erasmus posent le pied sur le pont de l'Aquelazën, en compagnie d'un druide heureux et ragaillardi par la perspective de ne plus quitter Œil-de-Nuit qu’il est allé rechercher aux abords de la ville. Celui-ci a un peu maigri et semble s’être battu, mais il n’en est pas moins ravi de retrouver son ami druide. L’énorme loup ne manque d’ailleurs pas d'inquiéter, ou à tout le moins d'impressionner, les marins humains et orcs qui composent l'équipage d'Elaïn.
La mer est plate et le vent léger, mais le capitaine ne semble guère s'inquiéter de ce contretemps. De fait, très rapidement, l’Aquelazën prend le vent et la vitesse du navire est soutenue, malgré le manque de vent. La maîtrise de l'elfe et de son équipage forcent l'admiration. A la barre, Elaïn lance des ordres à ses hommes affairés à tous les niveaux du pont et du gréement. Des matelots équilibristes grimpent aux cordages pour ajuster le grand hunier ou hisser le petit perroquet. Un fou se laisse glisser du haut du mât de misaine vers le beaupré… Le spectacle est impressionnant, mais nos voyageurs ne peuvent rester sur le pont tant l'allure s'est accrue à mesure que le vent s'est levé.
Depuis le hublot de sa cabine, Yjir contemple le bal des mouettes au dessus de la mer. Mais le clapot et l'air ambiant l’indisposent, tant et si bien qu’il finit par rendre son repas. Erasmus met à profit sa solitude pour reprendre l'étude de son livre de sorts. Quant à Cendres, elle reste un moment devant sa chambre, rêveuse, puis croise le regard de l'étrange Elaïn qui rejoint ses appartements.
« Je t'ai entendu me dire bonjour dans notre langue tout à l'heure, tu parles l'elfe d'une façon bien inhabituelle… » s'étonne l'archère.
- Les elfes diraient plutôt que c'est toi qui parle une langue abâtardie, répond l'homme, car du sang humain coule dans tes veines.
Cendres retient sa réaction de fureur et s'indigne :
- En quoi ne serai-je pas une elfe autant que vous l'êtes ?
- Ils disent que ceux qui se sont exilés sur le Continent ont mêlé leur sang à celui des hommes… Pour eux, les elfes de Terkân ne sont plus tout à fait des elfes, répond le capitaine sur un ton parfaitement détaché.
- Jusqu'à quand peux-tu retracer ta lignée ? demande Cendres, un peu provocatrice.
- Comme tu le devines, je viens de l'île Sylve. J'ai plus de 3 000 ans… lâche Elaïn sans sourciller. Mais aujourd'hui je ne me considère plus comme un elfe, conclut-il sur un ton en forme d'invitation à changer de sujet.
- On raconte qu'il existe des elfes à la peau noire… » renchérit Cendres à l'intention de son hôte
- Aucun elfe de mes congénères n'admettra avoir connaissance de tels êtres. La légende veut qu'une partie des nôtres ait conclu un pacte avec des forces obscures, démoniaques, il y a fort longtemps. Lorsque leur alliance fut découverte, ceux-ci auraient été bannis de notre île, et condamnés à vivre dans les entrailles de la terre… Mais regarde plutôt ! s’interrompt-il soudain.
Elaïn se rapproche de la fenêtre, fixe son regard dans le lointain et se saisit d'une longue vue : « Lum-Queza ! Nous y sommes déjà. Préviens tes amis que nous aurons de l'avance. » La journée se déroule sans autre événement, et pendant la nuit, pendant qu’Erasmus, Yjir et Œil de Nuit dorment, Cendres erre sur le pont du navire, les cheveux secoués par le vent et les embruns, troublés par les dires d’Elaïn.
Quelques heures ont passé lorsque, peu après l’aube, la vigie de l'Aquelazën alerte les passagers : « Navire droit devant ! ». Au loin, on distingue un bâtiment qui semble assez large. A l'approche, la vigie précise que le vaisseau est bien armé « A en juger par la carène et la proue, on dirait un bateau des armées de Glass » . Cette suggestion méduse l'auditoire et conduit Elaïn à confirmer qu'il n'est pas question pour lui de tenter un abordage.
« Il nous faut l’approcher pour savoir s’il s’agit bien du navire que nous cherchons et, si c’est le cas, quelles sont les forces en présence », suggère Erasmus. Après un instant de réflexion, les regards se tournent vers Korg qui comprend que son heure est venue… Il est désigné volontaire pour aller espionner le bateau et faire son rapport.
« Mais ne t’inquiète pas, mon ami, je ne te laisserai pas partir à l’aventure sans défense ». Et le gnome d’entamer son plus courant rituel afin de rendre son familier invisible. « Ne tarde pas, tu dispose d’une heure au maximum ».
L’attente est longue pour le groupe, et en particulier pour le magicien qui voit les minutes s’égrener à toute vitesse. Le fidèle volatile finit par revenir de son expédition, essoufflé et meurtri.
« Efficace ton sortilège, adresse-t-il à son maître, un de ces malades m’a filé un coup de cimeterre dans l’aile ! ».
- Calme-toi mon fidèle Korg, nous allons te soigner. L’animal reprend ses esprits et comprend vite que tout le monde est suspendu à… son bec !
- Il y avait plusieurs dizaines d’hommes sur le pont. En plus de ces satanés encapuchonnés, qui étaient bien cinq ou six. Mais le plus gratiné, c’était un grand costaud qui portait une lourde armure noire sur laquelle était dessinée une tête, je crois.
- Et Umar ? s’impatiente Yjir.
- Minute, j’y viens. Je me suis glissé par une écoutille pour pénétrer dans la cale. Ca puait là-dedans ! Il y avait au moins cinquante esclave enchaînés. Mais j’ai bien cru reconnaître un nain balaise qui pourrait être Umar.
- Alors nous devons nous rendre sur ce bateau, et au plus vite » assure Cendres. Puis se retournant vers ses deux compagnons : Vous avez une idée ?
- Moi pouvoir tous nous transformer en oiseaux, propose Yjir.
- Ouais génial, s’enflamme Korg. Tu n’aurais pas pu le proposer plus tôt ?
Elaïn interrompt leur discussion. « Je ne sais pas ce que vous comptez faire, mais une chose est sûre, c’est que vous le ferez en présence de témoins ». Il désigne à tribord une flotte de 4 felouques armés de balistes légères et dépourvues de pavillon.
« Llambeth !!!! » s’exclame le gnome. « Il a tenu parole ! ».
L’arrivée des renforts stimule l’établissement d’un plan de bataille. Yjir transformera Erasmus, Cendres, Œil-de-Nuit et lui-même en mouettes. Et même Korg car un corbeau en pleine mer se ferait remarquer. Le mage rejoindra les bateaux de Llambeth pendant que ses compagnons feront diversion à l’intérieur du bateau ennemi, afin de sortir Umar sain et sauf.