Episode 15 : Le Repaire de Sharquenoir (1ère Partie)
AVERTISSEMENT : Cet épisode comporte des scènes qui pourraient choquer certaines personnes. Âmes sensibles, abstenez-vous !
Alors que l’aube brumeuse se lève sur le port de Halos, nos compagnons déambulent sur les quais encore déserts à la recherche d’un marin susceptible de les emmener sur l’île de Babord dans une des criques bordant l’entrée du repaire de Sharquenoir. Le temps n’étant pas très clément, c’est seulement le troisième marin rencontré qui accepte de mener son petit voilier vers l’île de Babord, et ce moyennant un tarif quasi-royal…
La traversée se passe en silence. Chacun essaye tout d’abord de garder le contrôle de son estomac au milieu des flots agités. Qui plus est, nos amis sentent qu’ils sont proches du but et que peut-être, enfin, ils parviendront aujourd’hui à sauver leur ami Umar des mains des esclavagistes honnis.
Après deux bonnes heures de ballottement aquatique, le marin dépose nos amis au bord de la crique souhaitée sur l’île de Babord. « Messeigneurs, vous voilà arrivés à bon port, si je puis dire. J’imagine que vous avez d’autres moyens pour rentrer à Halos si tel est votre désir ? » Nos amis se regardent, réalisant soudainement qu’ils n’ont pas vraiment envisagé la question… Pris de cours mais comprenant qu’ils ne peuvent pas faire attendre le marin, ne sachant pas combien de temps ils vont rester, Erasmus lui répond : « Oui mon brave, nous avons tout prévu. Merci de votre prestation et à bientôt… »
Alors que la petite voile triangulaire se noie dans la brume, nos amis trouvent un abri sous une corniche rocheuse et discutent à voix basse de la suite à donner à leur expédition.
- Je vais aller explorer l’entrée détournée de la caverne. Je pense que je serais plus discrète que vous deux.
- Veux-tu que je te rende invisible, demande Erasmus
- Je ne pense pas que ce soit nécessaire. Je serais dans le noir. L’essentiel sera de rester silencieuse.
Yjir et Erasmus restent donc à l’entrée du passage et attendent patiemment le retour de l’elfe. Erasmus sort de sa besace un ouvrage de magie qu’il feuillette avec une attention presque sensuelle, tandis qu’Yjir, debout dans les embruns, le visage fouetté par le vent pense aux visages étonnés des enfants de sa tribu lorsqu’il leur parlera de la Grande Eau qui s’étend à perte de vue…
Cendres, elle, se glisse délicatement dans le passage et avance à petits pas, faisant bien attention à ne pas percuter les parois et à ne pas trébucher dans la pénombre. Bientôt, elle entend l’écho de rires et de voix qui, au fur et à mesure qu’elle s’approche, lui semblent fort graveleux…
- Tu m’étonnes qu’elle aime ça, dit une voix d’homme avec un fort accent du sud.
- La chienne, répond une autre entre deux hoquets…
- Et pis, la couleur de c’te peau, ça nous change pas trop des putes de Scorbeville, hein ! renchérit une troisième.
Des éclats de rires ponctuent cette dernière remarque, et Cendres aperçoit enfin une faible lueur au bout du passage : celui-ci s’élargit et s’ouvre sur une corniche de quelques mètres de large qui surplombe une immense caverne. Redoutant ce qu’elle va y apercevoir, Cendres s’allonge sur la corniche et glisse un regard en contrebas.
La portion de la caverne sur laquelle donne le passage est environ cinq mètres plus bas. Les deux tiers de la surface au sol sont occupées par la mer, et seule une mince bande de sable rocheux sur la paroi au dessus de laquelle se tient Cendres fait office de terre ferme. La caverne semble avoir deux issues maritimes, l’une en face de Cendres et l’autre à sa gauche. L’elfe aperçoit deux groupes de personnes dans cette portion de la caverne, qui ne semblent pas interagir. A sa droite, deux silhouettes encapuchonnées sont assise sur des rochers et semblent aiguiser des cimeterres. « Des yeux cousus… » se dit l’elfe… De l’autre côté de la petite plage, un feu est allumé et trois hommes à la mine patibulaire jouent aux cartes. Ce sont eux qui visiblement faisaient les commentaires dignes d’une taverne des bas-fonds de Razem.
L’objet de leur attention est à trouver quelques mètres à leur gauche. Une silhouette féminine est attachée à un rocher par des cordes tandis qu’un quatrième homme, les chausses tombées autour de ses pieds, la violente avec des grognements animaux. La main de Cendres se crispe sur un morceau de rocher, et elle se force néanmoins à regarder la prisonnière. Ses traits, bien que ravagés par l’horreur de sa situation, sont indéniablement elfiques, mais sa peau est sombre, d’un gris presque noir. Cendres comprend soudain de qui il s’agit…
Bien que peu portée à l’amitié envers leur ennemie elfe noire, Cendres ne peut s’empêcher d’éprouver de la compassion pour son sort… Elle envisage d’intervenir immédiatement, mais il lui paraît bien vite évident que cela ne servira à rien. Il faut qu’elle avertisse ses amis et que leur attaque soit décisive. Elle se retire donc, non sans grincer des dents…
Pendant ce temps, Yjir, toujours plongé dans sa contemplation de l’océan, prend soudain conscience d’une sensation étrange. Les poils de ses avant-bras se sont dressés, et il est pris de légers tremblements… Il retourne vers l’entrée du passage pour parler à Erasmus, et là, la sensation s’intensifie. Après quelques instants de réflexion, le druide a une idée sur ce dont il pourrait s’agir. Alors que le gnome lui jette un regard intrigué, Yjir ferme les yeux et se concentre sur le bandeau d’Aram le Marcheur, qu’il porte toujours à la tête. Après quelques instants, sa silhouette devient évanescente, puis il disparaît tout à fait.
- Et merde, voilà que c’est repartir s’exclame Erasmus en fermant violemment son livre…
L’intuition d’Yjir était juste : alors qu’il se transporte dans le monde des esprits par la magie du bandeau, il aperçoit devant lui un homme barbu, vêtu de riches vêtements, un sabre au côté. Il a une jambe de bois pour remplacer le membre d’origine sectionné visiblement en dessous du genou. Au moment où Yjir apparaît, l’homme fait un bond en arrière et dégaine son sabre.
Yjir jette un œil autour de lui avant de regarder en face l’apparition. Ici, l’entrée du passage paraît plus sauvage, comme si jamais homme n’y avait mis les pieds. Le son de l’océan est omniprésent et Yjir sent dans la brise et les embruns une présence d’être spirituels.
- Har ! Je te laisserai pas faire, pilleur de tombes ! s’exclame le pirate en agitant son sabre en direction du druide.
- Toi pas laisser moi faire quoi ? demande le druide en s’efforçant de ne pas se montrer menaçant…
- Voler mon trésor ! Har ! Si tu crois que je ne sais pas pourquoi vous êtes là, vous et les autres…
- Autres ? Qui être autres ?
- Les bizarres avec leurs yeux cousus et leur chef, et les pirates à la petite semaine qu’elle a embauchés pour retrouver mes richesses…
- Toi être Sharquenoir ?
- Evidemment ! Qui veux-tu que je sois d’autre ?
- Moi promettre à toi que moi pas vouloir voler ton trésor.
- Har ! Si tu crois que je vais te faire confiance !
Yjir réfléchit un instant puis reprend :
- Quoi toi dire si moi te dire que nous venir pour tuer hommes aux yeux cousus et chef à eux ?
- Har ! Pour me voler ensuite mon trésor ?
- Toi un peu obsédé par trésor… Nous ici pour libérer esclave emprisonné par hommes aux yeux cousus. Nous pas du tout intéressés par trésor.
- Il n’y a pas d’esclaves ici. Et puis de toute façon, je vous tuerais ! J’en ai déjà éliminé deux, de ces sales pilleurs !
- Donc toi vouloir te débarrasser de femme Lareeza et d’hommes aux yeux cousus ?
- Evidemment ! Et de vous !
- Et si nous t’aider à te débarrasser de pilleurs de tombes ?
Un instant, Sharquenoir fait une pose, et un éclair de malice passe dans son regard fantomatique…
- Hrrr… Mais après vous allez essayer de me voler mon trésor, réplique le pirate d’une voix incertaine…
- Nous pas intéressés par trésor. Moi faire promesse à toi : si toi nous aider à éliminer intrus, nous te faire don de beaucoup d’or.
Le regard de Sharquenoir s’illumine soudain d’un éclair d’avarice…
- De l’or ? Combien d’or ?
- Moi pouvoir t’offrir 500 barons d’or
- Pas assez, je veux 2000 dracs !
- 1000, dit Yjir. Si toi nous aider.
Sharquenoir hésite quelques instants…
- D’accord… Mais comment pourras-tu les déposer dans mon trésor sans savoir où je le cache ?
- Moi les amener ici, dans monde des esprits, et toi faire avec ce que tu veux…
- Har ! Ca marche. Mais pour vous aider, je vais devoir t’indiquer l’entrée du trésor. Et je ne peux pas faire ça sans te forcer auparavant à jurer le serment du boucanier ! Quel est ton nom ?
- Yjir, de la tribu des Grands Aigles
Sharquenoir range son sabre et, dégainant une dague, il se coupe l’intérieur de la paume puis tend la lame à Yjir. Celui-ci fait de même, puis le druide et le spectre joignent leurs mains. Le pirate entonne alors une imprécation menaçante : « Pozeren et Legba, protecteurs des boucaniers, scellez ce serment ! Moi, Sharquenoir, je m’engage à aider Yjir, de la tribu des Grands Aigles, dans son combat contre les occupants de mon repaire. »
Sharquenoir jette un regard à Yjir qui, incertain, entonne à son tour : « Pozeren et Legba, protecteurs des boucaniers, vous sceller ce serment ! Moi, Yjir, de la tribu des Grands Aigles m’engager à ne jamais révéler entrée de trésor caché de Sharquenoir et à lui amener 1000 barons d’or dans monde des esprits. »
- Har ! Parfait ! dit Sharquenoir. Laisse moi t’expliquer le plan. Il a bien longtemps, lorsque j’ai installé ce repaire, j’ai loué les services d’un mage puissant de Halos pour protéger l’entrée de ma cache au trésor. Il a mis en place un sortilège qui, si l’on tente de forcer l’entrée, fait apparaître un féroce créature pour liquider les intrus. Si tu veux, il te suffit d’aller déranger l’entrée et de te carapater bien vite. La chose s’occupera à merveille des yeux cousus et de leurs copains…
- Où être l’entrée ? demande Yjir, peu convaincu de la facilité avec laquelle Sharquenoir décrit le « plan ».
- Au centre de la caverne principale, sous l’eau, tu trouveras un lourd rocher. Si tu déplaces ce rocher, tu apercevras un anneau de métal qui sert à ouvrir le passage vers la cache. Touche à l’anneau, et le Gardien apparaîtra.
Yjir prend alors congé du pirate et s’apprête à rejoindre le monde matériel. Il se concentre sur son bandeau, mais a beaucoup de mal à faire abstraction de la tension du moment, des questions qui l’assaillent : Umar est-il là ? Comment déclencher le piège de Sharquenoir sans s’y laisser prendre ? Finalement, afin de calmer son cœur et son esprit, il décide d’entrer en transe pendant quelques minutes.
Pendant ce temps, Cendres est ressortie du passage menant à la caverne. Seul Erasmus est là, de nouveau assis avec un livre de sort sur ses genoux.
- Où est passé Yjir ? demande l’elfe
- Papoter avec les morts, j’imagine… répond le gnome d’une voix agacée
- Quoi ?
- Dans le monde des esprits ! Il a fermé les yeux, et il s’est dissolu dans l’air, comme la dernière fois.
- C’était bien le moment… Il faut qu’on fasse vite. J’espère qu’il avait une bonne raison…
Quelques minutes plus tard, Yjir ayant retrouvé son calme parvient à franchir l’étrange barrière qui sépare le monde des esprits du monde matériel. Il réapparaît progressivement devant ses deux compagnons…
- Tu pourrais prévenir, quand tu fais des trucs comme ça, le tance Erasmus…
- Moi désolé, Erasmus. Moi sentir quelque chose étrange dans monde des esprits et aller voir. Moi rencontrer Sharquenoir.
- Quoi ? s’exclame Cendres
Et Yjir de raconter sa rencontre et l’accord passé avec le fantôme du pirate.
- Tu nous montreras quand même l’entrée de la cache ? demande Erasmus.
- J’espère, renchérit Cendres. Le Temple de Mezrâ a sûrement plus besoin du trésor de ce vieux brigand que son spectre… Et puis qui sait, en lui prenant, on lui permettra peut-être enfin d’accéder au repos éternel…
- Ca pas question. Moi passer pacte avec Sharquenoir. Moi faire serment avec mon sang. Moi toujours garder promesses, et moi toujours prendre serments fait au nom de dieux ou esprits au sérieux.
- Bon, passons aux choses sérieuses. Il faut qu’on agisse vite. Je vais vous faire un petit plan de ce que j’ai vu dans la caverne.
Cendres décrit les adversaires aperçus, où ils se situent dans la caverne et comment la corniche est placée.
- Sans oublier qu’ils ont fait prisonnière notre bonne amie l’elfe noire…
- Hein ? s’exclame Erasmus, interloqué. Je vais me la faire, celle-là !
- Pas besoin, ils s’en chargent. Et à répétition, si tu voix ce que je veux dire, rétorque Cendres d’une voix blanche.
- Nous devoir absolument capturer elle vivante. Elle sans doute savoir où être Umar.
- Tu veux dire qu’il n’est pas ici ? demande Erasmus.
- Sharquenoir dire que pas d’esclaves être retenus ici…
- Merde ! éructe le gnome en serrant les poings. Je commence à en avoir marre de courir après ce nain. Il pourrait nous attendre au moins une fois…
- Je ne pense pas qu’il ait vraiment le choix, répond Cendres d’un air un peu condescendant.
- J’avais compris, merci, rétorque le gnome.
Avec maintenant tous les éléments en main, nos amis entreprennent de convenir d’un plan. Après plusieurs discussions, il est décidé que Cendres et Erasmus iront dans la caverne par le passage, alors qu’Yjir, prenant la forme d’un sharque, s’y rendra par la mer et tentera de déranger l’entrée de la cache du trésor de Sharquenoir pour faire venir le Gardien. Lorsque Yjir sera arrivé, il montrera son aileron pour se signaler à ses acolytes, et l’assaut pourra commencer. Cendres enserrera les « yeux cousus » dans une toile d’araignée puis descendra au plus vite vers le bas de la caverne pour protéger l’elfe noire et si possible assommer un des pirates pendant qu’Erasmus se concentrera sur les « yeux cousus » avec le maximum de puissance de feu. Une fois le Gardien libéré, Yjir reviendra sur la berge et récupèrera le pirate assommé pour le mettre à l’abri. Ensuite, il devient difficile de planifier puisque personne ne sait où se trouve Lareeza, si même elle est là…
- Cendres, j’ai une question, demande Erasmus à la fin de cette discussion. Je sais que je t’ai appris quelques rudiments de magie, mais comment donc fais-tu pour maîtriser un sortilège complexe comme l’Emberlification Arachnéenne ?
L’elfe regarde le gnome d’un air énigmatique puis lui répond : « Permets-moi de garder aussi pour moi quelques secrets… » Le sous-entendu flotte dans l’air quelques instants, puis nos amis se mettent en ordre de marche…