Sammael99
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Episode Second : Une partie de Rouste
L’ambiance est morne. Bien sûr, nos héros ne connaissaient pas particulièrement bien le nain Grim, et ce n’était pas, en apparence en tous cas, le plus jovial des compagnons. Néanmoins, au-delà du choc d’avoir vu un compagnon mourir sous ses yeux, Targedaël, Yjir et Erasmus ne peuvent s’empêcher de penser que la mort de Grim au cours de leur première expédition n’est pas un bon présage. Qui plus, est, même si le nain ne semblait pas être un combattant illustre, la petite troupe est douloureusement consciente du manque qu’elle risque désormais de ressentir en termes de capacité martiale.
La visite de nos amis au bâtiment de la Garde Douanière en vue de faire dédouaner leur butin n’est pas pour remonter le moral de nos amis. Les valeurs et objets extraites du Tombeau de Varnôn sont expertisés et nos amis doivent s’acquitter d’une taxe d’un tiers de leur valeur, au grand désespoir d’Erasmus. Enfin, un soir que nos amis sirotent qui une bière qui un thé dans l’auberge d’Umar, Targedaël se décide à lancer le sujet qui trotte dans les têtes de chacun :
- Je pense qu’il faudrait qu’on recrute un combattant supplémentaire. J’ai failli y passer moi aussi, et plutôt deux fois qu’une. Ce coup ci, on sait à quoi s’attendre, il faut engager un gars vraiment costaud.
- Où nous trouver ça ? demande Yjir
- On peut demander à Umar, il saura peut-être…
Targedaël se retourne et dit : « Umar, est-ce que tu saurais où on pourrait recruter un combattant efficace ? »
- En général, les mercenaires se rendent à la Taverne de la Chopine, sur la place de la Mairie. Je pense d’ailleurs qu’il doit y avoir un type qui correspond à ce que vous recherchez puisque pas plus tard qu’hier, un guerrier barbare est venu me demander si je savais où il pourrait vendre ses services…
- Excellent ! répond Erasmus. Et tu lui as indiqué la Chopine ?
- Absolument. Il s’appelle Sküm. Il se promène avec une grande hache, vous ne pouvez pas le rater…
- Allons à la Chopine, s’exclame le gnome, visiblement plus intéressé par la perspective d’une nouvelle bière que par celle du recrutement lui-même…
Nos héros se dirigent donc vers la Taverne située au centre de la bourgade. A l’extérieur de la taverne, on entend déjà les bruits d’une forte animation : voix, rires, chants, etc. Nos amis rentrent à l’intérieur, et aperçoivent immédiatement, un peu à l’écart, un homme à la forte carrure qui leur tourne le dos . Appuyée contre sa table, on peut apercevoir une hache imposante. Prenant des chaises, nos trois amis viennent s’asseoir en face du barbare.
- Bonjour ! dit Targedaël d’une voix enjouée qui s’étrangle dans sa gorge alors qu’il lève les yeux vers Sküm…
Sküm est d’une carrure impressionnante et ses bras nus laissent apercevoir des muscles forts développés. Mais ce qui frappe l’elfe, c’est surtout sa mâchoire protubérante et sa peau olivâtre qui ne laissent pas de place au doute : Sküm a du sang orc. Targedaël ne peut réprimer une grimace de dégoût. Il va pour se relever, mais avant qu’il ne puisse agir, Erasmus commande quelques boissons et Yjir prend la parole :
- Bonjour ami barbare. Toi être Sküm ?
- Ouais, c’est moi. Et alors ?
- Nous être petit groupe d’explorateurs. Nous vouloir découvrir le monde, partir à l’aventure, mais nous penser que notre groupe avoir besoin de fier guerrier en plus de Targedaël. Toi intéressé ?
- Euh… Yjir, je ne suis pas sûr que Sküm soit intéressé, tente Targedaël, visiblement mal à l’aise…
- Ca peut m’intéresser, ça dépend combien vous payez…
- Eh bien désolé, répond Targedaël sèchement, nous cherchions un compagnon, pas un mercenaire…
- Il y a peut-être moyen de s’arranger, intervient Erasmus diplomatiquement. Que dirais-tu de la chose suivante : nous t’engageons pour une première expédition, moyennant un prix de 10 barons d’or par jour. A la fin de la première expédition, si nous sommes toujours intéressés et si tu souhaites nous rejoindre en temps que compagnon, tu ne seras plus rémunéré, mais tu partageras les subsides de notre activité comme tous les autres…
Targedaël fusille Erasmus du regard tandis que la serveuse dépose quelques bières sur la table. Le gnome, comme Yjir, ne comprennent pas bien ce qui se passe. Soudain, une des choppes de bière éclate en mille morceaux sans que personne ne l’aie touchée, faisant sursauter tout le monde autour de la table.
- Très drôle, Erasmus, s’exclame Targedaël.
- Mais c’est pas moi ! se défend le gnome.
- Alors c’est moi peut-être, répond l’elfe, excédé. Je commence à en avoir vraiment assez de ton humour à la noix.
Targedaël se lève et quitte la taverne, furieux.
- Qu’est-ce qu’il lui prend ? demande Erasmus, stupéfait.
- Moi pas savoir… Lui bizarre…
- Je pense qu’il n’aime que moyennement les orcs et leur descendance… intervient Sküm d’une voix grave.
- Ce n’est sûrement pas ça ! répond Erasmus. Je commence à bien le connaître, il est pas comme ça. Enfin bref, on verra ça plus tard. Que penses-tu de notre offre ?
- Ca me va bien. Et puis si ça fait enrager l’elfe, c’est pas plus mal ! Quand est-ce qu’on commence ?
- Euh, et bien, pour l’instant on a pas encore trop décidé ce qu’on allait faire. Si tu veux tu peux passer ce soir au Coq Hardi et on en discutera !
- Très bien ! A ce soir alors !
Le soir venu, nos amis se retrouvent effectivement avec Sküm autour d’un bon brouet au Coq Hardi. Targedaël est silencieux et sa mine est renfrognée. Nos amis discutent de leur prochaine étape entre deux gorgées de bière (ou de thé pour certains) lorsque qu’un halfelin vêtu de vert et de brun glisse la tête par la porte et dit :
- Eh, Umar, t’as acheté un loup ?
- Non Bolden, répond le tenancier nain. Il appartient à monsieur, ajoute-t’il en montrant Yjir du doigt.
- Il est superbe, dit le halfelin en regardant le druide. Je peux aller le caresser ?
- Ca pas de problème, si lui pas te mordre, dit Yjir en se levant.
Le druide et le halfelin ressortent donc de l’auberge et s’approchent d’Œil de Nuit, qui jappe de joie. Yjir se rend vite compte que non seulement Bolden aime les animaux, mais qu’il a de toute évidence une empathie particulière à leur égard. Après avoir joué quelques minutes avec le loup, Yjir propose à Bolden de les rejoindre à l’intérieur de l’auberge pour discuter.
- Je m’appelle Bolden, se présente donc le Halfelin. Je fais partie des Guides d’Argûnn.
- Quoi être Guides d’Argûnn ? demande Yjir.
- Une organisation de guides qui vendent leur service pour escorter les caravanes, traquer les animaux sauvages, explorer les forêts, etc.
- Et ils engagent même les demi-portions ? s’exclame Erasmus, passablement éméché.
- Ouaip, mais je pense que les gnomes glabres ne sont pas admis, répond Bolden en rigolant.
La discussion s’anime, Bolden et Erasmus échangeant des mauvaises blagues. Seul Targedaël reste en retrait, examinant discrètement Sküm lorsque celui ne le regarde pas.
- Dis Yjir, je peux te demander où tu t’est fait faire ces tatouages, demande le halfelin.
- Ca marques traditionnelles de ma tribu. Ca dire que moi Grand Aigle, et dire à esprits que moi protégé par tribu.
- Tu sais, quand j’étais petit, mon grand-père me racontait souvent l’histoire d’un homme tatoué de la tête aux pieds qui était arrivé au village au bord de la mort, escorté par des dizaines d’animaux sauvages. Les villageois l’avaient soigné, et il avait même sympathisé avec l’un d’entre eux, Romero, si bien que quand il est reparti, Romero est reparti avec lui. J’adorais cette histoire.
- Lui peut-être Shaman de mon peuple… répond Yjir, intrigué. Où être ton village ?
- Je viens de Bourguerive, au nord d’ici, dans la province d’Ezkül.
Alors que nos amis discutent toujours, la porte de l’auberge s’ouvre de nouveau et deux nains, visiblement des voyageurs à voir leurs vêtements poussiéreux entrent dans l’établissement. Umar semble les connaître, et les invite à partager une table avec lui. Ils discutent tous les trois dans un coin de la pièce, mais à la fin de la soirée, les nains repartent.
Alors que Bolden est parti se coucher et que nos amis se préparent à prendre congé, Umar vient les retrouver. Il essaie d’être jovial mais Yjir, dont les sens ne sont pas éméchés par la boisson, a le sentiment qu’il est préoccupé.
- Est-ce que vous avez décidé de ce que vous allez faire maintenant ? demande la nain.
- Pas vraiment, réponde Erasmus. On a une piste, une carte d’une portion du Donjon d’Argûnn qu’on a retrouvée lors de notre expédition, mais on se dit qu’on est peut-être un peu bleus pour se frotter déjà au Donjon…
- Si ça vous intéresse, j’ai peut-être une mission pour vous.
- Dis toujours, répond Erasmus.
- Je viens d’apprendre ce soir de mes amis nains que ma cousine Annella allait se marier. Je souhaiterais pouvoir me rendre à son mariage mais c’est le début de la saison. Si je ferme maintenant je vais me retrouver sans le sou. Du coup, je souhaiterais lui faire parvenir un cadeau. Est-ce que vous seriez prêt, moyennant finance, évidemment, à vous rendre à Dwargon pour lui remettre le présent ?
- Dwargon ? Ca fait une bonne dizaine de jours de marche, non ? demande le gnome.
- Plutôt entre six et huit, mais la mariage est dans douze jours, donc ça vous laisserait largement le temps de flâner à Naïm.
- Pourquoi pas, dit Erasmus. Vous en pensez quoi, les amis ?
- Moi d’accord, dit Yjir. Moi préférer ça à visiter encore couloirs souterrains de Donjon d’Argûnn.
- Moi, c’est comme vous voulez, dit Sküm.
- Hrrrmph, grommelle Targedaël en se levant pour aller se coucher…
- Bon, ben c’est entendu, Umar. Combien tu nous donne ?
- Je ne suis pas très riche, mais je peux vous proposer 50 barons d’or. D’ici à votre retour, je devrais en avoir cinquante de plus pour vous !
- Tope là, dit le gnome. On partira au petit matin.
Le lendemain matin, à l’aube, la petite équipe se prépare au départ et prend son congé d’Umar. Celui-ci leur remet les cinquante barons promis, et un petit paquer enveloppé dans du parchemin. « Bon courage ! » leur lance-t’il alors qu’ils se mettent en route.
A la sortie de Taërion encore endormi, nos amis présentent aux gardes leur attestation de taxation qui prouve qu’ils ont payé la taxe sur les objets qu’ils sortent de Taërion. Alors que les gardes effectuent une fouille sommaire de leurs effets, ils entendent derrière eux une voix familière qui crie, rigolarde :
- Arrêtez-les, arrêtes-les, ils tentent de sortir trois galettes de maïs en contrebande !
C’est Bolden, visiblement équipé pour la route, qui vient juste d’émerger de la pénombre matinale. Nos héros ayant passé les formalités de sortie, ils se mettent en route accompagnés du guide halfelin.
- Où vous allez comme ça ?
- Umar nous a engagé pour amener un paquer à Dwargon, chez les nains, répond Erasmus.
- Ah, ben c’est sur ma route. Je vais à Serdel pour le match de rouste entre Taërion et Serdel.
- Quoi ça être rouste ? demande Yjir avec l’éloquence qu’on lui connaît.
Et Bolden d’expliquer avec enthousiasme que la rouste est un sport national des Baronnies Naïmides, presque aussi populaire que les Arènes de Naïm et surtout, accessible à tout un chacun. Chaque village a son équipe et les compétitions sont fréquentes. C'est un sport assez dur qui consiste à faire parvenir un ballon ovale derrière les lignes adverses. Le ballon ne peut-être passé qu'en arrière et les porteurs de ballon sont souvent victimes de coups plutôt violents...
- Je me déplace souvent pour les matchs de la région, pour faire soigneur. Il faut dire qu’il y en a qui prennent des sales coups, mais quand même, c’est génial ! Si vous avez le temps, vous devriez rester pour la partie !
Après deux bonnes heures de marche, nos amis arrivent en vue de Serdel, petite bourgade sur la route entre Taërion et Samella. Les quatre aventuriers ont décidé de rester le temps de la rencontre, même si Yjir semble peu intéressé. Erasmus et Targedaël, par contre, posent des questions sur les règles et le déroulement du jeu. Non loin de l’entrée du village, un champ a été aménagé en terrain de jeu, et deux petites bâtisses de chaque côté abritent les vestiaires des joueurs. Bolden présente les héros à Larquette et Roëland, deux hommes assez âgés qui connaissent bien le jeu et semblent chacun soutenir une des deux équipes : « Expliquez leur ce qui se passe, et encouragez les à choisir leur camp » leur demande Bolden en riant avant de s’éclipser.
- Vous voyez le jeune blond, là ? demande Larquette à nos amis. Il s’appelle Nam. C’est un nouveau joueur de Serdel. Vif comme l’éclair ! Je suis sûr qu’il va marquer au moins un point. De toute façon, les Taërions sont rouillés, ils manquent de sang neuf, on va en faire une bouchée de pain !
- L’écoutez pas, répond Roëland en riant. Il oublie de vous dire que ça fait quatre ans que Serdel n’a pas battu Taërion, et que ses petits paysans ont peut-être recruté une flèche, mais que les autres seraient plutôt des limaces !
Les échanges de civilités entre les supporters des deux équipes continuent ainsi jusqu’au coup d’envoi de la partie, avec toutefois un esprit bon enfant, si bien qu’Erasmus et Targedaël choisissent leurs équipes, le gnome soutenant Taërion avec Roëland et l’elfe Serdel avec Larquette. Ils posent aux deux vieux commentateurs des questions sur les joueurs, les règles et les blessures…
- Ca arrive souvent ? demande Erasmus
- Quelques fois par match, répond Larquette, mais c’est rarement grave.
- Quelques foulures, des égratignures un peu moches, des bleus et parfois une petite fracture, renchérit Roëland sous le regard horrifié d’Yjir qui ne peut pas comprendre qu’on se fasse physiquement mal pour un jeu…
Enfin, la partie commence. La rouste est effectivement un sport violent, à la hauteur de sa réputation. Au bout de quelques minutes, alors qu’un joueur de Serdel sort avec un doigt cassé, Yjir s’approche de lui, prêt à le soigner :
- Puissante magie de nature aider toi à te remettre de blessure, dit-il en s’approchant du blessé.
- C’est qui ce type, demande le joueur à Bolden, l’air inquiet.
- C’est un shaman. Il peut vraiment te soigner, tu sais, répond le Halfelin.
- Euuuuh… Je crois pas non. La sorcellerie, c’est pas mon truc, répond le joueur, préférant demander à Bolden de lui mettre une attelle pour que son doigt se remette en place.
Yjir repart, dépité et encore plus atterré par l’attitude stupide et violente des joueurs. Sküm, qu’on aurait pu croire intéressé a priori semble s’ennuyer, et il se promène autour du terrain sans s’intéresser trop à ce qui s’y passe. Par contre, Erasmus et Targedaël sont à fond dans la partie, le gnome étant le plus bruyant des deux :
- TA-Ë-RION, TA-Ë-RION, scande-t’il avec les supporters de l’équipe favorite. D’ailleurs, lorsque celle-ci marque, à la fin de la première mi-temps, c’est l’explosion de joie dans les tribunes de Taërion alors que de l’autre côté du terrain ce ne sont que sifflements, quolibets et mines dépitées. Erasmus se permet une petite danse de soutien avec Roëland tandis que Targedaël et Larquette insistent sur la chance insolente de l’équipe… Yjir se prend la tête entre les mains, abasourdi par la stupidité des hommes dits civilisés…
Juste avant que l’arbitre ne siffle la mi-temps, un des joueurs de Taërion se prend un mauvais coup et sa jambe adopte un angle peu ragoûtant. Bolden et quelques volontaires sortent le joueur du terrain et l’acheminent dans les vestiaires de Taërion. Yjir fait mine d’aller leur prêter main forte, mais Bolden lui fait comprendre d’un coup d’œil que son apparence et sa réputation de « sorcier » font qu’il vaut mieux qu’il s’abstienne. Le druide fulmine et retourne auprès de ses amis.
A la mi-temps, nos amis se restaurent rapidement auprès d’un marchand de casse-croûtes locaux.. Targedaël et Erasmus échangent quelques quolibets, Targedaël affirmant que maintenant que les joueurs sont chauds, les choses vont changer.
Effectivement, le début de la seconde mi-temps semble lui donner raison : après quelques minutes de jeu seulement, Nam, la jeune et récente recrue de Serdel parvient à s’emparer du ballon et, après une course superbe à travers les deux tiers du terrain, évitant habilement les défenseurs de Taërion, il vient marquer un point, ramenant les deux équipes à égalité. Targdaël hurle de joie :
-SERDEEEEEEEEEEEL ! crie-t’il avec les nombreux supporters de l’équipe locale.
Le jeu reprend, mais on sent que depuis l’égalisation, la tension est montée d’un cran : l’équipe de Serdel se voit en mesure de l’emporter, pour la première fois depuis des lustres, alors que les joueurs de Taërion tentent de mettre le paquet pour marquer de nouveau un écart. Les échauffourées sont plus brutales, et les porteurs du ballon prennent des coups durs, et souvent vicieusement placés. Bientôt, un joueur de Taërion, Zadine, pourtant costaud, se fait coincer par deux joueurs de Serdel alors qu’il court le ballon à la main vers la ligne adverse. Le choc est rude, et le joueur de Taërion tombe au sol, le bras visiblement démis.
L’arbitre sonne un arrêt de jeu, le temps d’évacuer le joueur, et tout le monde attend que Bolden et ses volontaires interviennent, mais de Bolden, pas de trace… Les volontaires évacuent néanmoins le joueur. Yjir et Skum, peu passionnés pas le jeu et intrigués par l’absence du Halfelin décident de faire un tour au vestiaire pour voir ce qui se passe. Alors qu'ils pénètrent à l'intérieur, ils trouvent Bolden baignant dans une mare de son sang. Il est mort.
- Regarde son cou, dit Skum d’une voix un peu tremblante. Il a été égorgé, sans doute avec une dague.
- Nous pas nous approcher, Sküm. Regarde là : ça trace de botte. Meurtrier sans doute avoir sang sur bottes…
- Inspectons quand même prudemment les lieux : à partir du moment où on annonce sa mort, ça va être la cohue, ici…
Les deux amis, surmontant leur répugnance, examinent donc prudemment l’intérieur du vestiaire. Outre la trace de botte, Yjir repère sous un banc un objet inhabituel qui, une fois nettoyé du sang dans lequel il baigne, s’avère être une gemme de petite taille. Ne trouvant aucun autre indice, Yjir trempe néanmoins un morceau de tissu dans le sang de Bolden avant de ressortir avec Sküm. Celui-ci prend sa plus grosse voix pour hurler par dessus le bruit ambiant :
- Arrêtez tout ! Bolden a été assassiné !
Un silence lourd s’installe autour du terrain. Les joueurs ont l’air abasourdi tandis que quelques supporters et les autorités de Serdel qui assistaient au match se rapprochent de Sküm et Yjir. Yjir prend la parole plus calmement :
- Nous avoir découvert cadavre de Bolden dans vestiaire. Lui assassiné sans doute durant mi-temps. Il y a trace de botte dans sang de Bolden. Moi faire sentir odeur du sang à loup Œil de Nuit et lui sans doute repérer le meurtrier.
Il s’exécute, et Œil de Nuit, humant l’air, file à travers les gens étonnées et inquiets. A l’arrière de la foule amassée, un homme se détache, tentant de s’enfuir en courant. Le loup lui saute sur le dos, le plaquant à terre alors que la foule émet un murmure d’étonnement : il s’agit de Renzi, l'entraîneur de l'équipe de Taërion. Sküm et Yjir sont rapidement sur les lieux et le demi-orc ceinture l’homme sans peine. Avant même de lui poser des questions, Yjir examine ses bottes et constate bien vite que la boue qui recouvre la botte noire a une teinte rougeâtre…
Nos quatre compagnons entourent Renzi, et s’apprêtent à le faire parler :
- Pourquoi est-ce que tu as assassiné Bolden ? demande Targedaël d’une voix menaçante…
L’homme ne répond pas. Sküm s’approche, faisant rouler ses muscles pour intimider l’entraîneur, quand soudain un homme fend la foule :
- Attendez un instant, dit-il. Il vous manque trop d’éléments pour poser les bonnes questions !
- Qui êtes vous ? demande Erasmus d’un air méfiant.
- Je me présente : sergent Malmon, de la Garde Douanière.
L’homme sort de sa chemise une insigne présentant cinq pièces d’or sur fond marine, l’insigne de la Garde Douanière avant de reprendre :
- Cet homme, dit-il en montrant Renzi du doigt, est soupçonné depuis un moment d’être un contrebandier. J’enquête depuis plusieurs semaines sur un trafic d’objets précieux extraits du Donjon d’Argûnn, et je pense non seulement qu’il est impliqué, mais que ce match de rouste est une couverture pour un échange de marchandises.
Le sergent Malmon s’approche de Renzi et des héros.
- Alors, reprend Yjir en regardant l’entraîneur dans les yeux, pourquoi toi assassiner Bolden ?
- Je n’ai tué personne, se défend l’homme. J’ai trouvé Bolden mort dans le vestiaire comme vous, et j’ai paniqué, j’ai perdu la tête… C’était un bon ami, je ne savais pas quoi faire. Et puis je ne voulais pas interrompre un match si important, j’étais en train d’aller prévenir la milice de Serdel…
Nos amis se regardent, mais il n’y a pas besoin d’être devin pour comprendre que Renzi ment. Alors que Sküm s’approche pour lui faire cracher le morceau par la méthode forte, Yjir marmonne quelques mots dans sa langue gutturale, et soudain brandit sous les yeux de l’entraîneur une petite vipère.
- Regarde serpent, dit il d’une voix dure. Lui pouvoir malencontreusement tomber dans chemise à toi… Lui souvent mordre lorsque effrayé… Et venin vipère être méchante chose : toi mettre plusieurs heures à mourir, souffrances être atroces…
Pris de panique, Renzi regarde de tous côtés si quelqu’un va lui apporter son soutien, mais l’assistance est trop abasourdie pour prendre sa défense. Finalement, il semble craquer, et, des larmes dans la voix, il avoue son crime…
- Depuis quelques temps, j’utilise l’équipement des joueurs pour faire de la contrebande de bijoux et de petits objets précieux. Quand Zadine s’est blessé à la jambe, Bolden a du découper sa botte pour bander la blessure. Il a senti qu’il y avait quelque chose de bizarre dans le talon. Quand Zadine est ressorti en boitant et la jambe bandée, j’ai vu Bolden rentrer de nouveau dans le vestiaire, et j’ai compris qu’il avait vu quelque chose… Je l’ai tué avant qu’il ne puisse parler… J’ai perdu la tête. J’aurais du m’enfuir, mais je voulais connaître la fin du match… Je ne pensais pas avoir de sang sur les bottes… Sans ce maudit loup, vous ne m’auriez jamais retrouvé…
- Et, pour qui travailles-tu ? demande fermement le sergent Malmon.
- Pour personne. Pour moi-même, répond Renzi.
- Tu ne peux pas t’attendre à ce que je croie cela. Tu es bien trop minable pour organiser seul un trafic de cette envergure…
- C’est faux, je suis mon propre patron !
Sküm se fait de nouveau menaçant et, maintenant l’homme par derrière, il commence à tordre son bras jusqu’à ce que la douleur de Renzi soit intolérable.
- Je vais parler, je vais parler, hurle-t’il…
Un long silence s’ensuit. Tous les regards sont rivés sur l’entraîneur, et tout le monde sent que la révélation qui va s’ensuivre est d’une grande importance :
- Vous avez raison. Je suis un minable. Je ne travaille pas pour moi-même. J’ai été commandité par…
A ce moment, on entend en rapide succession deux claquements secs et la gorge de Renzi est transpercée de deux flèches avant qu’il ait pu dénoncer son employeur… L’entraîneur s’écroule dans un bain de sang tandis que nos héros regardent alentour pour trouver l’assassin. A une cinquantaine de mètres, sur le toit des vestiaires de Serdel se tient une silhouette noire, un arc à la main.
Sküm s'élance, vite suivi de Targedaël et de Yjir. Le demi-orc arrive rapidement au pied des vestiaires, alors que l’homme encapuchonné atteint tout juste le sol. Prêt à jouer de la hache, le barbare se rue sur son adversaire, mais l'homme, rapide comme l'éclair, lui assène un coup de rapière précis juste au dessous de la clavicule et, stupéfait, Sküm s’écroule au sol. Il est conscient, mais il ne contrôle plus ses muscles. C’est dans ce piteux état que le rejoignent les autres, alors que l’homme a disparu… Il ne laisse derrière lui qu'un arc de superbe facture qu'il a abandonné dans sa fuite.
Targedaël ramasse l’arc et l’examine attentivement. Il s’agit d’un arc à poulie, de toute évidence fabriqué par un artisan exceptionnel, très léger et en même temps robuste. Se doutant que cette arme lui permettra de tirer plus loin et avec plus de précision, Targedaël se l’approprie. Nos héros sont bientôt rejoints par le Sergent Malmon (qui ne semble pas impatient de prendre des risques physiques inutiles). Il leur confie quelques détails supplémentaires sur son enquête :
- Cela fait un moment que nous surveillons Renzi. Je me doutais que nous pourrions le coincer un de ces jours, mais si j’ai décidé d’agir aujourd’hui c’est qu’un de nos informateurs nous a laissé entendre que la marchandise convoyée serait particulière : outre les gemmes dont vous avez trouvé un échantillon, il semblerait que les contrebandiers aient tenté de faire passer un bijou de très grande valeur récupéré au fin fond du Donjon d’Argûnn…
- Vous avez retrouvé quelque chose ? demande Erasmus, curieux.
- Pas encore, mais mes hommes ont récupéré tout l’équipement des joueurs et cerné le vestiaire. Le corps de votre ami a été emporté. Vous avez montré votre perspicacité jusque là, et je souhaiterais vous faire participer à la suite de l’enquête, si vous n’y voyez pas d’inconvénient. La Garde Douanière saura vous récompenser…
Nos amis décident dont de suivre le sergent vers le vestiaire de Taërion. Suivant les indications de Renzi, ils commencent à découper les bottes des joueurs de Taërion et, effectivement, dans une bonne partie des talons de celles-ci, des caches ont été creusées, dans lesquelles ils trouvent des gemmes de diverses natures. Ils examinent ensuite l’ensemble de l’équipement des joueurs, mais nulle trace d’un bijou de valeur…
- C’est étrange, dit le sergent Malmon… Vous n’avez pas une idée de comment ils auraient pu essayer de faire passer un objet de la grosseur d’un œuf à peu près ?
Soudain, Targedaël et Erasmus se regardent, un éclat inquiet dans l’œil.
- Hum… Non, je ne sais pas bien, dit Erasmus, en se levant. Je vais aller examiner les alentours des vestiaires, on ne sait jamais.
Dès qu’il est sorti du bâtiment, le gnome se cache derrière une pile de troncs d’arbre et sort de sa besace le paquet remis par Umar… Saisi par la doute, il hésite un instant puis, rapidement, il déplie le parchemin entourant la boîte et ouvre celle-ci. A l’intérieur, il aperçoit un simple anneau assez large, taillé dans un argent au reflets bleutés et orné de runes naines. Avec un soupir de soulagement, il referme la boîte et l’empaquette de nouveau dans le parchemin, regrettant d’avoir douté du bon aubergiste Umar…
Tandis qu’Erasmus rentre de nouveau dans les vestiaires, les autres son en train de réfléchir avec le sergent à la manière dont les contrebandiers ont pu camoufler le bijou. Soudain, Targedaël se lève et dit :
- Le ballon, où est le ballon ? demande l’elfe d’une voix surexcitée.
Bien vite, les homme de la Garde Douanière amènent le ballon à Targedaël. Celui-ci le prend en main et dit soudain, en palissant : « Il y a quelque chose dedans, j’en suis sûr… Un objet à l’enchantement puissant… » Erasmus jette un regard étonné à son ami et, marmonnant quelques mots, il tend la main lui-même vers la ballon.
- Mais c’est vrai, s’exclame-t’il… Comment tu sais ça, toi ?
- Je ne sais pas, j’en suis sûr, c’est tout…
Erasmus regarde l’elfe d’un air étrange puis, prenant sa dague, il crève le ballon. La paille avec laquelle celui-ci est bourré se répand dans les vestiaires, et le gnome y plonge la main. Il en ressort un rubis de la taille d’un œuf de poule, serti dans une lourde chaîne en or massif. Toutefois, alors qu’il soupèse l’objet, une grimace lui traverse le visage. Il pose le rubis sur un banc en disant : « Je n’aime pas ce bijou… Il a une aura malsaine… »
En tous cas, le sergent Malmon est ravi. Il remercie chaudement Targedaël et ses amis et leur propose de passer la nuit à l’auberge de Serdel, aux frais de la Garde Douanière. Avant de s’installer, toutefois, le sergent Malmon propose de fouiller le corps de Renzi. Quelle n’est pas la surprise de nos amis en constatant que celui-ci avait à l’avant bras un tatouage d’un rat noir…
Nos amis passent donc une agréable soirée en compagnie du Sergent qui, s’il ne semble pas être des plus fins et néanmoins amusant. A la fin de la soirée, sans doute rendu généreux par la boisson, le sergent remercie encore nos amis de leur aide et, pour les récompenser, il leur remet une lettre à valoir dans les bureaux de la Garde Douanière et leur donnant droit à une récompense de 100 barons d'or. Chacun se rend dans sa chambre pour une nuit de repos bien méritée.
Malheureusement, la nuit ne se passe pas sans encombres : Yjir émerge soudain d’un profond sommeil, semblant avoir entendu non loin un bruit. Un cri, peut-être ? Autour de lui, tout n’est que quiétude, la petite chambre d’auberge éclairée seulement par la lumière de la lune. Pris d’un doute, le druide se lève nu de sa couche et, sans même se couvrir, il ouvre discrètement la porte du couloir. Il examine rapidement celui-ci mais ne remarque rien de particulier jusqu’à ce que, s’apprêtant à retourner dormir, il s’aperçoive que la porte de la chambre du sergent Malmon est légèrement entrouverte.
Cette fois ci, Yjir s’entoure rapidement la taille d’une fourrure et se dirige vers la chambre du sergent. « Sergent Malmon, vous être réveillé ? » demande le druide en poussant légèrement la porte. A l’intérieur tout semble calme, mais la fenêtre du sergent est grande ouverte sur la nuit froide. Saisi d’une inquiétude grandissante, Yjir s’approche du lit et, à la lumière de lune, aperçoit le sergent. Sa gorge a été tranchée d’une main experte et les draps baignent dans le sang encore chaud du fonctionnaire…
Yjir donne immédiatement l’alarme, mais le meurtrier du sergent semble avoir quitté les lieux. Les assistants du Sergent Malmon, choqués mais professionnels, font le tour de la chambre pour trouver quelques indices, mais ils ne peuvent que constater une chose : l’énorme rubis, objet du délit, a disparu… Au moins, le mobile est clair…
Après une fin de nuit désagréable à répondre aux questions de la milice du Baron Béoric dépêchée sur les lieux, nos amis reprennent finalement la route en direction de Samella. Ils marchent pendant une bonne journée, essuyant quelques averses de cette fin de printemps. L’humeur n’est pas au beau fixe, et Sküm en particulier semble avoir du mal à digérer sa défaite si facile des mains de l’assassin de Renzi. Enfin, le soir venu, nos amis parviennent à une auberge le long de la route appelée le « Dindon Farceur ». Le lieu paraissant accueillant, Yjir encourage Œil de Nuit à partir se dégourdir les jambes dans la nature pendant que le reste du groupe se restaure.
L’ambiance chaleureuse du lieu et la bonne chère contribuent à dérider un peu nos héros. La salle est éclairée et chauffée par un bon feu de bois autour duquel quelques hommes du cru descendent des bières, tandis que dans un coin une jeune voyageuse déguste un potage. Erasmus raconte quelques bonnes histoires gnomes à ses compères, qui font rire Targedaël et sur lesquelles Yjir s’interroge. Le druide reste assez hermétique à la notion l’humour et à l’ironie telle que les manie le gnome.
Un peu plus tard dans la soirée, alors que nos amis se préparent à se retirer, quelques jeunes des environs, ayant un peu trop bu sans doute, commencent à importuner la jeune femme, faisant des sous-entendus peu subtils sur ses attraits physiques. Avant que le patron du bar ne puisse intervenir, Targedaël se lève et Erasmus entonne une rapide mélopée en agitant les mains. Deux des trois importuns s’écroulent, terrassés par une fatigue surnaturelle, tandis que le visage du troisième fait une rencontre à haute vélocité avec le poing de l’elfe. Il s’enfuit en courant, et nos amis, attrapant les corps endormis des deux autres, les jettent à l’extérieur.
La jeune femme, éperdue de reconnaissance, demande à nos amis si elle peut les rejoindre à leur table. Du coup, Erasmus commande une nouvelle tournée pour tout le monde, et la discussion reprend. Lorana, puisque tel est son nom, raconte qu’elle est en route vers Samella à la recherche de son père, qui les a abandonnées, elle et sa mère, lorsqu’elle était petite et qu’elle souhaite le retrouver aujourd’hui. Nos amis quant à eux, racontent sans trop de détails leur aventure dans le Tombeau de Varnôn. Assez vite, il paraît évident que Targedaël et Lorana échangent des regards lourds d’émotion, si bien qu’Yjir et Sküm se retirent. Erasmus, qui n’est pas très sensible au romantisme, s’attarde jusqu’à ce que finalement Lorana demande à Targedaël s’il désire l’accompagner dans une promenade nocturne. Les deux tourtereaux vont donc se promener sous la lumière de la lune, tandis que le gnome, un peu renfrogné, s’en retourne potasser ses livres de magie…
Plus tard, la femme et l’elfe regagnent la chambre de ce dernier et passent ensemble une nuit d’une telle passion que Targedaël finit par sombrer dans une torpeur proche du sommeil, que pourtant les elfes ne connaissent pas. Les yeux fermés, il se remémore la couleur pâle de sa peau, ses cheveux blonds tombant en cascades sur son visage, sa légère fragrance de pêche… Lorsqu’il émerge de sa rêverie, c’est l’aube. Les draps portent encore l’odeur de Lorana. Sourire aux lèvres, Targedaël ouvre les yeux et se retourne vers elle, mais son sourire se fige. Là, sur l’oreiller de la jeune femme, il y a une dague plantée qui retient un parchemin… La main tremblante, l’elfe enlève la dague et lit le message destiné à son attention : « Je reprends mon arc. La prochaine fois, tu n’auras sans doute pas autant de chance. L. »
Lorsque Targedaël sort de sa chambre quelques minutes plus tard, il est un peu pâle et ses jambes chancellent…
L’ambiance est morne. Bien sûr, nos héros ne connaissaient pas particulièrement bien le nain Grim, et ce n’était pas, en apparence en tous cas, le plus jovial des compagnons. Néanmoins, au-delà du choc d’avoir vu un compagnon mourir sous ses yeux, Targedaël, Yjir et Erasmus ne peuvent s’empêcher de penser que la mort de Grim au cours de leur première expédition n’est pas un bon présage. Qui plus, est, même si le nain ne semblait pas être un combattant illustre, la petite troupe est douloureusement consciente du manque qu’elle risque désormais de ressentir en termes de capacité martiale.
La visite de nos amis au bâtiment de la Garde Douanière en vue de faire dédouaner leur butin n’est pas pour remonter le moral de nos amis. Les valeurs et objets extraites du Tombeau de Varnôn sont expertisés et nos amis doivent s’acquitter d’une taxe d’un tiers de leur valeur, au grand désespoir d’Erasmus. Enfin, un soir que nos amis sirotent qui une bière qui un thé dans l’auberge d’Umar, Targedaël se décide à lancer le sujet qui trotte dans les têtes de chacun :
- Je pense qu’il faudrait qu’on recrute un combattant supplémentaire. J’ai failli y passer moi aussi, et plutôt deux fois qu’une. Ce coup ci, on sait à quoi s’attendre, il faut engager un gars vraiment costaud.
- Où nous trouver ça ? demande Yjir
- On peut demander à Umar, il saura peut-être…
Targedaël se retourne et dit : « Umar, est-ce que tu saurais où on pourrait recruter un combattant efficace ? »
- En général, les mercenaires se rendent à la Taverne de la Chopine, sur la place de la Mairie. Je pense d’ailleurs qu’il doit y avoir un type qui correspond à ce que vous recherchez puisque pas plus tard qu’hier, un guerrier barbare est venu me demander si je savais où il pourrait vendre ses services…
- Excellent ! répond Erasmus. Et tu lui as indiqué la Chopine ?
- Absolument. Il s’appelle Sküm. Il se promène avec une grande hache, vous ne pouvez pas le rater…
- Allons à la Chopine, s’exclame le gnome, visiblement plus intéressé par la perspective d’une nouvelle bière que par celle du recrutement lui-même…
Nos héros se dirigent donc vers la Taverne située au centre de la bourgade. A l’extérieur de la taverne, on entend déjà les bruits d’une forte animation : voix, rires, chants, etc. Nos amis rentrent à l’intérieur, et aperçoivent immédiatement, un peu à l’écart, un homme à la forte carrure qui leur tourne le dos . Appuyée contre sa table, on peut apercevoir une hache imposante. Prenant des chaises, nos trois amis viennent s’asseoir en face du barbare.
- Bonjour ! dit Targedaël d’une voix enjouée qui s’étrangle dans sa gorge alors qu’il lève les yeux vers Sküm…
Sküm est d’une carrure impressionnante et ses bras nus laissent apercevoir des muscles forts développés. Mais ce qui frappe l’elfe, c’est surtout sa mâchoire protubérante et sa peau olivâtre qui ne laissent pas de place au doute : Sküm a du sang orc. Targedaël ne peut réprimer une grimace de dégoût. Il va pour se relever, mais avant qu’il ne puisse agir, Erasmus commande quelques boissons et Yjir prend la parole :
- Bonjour ami barbare. Toi être Sküm ?
- Ouais, c’est moi. Et alors ?
- Nous être petit groupe d’explorateurs. Nous vouloir découvrir le monde, partir à l’aventure, mais nous penser que notre groupe avoir besoin de fier guerrier en plus de Targedaël. Toi intéressé ?
- Euh… Yjir, je ne suis pas sûr que Sküm soit intéressé, tente Targedaël, visiblement mal à l’aise…
- Ca peut m’intéresser, ça dépend combien vous payez…
- Eh bien désolé, répond Targedaël sèchement, nous cherchions un compagnon, pas un mercenaire…
- Il y a peut-être moyen de s’arranger, intervient Erasmus diplomatiquement. Que dirais-tu de la chose suivante : nous t’engageons pour une première expédition, moyennant un prix de 10 barons d’or par jour. A la fin de la première expédition, si nous sommes toujours intéressés et si tu souhaites nous rejoindre en temps que compagnon, tu ne seras plus rémunéré, mais tu partageras les subsides de notre activité comme tous les autres…
Targedaël fusille Erasmus du regard tandis que la serveuse dépose quelques bières sur la table. Le gnome, comme Yjir, ne comprennent pas bien ce qui se passe. Soudain, une des choppes de bière éclate en mille morceaux sans que personne ne l’aie touchée, faisant sursauter tout le monde autour de la table.
- Très drôle, Erasmus, s’exclame Targedaël.
- Mais c’est pas moi ! se défend le gnome.
- Alors c’est moi peut-être, répond l’elfe, excédé. Je commence à en avoir vraiment assez de ton humour à la noix.
Targedaël se lève et quitte la taverne, furieux.
- Qu’est-ce qu’il lui prend ? demande Erasmus, stupéfait.
- Moi pas savoir… Lui bizarre…
- Je pense qu’il n’aime que moyennement les orcs et leur descendance… intervient Sküm d’une voix grave.
- Ce n’est sûrement pas ça ! répond Erasmus. Je commence à bien le connaître, il est pas comme ça. Enfin bref, on verra ça plus tard. Que penses-tu de notre offre ?
- Ca me va bien. Et puis si ça fait enrager l’elfe, c’est pas plus mal ! Quand est-ce qu’on commence ?
- Euh, et bien, pour l’instant on a pas encore trop décidé ce qu’on allait faire. Si tu veux tu peux passer ce soir au Coq Hardi et on en discutera !
- Très bien ! A ce soir alors !
Le soir venu, nos amis se retrouvent effectivement avec Sküm autour d’un bon brouet au Coq Hardi. Targedaël est silencieux et sa mine est renfrognée. Nos amis discutent de leur prochaine étape entre deux gorgées de bière (ou de thé pour certains) lorsque qu’un halfelin vêtu de vert et de brun glisse la tête par la porte et dit :
- Eh, Umar, t’as acheté un loup ?
- Non Bolden, répond le tenancier nain. Il appartient à monsieur, ajoute-t’il en montrant Yjir du doigt.
- Il est superbe, dit le halfelin en regardant le druide. Je peux aller le caresser ?
- Ca pas de problème, si lui pas te mordre, dit Yjir en se levant.
Le druide et le halfelin ressortent donc de l’auberge et s’approchent d’Œil de Nuit, qui jappe de joie. Yjir se rend vite compte que non seulement Bolden aime les animaux, mais qu’il a de toute évidence une empathie particulière à leur égard. Après avoir joué quelques minutes avec le loup, Yjir propose à Bolden de les rejoindre à l’intérieur de l’auberge pour discuter.
- Je m’appelle Bolden, se présente donc le Halfelin. Je fais partie des Guides d’Argûnn.
- Quoi être Guides d’Argûnn ? demande Yjir.
- Une organisation de guides qui vendent leur service pour escorter les caravanes, traquer les animaux sauvages, explorer les forêts, etc.
- Et ils engagent même les demi-portions ? s’exclame Erasmus, passablement éméché.
- Ouaip, mais je pense que les gnomes glabres ne sont pas admis, répond Bolden en rigolant.
La discussion s’anime, Bolden et Erasmus échangeant des mauvaises blagues. Seul Targedaël reste en retrait, examinant discrètement Sküm lorsque celui ne le regarde pas.
- Dis Yjir, je peux te demander où tu t’est fait faire ces tatouages, demande le halfelin.
- Ca marques traditionnelles de ma tribu. Ca dire que moi Grand Aigle, et dire à esprits que moi protégé par tribu.
- Tu sais, quand j’étais petit, mon grand-père me racontait souvent l’histoire d’un homme tatoué de la tête aux pieds qui était arrivé au village au bord de la mort, escorté par des dizaines d’animaux sauvages. Les villageois l’avaient soigné, et il avait même sympathisé avec l’un d’entre eux, Romero, si bien que quand il est reparti, Romero est reparti avec lui. J’adorais cette histoire.
- Lui peut-être Shaman de mon peuple… répond Yjir, intrigué. Où être ton village ?
- Je viens de Bourguerive, au nord d’ici, dans la province d’Ezkül.
Alors que nos amis discutent toujours, la porte de l’auberge s’ouvre de nouveau et deux nains, visiblement des voyageurs à voir leurs vêtements poussiéreux entrent dans l’établissement. Umar semble les connaître, et les invite à partager une table avec lui. Ils discutent tous les trois dans un coin de la pièce, mais à la fin de la soirée, les nains repartent.
Alors que Bolden est parti se coucher et que nos amis se préparent à prendre congé, Umar vient les retrouver. Il essaie d’être jovial mais Yjir, dont les sens ne sont pas éméchés par la boisson, a le sentiment qu’il est préoccupé.
- Est-ce que vous avez décidé de ce que vous allez faire maintenant ? demande la nain.
- Pas vraiment, réponde Erasmus. On a une piste, une carte d’une portion du Donjon d’Argûnn qu’on a retrouvée lors de notre expédition, mais on se dit qu’on est peut-être un peu bleus pour se frotter déjà au Donjon…
- Si ça vous intéresse, j’ai peut-être une mission pour vous.
- Dis toujours, répond Erasmus.
- Je viens d’apprendre ce soir de mes amis nains que ma cousine Annella allait se marier. Je souhaiterais pouvoir me rendre à son mariage mais c’est le début de la saison. Si je ferme maintenant je vais me retrouver sans le sou. Du coup, je souhaiterais lui faire parvenir un cadeau. Est-ce que vous seriez prêt, moyennant finance, évidemment, à vous rendre à Dwargon pour lui remettre le présent ?
- Dwargon ? Ca fait une bonne dizaine de jours de marche, non ? demande le gnome.
- Plutôt entre six et huit, mais la mariage est dans douze jours, donc ça vous laisserait largement le temps de flâner à Naïm.
- Pourquoi pas, dit Erasmus. Vous en pensez quoi, les amis ?
- Moi d’accord, dit Yjir. Moi préférer ça à visiter encore couloirs souterrains de Donjon d’Argûnn.
- Moi, c’est comme vous voulez, dit Sküm.
- Hrrrmph, grommelle Targedaël en se levant pour aller se coucher…
- Bon, ben c’est entendu, Umar. Combien tu nous donne ?
- Je ne suis pas très riche, mais je peux vous proposer 50 barons d’or. D’ici à votre retour, je devrais en avoir cinquante de plus pour vous !
- Tope là, dit le gnome. On partira au petit matin.
Le lendemain matin, à l’aube, la petite équipe se prépare au départ et prend son congé d’Umar. Celui-ci leur remet les cinquante barons promis, et un petit paquer enveloppé dans du parchemin. « Bon courage ! » leur lance-t’il alors qu’ils se mettent en route.
A la sortie de Taërion encore endormi, nos amis présentent aux gardes leur attestation de taxation qui prouve qu’ils ont payé la taxe sur les objets qu’ils sortent de Taërion. Alors que les gardes effectuent une fouille sommaire de leurs effets, ils entendent derrière eux une voix familière qui crie, rigolarde :
- Arrêtez-les, arrêtes-les, ils tentent de sortir trois galettes de maïs en contrebande !
C’est Bolden, visiblement équipé pour la route, qui vient juste d’émerger de la pénombre matinale. Nos héros ayant passé les formalités de sortie, ils se mettent en route accompagnés du guide halfelin.
- Où vous allez comme ça ?
- Umar nous a engagé pour amener un paquer à Dwargon, chez les nains, répond Erasmus.
- Ah, ben c’est sur ma route. Je vais à Serdel pour le match de rouste entre Taërion et Serdel.
- Quoi ça être rouste ? demande Yjir avec l’éloquence qu’on lui connaît.
Et Bolden d’expliquer avec enthousiasme que la rouste est un sport national des Baronnies Naïmides, presque aussi populaire que les Arènes de Naïm et surtout, accessible à tout un chacun. Chaque village a son équipe et les compétitions sont fréquentes. C'est un sport assez dur qui consiste à faire parvenir un ballon ovale derrière les lignes adverses. Le ballon ne peut-être passé qu'en arrière et les porteurs de ballon sont souvent victimes de coups plutôt violents...
- Je me déplace souvent pour les matchs de la région, pour faire soigneur. Il faut dire qu’il y en a qui prennent des sales coups, mais quand même, c’est génial ! Si vous avez le temps, vous devriez rester pour la partie !
Après deux bonnes heures de marche, nos amis arrivent en vue de Serdel, petite bourgade sur la route entre Taërion et Samella. Les quatre aventuriers ont décidé de rester le temps de la rencontre, même si Yjir semble peu intéressé. Erasmus et Targedaël, par contre, posent des questions sur les règles et le déroulement du jeu. Non loin de l’entrée du village, un champ a été aménagé en terrain de jeu, et deux petites bâtisses de chaque côté abritent les vestiaires des joueurs. Bolden présente les héros à Larquette et Roëland, deux hommes assez âgés qui connaissent bien le jeu et semblent chacun soutenir une des deux équipes : « Expliquez leur ce qui se passe, et encouragez les à choisir leur camp » leur demande Bolden en riant avant de s’éclipser.
- Vous voyez le jeune blond, là ? demande Larquette à nos amis. Il s’appelle Nam. C’est un nouveau joueur de Serdel. Vif comme l’éclair ! Je suis sûr qu’il va marquer au moins un point. De toute façon, les Taërions sont rouillés, ils manquent de sang neuf, on va en faire une bouchée de pain !
- L’écoutez pas, répond Roëland en riant. Il oublie de vous dire que ça fait quatre ans que Serdel n’a pas battu Taërion, et que ses petits paysans ont peut-être recruté une flèche, mais que les autres seraient plutôt des limaces !
Les échanges de civilités entre les supporters des deux équipes continuent ainsi jusqu’au coup d’envoi de la partie, avec toutefois un esprit bon enfant, si bien qu’Erasmus et Targedaël choisissent leurs équipes, le gnome soutenant Taërion avec Roëland et l’elfe Serdel avec Larquette. Ils posent aux deux vieux commentateurs des questions sur les joueurs, les règles et les blessures…
- Ca arrive souvent ? demande Erasmus
- Quelques fois par match, répond Larquette, mais c’est rarement grave.
- Quelques foulures, des égratignures un peu moches, des bleus et parfois une petite fracture, renchérit Roëland sous le regard horrifié d’Yjir qui ne peut pas comprendre qu’on se fasse physiquement mal pour un jeu…
Enfin, la partie commence. La rouste est effectivement un sport violent, à la hauteur de sa réputation. Au bout de quelques minutes, alors qu’un joueur de Serdel sort avec un doigt cassé, Yjir s’approche de lui, prêt à le soigner :
- Puissante magie de nature aider toi à te remettre de blessure, dit-il en s’approchant du blessé.
- C’est qui ce type, demande le joueur à Bolden, l’air inquiet.
- C’est un shaman. Il peut vraiment te soigner, tu sais, répond le Halfelin.
- Euuuuh… Je crois pas non. La sorcellerie, c’est pas mon truc, répond le joueur, préférant demander à Bolden de lui mettre une attelle pour que son doigt se remette en place.
Yjir repart, dépité et encore plus atterré par l’attitude stupide et violente des joueurs. Sküm, qu’on aurait pu croire intéressé a priori semble s’ennuyer, et il se promène autour du terrain sans s’intéresser trop à ce qui s’y passe. Par contre, Erasmus et Targedaël sont à fond dans la partie, le gnome étant le plus bruyant des deux :
- TA-Ë-RION, TA-Ë-RION, scande-t’il avec les supporters de l’équipe favorite. D’ailleurs, lorsque celle-ci marque, à la fin de la première mi-temps, c’est l’explosion de joie dans les tribunes de Taërion alors que de l’autre côté du terrain ce ne sont que sifflements, quolibets et mines dépitées. Erasmus se permet une petite danse de soutien avec Roëland tandis que Targedaël et Larquette insistent sur la chance insolente de l’équipe… Yjir se prend la tête entre les mains, abasourdi par la stupidité des hommes dits civilisés…
Juste avant que l’arbitre ne siffle la mi-temps, un des joueurs de Taërion se prend un mauvais coup et sa jambe adopte un angle peu ragoûtant. Bolden et quelques volontaires sortent le joueur du terrain et l’acheminent dans les vestiaires de Taërion. Yjir fait mine d’aller leur prêter main forte, mais Bolden lui fait comprendre d’un coup d’œil que son apparence et sa réputation de « sorcier » font qu’il vaut mieux qu’il s’abstienne. Le druide fulmine et retourne auprès de ses amis.
A la mi-temps, nos amis se restaurent rapidement auprès d’un marchand de casse-croûtes locaux.. Targedaël et Erasmus échangent quelques quolibets, Targedaël affirmant que maintenant que les joueurs sont chauds, les choses vont changer.
Effectivement, le début de la seconde mi-temps semble lui donner raison : après quelques minutes de jeu seulement, Nam, la jeune et récente recrue de Serdel parvient à s’emparer du ballon et, après une course superbe à travers les deux tiers du terrain, évitant habilement les défenseurs de Taërion, il vient marquer un point, ramenant les deux équipes à égalité. Targdaël hurle de joie :
-SERDEEEEEEEEEEEL ! crie-t’il avec les nombreux supporters de l’équipe locale.
Le jeu reprend, mais on sent que depuis l’égalisation, la tension est montée d’un cran : l’équipe de Serdel se voit en mesure de l’emporter, pour la première fois depuis des lustres, alors que les joueurs de Taërion tentent de mettre le paquet pour marquer de nouveau un écart. Les échauffourées sont plus brutales, et les porteurs du ballon prennent des coups durs, et souvent vicieusement placés. Bientôt, un joueur de Taërion, Zadine, pourtant costaud, se fait coincer par deux joueurs de Serdel alors qu’il court le ballon à la main vers la ligne adverse. Le choc est rude, et le joueur de Taërion tombe au sol, le bras visiblement démis.
L’arbitre sonne un arrêt de jeu, le temps d’évacuer le joueur, et tout le monde attend que Bolden et ses volontaires interviennent, mais de Bolden, pas de trace… Les volontaires évacuent néanmoins le joueur. Yjir et Skum, peu passionnés pas le jeu et intrigués par l’absence du Halfelin décident de faire un tour au vestiaire pour voir ce qui se passe. Alors qu'ils pénètrent à l'intérieur, ils trouvent Bolden baignant dans une mare de son sang. Il est mort.
- Regarde son cou, dit Skum d’une voix un peu tremblante. Il a été égorgé, sans doute avec une dague.
- Nous pas nous approcher, Sküm. Regarde là : ça trace de botte. Meurtrier sans doute avoir sang sur bottes…
- Inspectons quand même prudemment les lieux : à partir du moment où on annonce sa mort, ça va être la cohue, ici…
Les deux amis, surmontant leur répugnance, examinent donc prudemment l’intérieur du vestiaire. Outre la trace de botte, Yjir repère sous un banc un objet inhabituel qui, une fois nettoyé du sang dans lequel il baigne, s’avère être une gemme de petite taille. Ne trouvant aucun autre indice, Yjir trempe néanmoins un morceau de tissu dans le sang de Bolden avant de ressortir avec Sküm. Celui-ci prend sa plus grosse voix pour hurler par dessus le bruit ambiant :
- Arrêtez tout ! Bolden a été assassiné !
Un silence lourd s’installe autour du terrain. Les joueurs ont l’air abasourdi tandis que quelques supporters et les autorités de Serdel qui assistaient au match se rapprochent de Sküm et Yjir. Yjir prend la parole plus calmement :
- Nous avoir découvert cadavre de Bolden dans vestiaire. Lui assassiné sans doute durant mi-temps. Il y a trace de botte dans sang de Bolden. Moi faire sentir odeur du sang à loup Œil de Nuit et lui sans doute repérer le meurtrier.
Il s’exécute, et Œil de Nuit, humant l’air, file à travers les gens étonnées et inquiets. A l’arrière de la foule amassée, un homme se détache, tentant de s’enfuir en courant. Le loup lui saute sur le dos, le plaquant à terre alors que la foule émet un murmure d’étonnement : il s’agit de Renzi, l'entraîneur de l'équipe de Taërion. Sküm et Yjir sont rapidement sur les lieux et le demi-orc ceinture l’homme sans peine. Avant même de lui poser des questions, Yjir examine ses bottes et constate bien vite que la boue qui recouvre la botte noire a une teinte rougeâtre…
Nos quatre compagnons entourent Renzi, et s’apprêtent à le faire parler :
- Pourquoi est-ce que tu as assassiné Bolden ? demande Targedaël d’une voix menaçante…
L’homme ne répond pas. Sküm s’approche, faisant rouler ses muscles pour intimider l’entraîneur, quand soudain un homme fend la foule :
- Attendez un instant, dit-il. Il vous manque trop d’éléments pour poser les bonnes questions !
- Qui êtes vous ? demande Erasmus d’un air méfiant.
- Je me présente : sergent Malmon, de la Garde Douanière.
L’homme sort de sa chemise une insigne présentant cinq pièces d’or sur fond marine, l’insigne de la Garde Douanière avant de reprendre :
- Cet homme, dit-il en montrant Renzi du doigt, est soupçonné depuis un moment d’être un contrebandier. J’enquête depuis plusieurs semaines sur un trafic d’objets précieux extraits du Donjon d’Argûnn, et je pense non seulement qu’il est impliqué, mais que ce match de rouste est une couverture pour un échange de marchandises.
Le sergent Malmon s’approche de Renzi et des héros.
- Alors, reprend Yjir en regardant l’entraîneur dans les yeux, pourquoi toi assassiner Bolden ?
- Je n’ai tué personne, se défend l’homme. J’ai trouvé Bolden mort dans le vestiaire comme vous, et j’ai paniqué, j’ai perdu la tête… C’était un bon ami, je ne savais pas quoi faire. Et puis je ne voulais pas interrompre un match si important, j’étais en train d’aller prévenir la milice de Serdel…
Nos amis se regardent, mais il n’y a pas besoin d’être devin pour comprendre que Renzi ment. Alors que Sküm s’approche pour lui faire cracher le morceau par la méthode forte, Yjir marmonne quelques mots dans sa langue gutturale, et soudain brandit sous les yeux de l’entraîneur une petite vipère.
- Regarde serpent, dit il d’une voix dure. Lui pouvoir malencontreusement tomber dans chemise à toi… Lui souvent mordre lorsque effrayé… Et venin vipère être méchante chose : toi mettre plusieurs heures à mourir, souffrances être atroces…
Pris de panique, Renzi regarde de tous côtés si quelqu’un va lui apporter son soutien, mais l’assistance est trop abasourdie pour prendre sa défense. Finalement, il semble craquer, et, des larmes dans la voix, il avoue son crime…
- Depuis quelques temps, j’utilise l’équipement des joueurs pour faire de la contrebande de bijoux et de petits objets précieux. Quand Zadine s’est blessé à la jambe, Bolden a du découper sa botte pour bander la blessure. Il a senti qu’il y avait quelque chose de bizarre dans le talon. Quand Zadine est ressorti en boitant et la jambe bandée, j’ai vu Bolden rentrer de nouveau dans le vestiaire, et j’ai compris qu’il avait vu quelque chose… Je l’ai tué avant qu’il ne puisse parler… J’ai perdu la tête. J’aurais du m’enfuir, mais je voulais connaître la fin du match… Je ne pensais pas avoir de sang sur les bottes… Sans ce maudit loup, vous ne m’auriez jamais retrouvé…
- Et, pour qui travailles-tu ? demande fermement le sergent Malmon.
- Pour personne. Pour moi-même, répond Renzi.
- Tu ne peux pas t’attendre à ce que je croie cela. Tu es bien trop minable pour organiser seul un trafic de cette envergure…
- C’est faux, je suis mon propre patron !
Sküm se fait de nouveau menaçant et, maintenant l’homme par derrière, il commence à tordre son bras jusqu’à ce que la douleur de Renzi soit intolérable.
- Je vais parler, je vais parler, hurle-t’il…
Un long silence s’ensuit. Tous les regards sont rivés sur l’entraîneur, et tout le monde sent que la révélation qui va s’ensuivre est d’une grande importance :
- Vous avez raison. Je suis un minable. Je ne travaille pas pour moi-même. J’ai été commandité par…
A ce moment, on entend en rapide succession deux claquements secs et la gorge de Renzi est transpercée de deux flèches avant qu’il ait pu dénoncer son employeur… L’entraîneur s’écroule dans un bain de sang tandis que nos héros regardent alentour pour trouver l’assassin. A une cinquantaine de mètres, sur le toit des vestiaires de Serdel se tient une silhouette noire, un arc à la main.
Sküm s'élance, vite suivi de Targedaël et de Yjir. Le demi-orc arrive rapidement au pied des vestiaires, alors que l’homme encapuchonné atteint tout juste le sol. Prêt à jouer de la hache, le barbare se rue sur son adversaire, mais l'homme, rapide comme l'éclair, lui assène un coup de rapière précis juste au dessous de la clavicule et, stupéfait, Sküm s’écroule au sol. Il est conscient, mais il ne contrôle plus ses muscles. C’est dans ce piteux état que le rejoignent les autres, alors que l’homme a disparu… Il ne laisse derrière lui qu'un arc de superbe facture qu'il a abandonné dans sa fuite.
Targedaël ramasse l’arc et l’examine attentivement. Il s’agit d’un arc à poulie, de toute évidence fabriqué par un artisan exceptionnel, très léger et en même temps robuste. Se doutant que cette arme lui permettra de tirer plus loin et avec plus de précision, Targedaël se l’approprie. Nos héros sont bientôt rejoints par le Sergent Malmon (qui ne semble pas impatient de prendre des risques physiques inutiles). Il leur confie quelques détails supplémentaires sur son enquête :
- Cela fait un moment que nous surveillons Renzi. Je me doutais que nous pourrions le coincer un de ces jours, mais si j’ai décidé d’agir aujourd’hui c’est qu’un de nos informateurs nous a laissé entendre que la marchandise convoyée serait particulière : outre les gemmes dont vous avez trouvé un échantillon, il semblerait que les contrebandiers aient tenté de faire passer un bijou de très grande valeur récupéré au fin fond du Donjon d’Argûnn…
- Vous avez retrouvé quelque chose ? demande Erasmus, curieux.
- Pas encore, mais mes hommes ont récupéré tout l’équipement des joueurs et cerné le vestiaire. Le corps de votre ami a été emporté. Vous avez montré votre perspicacité jusque là, et je souhaiterais vous faire participer à la suite de l’enquête, si vous n’y voyez pas d’inconvénient. La Garde Douanière saura vous récompenser…
Nos amis décident dont de suivre le sergent vers le vestiaire de Taërion. Suivant les indications de Renzi, ils commencent à découper les bottes des joueurs de Taërion et, effectivement, dans une bonne partie des talons de celles-ci, des caches ont été creusées, dans lesquelles ils trouvent des gemmes de diverses natures. Ils examinent ensuite l’ensemble de l’équipement des joueurs, mais nulle trace d’un bijou de valeur…
- C’est étrange, dit le sergent Malmon… Vous n’avez pas une idée de comment ils auraient pu essayer de faire passer un objet de la grosseur d’un œuf à peu près ?
Soudain, Targedaël et Erasmus se regardent, un éclat inquiet dans l’œil.
- Hum… Non, je ne sais pas bien, dit Erasmus, en se levant. Je vais aller examiner les alentours des vestiaires, on ne sait jamais.
Dès qu’il est sorti du bâtiment, le gnome se cache derrière une pile de troncs d’arbre et sort de sa besace le paquet remis par Umar… Saisi par la doute, il hésite un instant puis, rapidement, il déplie le parchemin entourant la boîte et ouvre celle-ci. A l’intérieur, il aperçoit un simple anneau assez large, taillé dans un argent au reflets bleutés et orné de runes naines. Avec un soupir de soulagement, il referme la boîte et l’empaquette de nouveau dans le parchemin, regrettant d’avoir douté du bon aubergiste Umar…
Tandis qu’Erasmus rentre de nouveau dans les vestiaires, les autres son en train de réfléchir avec le sergent à la manière dont les contrebandiers ont pu camoufler le bijou. Soudain, Targedaël se lève et dit :
- Le ballon, où est le ballon ? demande l’elfe d’une voix surexcitée.
Bien vite, les homme de la Garde Douanière amènent le ballon à Targedaël. Celui-ci le prend en main et dit soudain, en palissant : « Il y a quelque chose dedans, j’en suis sûr… Un objet à l’enchantement puissant… » Erasmus jette un regard étonné à son ami et, marmonnant quelques mots, il tend la main lui-même vers la ballon.
- Mais c’est vrai, s’exclame-t’il… Comment tu sais ça, toi ?
- Je ne sais pas, j’en suis sûr, c’est tout…
Erasmus regarde l’elfe d’un air étrange puis, prenant sa dague, il crève le ballon. La paille avec laquelle celui-ci est bourré se répand dans les vestiaires, et le gnome y plonge la main. Il en ressort un rubis de la taille d’un œuf de poule, serti dans une lourde chaîne en or massif. Toutefois, alors qu’il soupèse l’objet, une grimace lui traverse le visage. Il pose le rubis sur un banc en disant : « Je n’aime pas ce bijou… Il a une aura malsaine… »
En tous cas, le sergent Malmon est ravi. Il remercie chaudement Targedaël et ses amis et leur propose de passer la nuit à l’auberge de Serdel, aux frais de la Garde Douanière. Avant de s’installer, toutefois, le sergent Malmon propose de fouiller le corps de Renzi. Quelle n’est pas la surprise de nos amis en constatant que celui-ci avait à l’avant bras un tatouage d’un rat noir…
Nos amis passent donc une agréable soirée en compagnie du Sergent qui, s’il ne semble pas être des plus fins et néanmoins amusant. A la fin de la soirée, sans doute rendu généreux par la boisson, le sergent remercie encore nos amis de leur aide et, pour les récompenser, il leur remet une lettre à valoir dans les bureaux de la Garde Douanière et leur donnant droit à une récompense de 100 barons d'or. Chacun se rend dans sa chambre pour une nuit de repos bien méritée.
Malheureusement, la nuit ne se passe pas sans encombres : Yjir émerge soudain d’un profond sommeil, semblant avoir entendu non loin un bruit. Un cri, peut-être ? Autour de lui, tout n’est que quiétude, la petite chambre d’auberge éclairée seulement par la lumière de la lune. Pris d’un doute, le druide se lève nu de sa couche et, sans même se couvrir, il ouvre discrètement la porte du couloir. Il examine rapidement celui-ci mais ne remarque rien de particulier jusqu’à ce que, s’apprêtant à retourner dormir, il s’aperçoive que la porte de la chambre du sergent Malmon est légèrement entrouverte.
Cette fois ci, Yjir s’entoure rapidement la taille d’une fourrure et se dirige vers la chambre du sergent. « Sergent Malmon, vous être réveillé ? » demande le druide en poussant légèrement la porte. A l’intérieur tout semble calme, mais la fenêtre du sergent est grande ouverte sur la nuit froide. Saisi d’une inquiétude grandissante, Yjir s’approche du lit et, à la lumière de lune, aperçoit le sergent. Sa gorge a été tranchée d’une main experte et les draps baignent dans le sang encore chaud du fonctionnaire…
Yjir donne immédiatement l’alarme, mais le meurtrier du sergent semble avoir quitté les lieux. Les assistants du Sergent Malmon, choqués mais professionnels, font le tour de la chambre pour trouver quelques indices, mais ils ne peuvent que constater une chose : l’énorme rubis, objet du délit, a disparu… Au moins, le mobile est clair…
Après une fin de nuit désagréable à répondre aux questions de la milice du Baron Béoric dépêchée sur les lieux, nos amis reprennent finalement la route en direction de Samella. Ils marchent pendant une bonne journée, essuyant quelques averses de cette fin de printemps. L’humeur n’est pas au beau fixe, et Sküm en particulier semble avoir du mal à digérer sa défaite si facile des mains de l’assassin de Renzi. Enfin, le soir venu, nos amis parviennent à une auberge le long de la route appelée le « Dindon Farceur ». Le lieu paraissant accueillant, Yjir encourage Œil de Nuit à partir se dégourdir les jambes dans la nature pendant que le reste du groupe se restaure.
L’ambiance chaleureuse du lieu et la bonne chère contribuent à dérider un peu nos héros. La salle est éclairée et chauffée par un bon feu de bois autour duquel quelques hommes du cru descendent des bières, tandis que dans un coin une jeune voyageuse déguste un potage. Erasmus raconte quelques bonnes histoires gnomes à ses compères, qui font rire Targedaël et sur lesquelles Yjir s’interroge. Le druide reste assez hermétique à la notion l’humour et à l’ironie telle que les manie le gnome.
Un peu plus tard dans la soirée, alors que nos amis se préparent à se retirer, quelques jeunes des environs, ayant un peu trop bu sans doute, commencent à importuner la jeune femme, faisant des sous-entendus peu subtils sur ses attraits physiques. Avant que le patron du bar ne puisse intervenir, Targedaël se lève et Erasmus entonne une rapide mélopée en agitant les mains. Deux des trois importuns s’écroulent, terrassés par une fatigue surnaturelle, tandis que le visage du troisième fait une rencontre à haute vélocité avec le poing de l’elfe. Il s’enfuit en courant, et nos amis, attrapant les corps endormis des deux autres, les jettent à l’extérieur.
La jeune femme, éperdue de reconnaissance, demande à nos amis si elle peut les rejoindre à leur table. Du coup, Erasmus commande une nouvelle tournée pour tout le monde, et la discussion reprend. Lorana, puisque tel est son nom, raconte qu’elle est en route vers Samella à la recherche de son père, qui les a abandonnées, elle et sa mère, lorsqu’elle était petite et qu’elle souhaite le retrouver aujourd’hui. Nos amis quant à eux, racontent sans trop de détails leur aventure dans le Tombeau de Varnôn. Assez vite, il paraît évident que Targedaël et Lorana échangent des regards lourds d’émotion, si bien qu’Yjir et Sküm se retirent. Erasmus, qui n’est pas très sensible au romantisme, s’attarde jusqu’à ce que finalement Lorana demande à Targedaël s’il désire l’accompagner dans une promenade nocturne. Les deux tourtereaux vont donc se promener sous la lumière de la lune, tandis que le gnome, un peu renfrogné, s’en retourne potasser ses livres de magie…
Plus tard, la femme et l’elfe regagnent la chambre de ce dernier et passent ensemble une nuit d’une telle passion que Targedaël finit par sombrer dans une torpeur proche du sommeil, que pourtant les elfes ne connaissent pas. Les yeux fermés, il se remémore la couleur pâle de sa peau, ses cheveux blonds tombant en cascades sur son visage, sa légère fragrance de pêche… Lorsqu’il émerge de sa rêverie, c’est l’aube. Les draps portent encore l’odeur de Lorana. Sourire aux lèvres, Targedaël ouvre les yeux et se retourne vers elle, mais son sourire se fige. Là, sur l’oreiller de la jeune femme, il y a une dague plantée qui retient un parchemin… La main tremblante, l’elfe enlève la dague et lit le message destiné à son attention : « Je reprends mon arc. La prochaine fois, tu n’auras sans doute pas autant de chance. L. »
Lorsque Targedaël sort de sa chambre quelques minutes plus tard, il est un peu pâle et ses jambes chancellent…
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