Episode 18 : Le Retour à Dwargon (Part 3)
" C’est pas qu’on aie franchement eu le temps de se reposer, mais Loël et moi, on voulait en finir assez vite. Du coup, on s’est mis en route assez rapidement, encadré par Myrdwaine et quelques uns de ses hommes. Je pense que les collègues de l’homme roux au sein du conseil des sages auraient préféré qu’on soit escortés d’un peu plus près, mais j’ai eu le sentiment que Myrdwaine avait décidé de nous faire confiance. Pour autant qu’on aie pu imaginer s’échapper au milieu d’une forêt dont on ne savait rien et dont il semblait connaître tous les secrets....
Après quelques heures de marche sous une pénombre perpétuelle (au cœur de la forêt, les arbres sont si hauts que les rayons du soleil ne passent pas…), notre escorte semble ralentir la cadence et adopter une attitude plus prudente :
- L’Opikabana est gardé en permanence, nous dit alors Myrdwaine, mais il est déjà arrivé que des créatures de cauchemar, créées sans doute par les rêves pervertis de la forêt s’en échappent. Nous devons rester prudents.
Bref, très rassurant, tout ça…
Encore quelques minutes de marche, et nous avons l’impression que la forêt s’assombrit encore. Et soudain on aperçoit, à quelques dizaines de mètres devant nous, un enchevêtrement d’arbres qui semblent former une haie. Croyez moi, au cœur d’une forêt sauvage, ça se remarque tout de suite… Quelque chose me dit que nous sommes arrivés. Effectivement, Myrdwaine s’arrête et nous regarde d’un air grave.
- C’est ici la frontière de l’Opikabana. Nous ne pouvons vous accompagner plus loin. Faites attention à vous, et ramenez-nous le bâton du Cerumnos.
- On va faire de notre mieux, que je lui réponds en détachant ma hâche de son étui. Il est grand comment, votre Opikabana ?
- Plus très grand. Au fil des années, la forêt reprend ses droits et réduit son emprise. Je dirais qu’il reste tout au plus un cercle d’une de vos lieues de rayon…
Loël et moi, on s’engage donc à travers la haie. Le contraste entre les deux côtés est saisissant : dans l’Opikabana flotte une brume perpétuelle qui laisse entrapercevoir la silhouette torturée d’arbres difformes et, ici ou là, quelques vieux murs. Loël et moi nous avançons, très prudents et pour être franc, vraiment pas à l’aise. Donnez-moi des hobgobelins quand vous voulez, au moins on sait par quel bout les trancher…
Au fur et à mesure qu’on avance, on se rend compte d’une terrible absence de bruit. Il n’y a pas d’oiseaux qui gazouillent, pas de rongeurs qui couinent, pas de vent qui bruisse dans les feuilles. Tout est mort, sauf par moment des sons lointains qui font penser à des gémissements. Loël et moi restons proches pour ne pas nous perdre dans la brume, et on réalise que le sol monte doucement vers le cœur de l’Opikabana. Je cherche des traces pour voir si on est sur la bonne voie, et effectivement, je trouve une marque de pas ferré, comme le pied d’une armure. La direction semble être le haut de la colline, donc on continue par là.
Après quelques centaines de mètres, on commence à apercevoir dans la brume les ruines d’une haute tour. Alors qu’on s’approche un peu plus, on voit des vestiges de murs, de portails, le tout fait d’une pierre noire luisante, je dirais même suintante. Après une rapide vérification, je me rends compte que les traces se dirigent vers la tour, donc on suit aussi. On passe sous un porche miraculeusement intact qui s’ouvre sur ce qui a du être une grande cour au pied du donjon en ruines.
Dans cette cour poussent quelques arbres noirs comme la nuit, déformés et malsains. On les évite autant que l’on peut et on commence à explorer. Assez vite, on tombe sur un cadavre d’homme aux yeux cousus. Difficile de savoir exactement ce qui l’a tué, mais il a la cage thoracique broyée, comme si une main de géant l’avait pressé comme un citron trop mur. A ce moment là , je commence à stresser franchement, mais Loël, fidèle à lui-même, a l’air très calme. Au bout de quelques instants, je l’entends qui m’appelle, mais sa voix est un peu étouffée par la brume.
- Viens voir ici, Sküm, semble-t’il me dire.
Je m’approche, non sans me rappeler des histoires de fées maléfiques que me racontait mon père, quand elles séparent des compagnons en les attirant par des faux sons… Je renforce ma prise sur le manche de ma hache… mais non. C’est bien Loël qui est là.
A ses pieds, on distingue sous le lierre un corps vêtu d’une lourde armure noire, ou plutôt ce qu’il en reste. Le lierre semble avoir pénétré à l’intérieur de l’armure, du casque, des jambières. Je me penche pour vérifier que le cadavre a bien en main un bâton, mais Loël m’arrête :
- Regarde le lierre, Sküm. Il n’est pas naturel. D’abord, il est épineux, et surtout, examine le de près… Il frémit, comme s’il était vivant mais en sommeil… C’est tout à fait intéressant…
Je ne vois rien de tout ça, mais je ne préfère pas prendre de risques inutiles, alors pendant que Loël examine le lierre de loin, je brandis ma hache et je donne des grands coups pour dégager le corps. Une racine par ci, une racine par là, et en quelques instants il me suffit de balayer les brindilles pour voir apparaître un cadavre vêtu d’une armure noire. Son visage est émacié, et on a l’impression qu’il est mort depuis longtemps, momifié quoi. Ce n'est pas pour me rassurer, d'autant moins que sur l’armure est sculpté en relief un visage démoniaque. »
- Ou plutôt diabolique, interrompt Erasmus.
- Je saisis pas la nuance, reprend Sküm, un peu interloqué.
- Je ne suis pas un expert d’ethnologie planaire, mais il me semble que la distinction entre démons et diables est significative. Les uns sont des êtres de Chaos et les autres des êtres de Loi, même si les deux sont maléfiques au possible. Malheureusement, il est difficile d’en savoir plus vu la censure qui règne sur le sujet.
Il jette un regard en coin à Cendres, qui ne relève pas.
- En tous cas, nous savons que la cité-état de Glass pratique, ou pratiquait, des cultes diaboliques. Faisons attention à bien garder la distinction à l’esprit…
- Mais, quel est le rapport entre mon récit et la cité-état de Glass ? Je ne vous suis plus, là…
- Il faudra qu’on te raconte nos aventures aussi, mais sache que pas plus tard que la semaine dernière, on a affronté sur un navire un type en armure exactement comme ce que tu décris, escorté lui aussi d’« yeux cousus ». Et il convoyait une cargaison d’esclaves vers les mines de Glass…
Un silence s’installe quelques instants, puis Sküm reprend.
« En tous cas, le type avait effectivement un bâton à la main et une épée de l’autre. Rien de très élaboré, le bâton. On aurait dit une vielle branche polie par le temps. Mais bon, on avait bien vu que les druides de la forêt faisaient pas trop dans l’esthétique, donc on se dit que ça doit être ça. Loël s’en saisit, et on décide d’arrêter là notre exploration du cadavre et de retourner à la relative sécurité de la partie normale de la forêt.
On avance rapidement vers le porche par lequel on était passé, mais là, au moment de le franchir, Loël est frappé par une ombre noire qui arrive à l’horizontale et projeté à au moins dix mètres en arrière. Quant à moi, je me retrouve face à face avec un immense chêne tout noir et difforme, mais surtout qui bouge !
Je le frappe d’un coup de hache, mais à part lui faire une entaille, ça n’a pas l’air de le gêner. Lui, par contre, me fouette d’un coup de branche et me casse un ou deux os au passage ! Loël, entre temps, s’est remis sur pieds, et il me crie « Fuyons » tout en courant en direction du porche, et donc de l’arbre animé. On a vu mieux, comme itinéraire de fuite, mais c’est là que je réalise que Loël bouge vite… Vraiment très vite !
Il bondit par dessus une branche qui tente de l’attraper, fait un roulé boulé sous une autre qui cherche à le broyer, et il est passé. Pour moi évidemment, les choses ne sont pas si simples. Je me mets à courir aussi, tout en sachant que je risque de m’en prendre une, au moins. Mais je cours assez vite aussi. Du coup, j’arrive à passer sous le porche malgré un coup de boutoir reçu sur l’épaule, qui commence à me faire franchement mal.
On se met à courir comme des forcenés vers la haie qui délimite l’Opikabana, mais tout à coup, on commence à apercevoir d’autres arbres qui s’animent. Je me retourne, et celui qui nous a attaqué en premier nous suit ! Si, si ! Il se déplace, pas en courant, mais en glissant ses racines sous terre. Je ne sais pas trop comment vous décrire ça, mais il laissait comme une tranchée derrière lui.
Inutile de vous préciser qu’il ne faut pas nous le dire deux fois ! Je cours comme je n’ai jamais couru, avec Loël qui file devant moi, le bâton à la main. Un arbre s’approche sur le coté mais Loël parvient à l’éviter. Je lui assène un coup de hache en passant mais je me fais fouetter de nouveau par une branche. Ca commence à bien faire, mais pour tout vous dire, je n’ai pas envie de jouer le héros à ce moment là. Finalement, après une course qui nous paraît interminable, on arrive à rejoindre la haie, mais les quatre arbres difformes qui nous poursuivent sont lancés à pleine vitesse. Les guerriers de Myrdwaine nous recueillent de l’autre côté, et on s’attend à devoir faire face à la fureur de la nature corrompue de l’Opikabana.
Mais au moment même où les arbres noirs s’apprêtent à se jeter au travers de la haie d’arbres qui délimite la région maudite, celle-ci s’anime à son tour ! Les puissants chênes d’Argûnn s’interposent et un combat titanesque s’ensuit, branche contre branche, racine contre racine. Mais les arbres de la haie sont plus nombreux, et prennent rapidement le dessus. Les quatre arbres noirs qui avaient failli nous causer la mort sont bien vite déchiquetés et réduits en brindilles…
On rend le bâton à Myrdwaine qui a l’air bien reconnaissant, et propose de nous raccompagner directement à l’orée de la forêt :
- Inutile de repasser par la clairière du conseil, dit-il d’une voix amusée. Certains de ses membres s’aviseraient peut-être de faire appliquer la tradition de la forêt maintenant que votre mission a été menée à bien…
Le voyage de retour dure deux jours mais se passe sans encombre. On pose bien sûr quelques questions à Myrdwaine sur l’Opikabana et la Forêt, mais il n’est pas très causant. Ce qu’on comprend clairement, c’est que les habitants de la Forêt rejettent les êtres soi-disant civilisés et vivent en communion avec la nature. Pour éviter que leur monde ne soit mis en danger par les hommes, ou les Enfants d’Ehrûn, comme ils les appellent, ils préfèrent éliminer tout ceux qui s’aventurent un peu trop profond dans la forêt…
Finalement, revenus non loin du monastère, nous quittons Myrdwaine et ses hommes, mais avant de s’enfoncer de nouveau dans la verdure, il me fait un présent :
- Sküm, je suis convaincu que tu as bien été envoyé pour nous aider, et je te remercie de ton aide et de celle de Loël. Reste toujours proche de la nature. Voici un sachet contenant cinq glands. Chacun d’entre eux, si tu le plantes en terre, fera pousser un chêne colossal. Uses-en avec discernement… »
- Et voilà, reprend Sküm. C’est mon histoire. A vous maintenant !
- Pas tout de suite, Sküm, interrompt Cendres d’un air sévère. Si nous devions te raconter nos pérégrinations de Razem à Winzeria en passant par Halos, nous en aurions pour toute la nuit. Il y a plus pressant : nous sommes venus te chercher avec Umar car celui-ci a décidé de réclamer son trône à Maborg. L’affaire est urgente : aux dernières nouvelles, son père serait mourant. Umar est ici, à Taërion, et nous devons repartir sur l’heure.
- On te racontera ça en route ! reprend Erasmus d’un air plus jovial.
Effectivement, une fois qu’Erasmus a pris congé de Loàg et de son ami Loël, ils retrouvent Umar à l’ancienne Auberge du Coq Hardi qu’Umar semble quitter avec regrets. Mais le temps n’est pas à la contemplation, et nos amis reprennent bien vite la route vers Naïm, puis Llambeth. En chemin, les débats entre le gnome, Yjir et Cendres vont bon train : décidément, ces hommes en capuchon sont partout ! Combien sont-ils à la fin ? Et d'où sortent-ils ?
- Vous croire que « yeux-cousus » et « armure noire » aller Donjon d’Argûnn ? interroge Yjir, le deuxième jour du voyage après qu’Erasmus aie conté à Sküm leurs pérégrinations terrestres et maritimes…
- D’après le rêve de Sküm, je pense que oui. Un doigt noir qui mène jusqu’au ciel, il n’y en a pas des tonnes dans le coin, répond Erasmus.
- Si c’est ça, c’est très inquiétant… conclut Cendres d’un air sombre.
A Naïm, Umar échange les chevaux fourbus pour des chariots dans lesquels il amasse diverses armes et des objets de valeur qu’il avait mis de coté dans un coffre bancaire. Cela arrange bien Erasmus qui peut enfin se consacrer à l’étude des parchemins récemment acquis. Mais à mesure que l'on s'approche de la destination, une part grandissante du temps de trajet est consacré à des considérations plus terre à terre : tout a-t-il bien été prévu pour investir Maborg ?
Le plan sur lequel Umar et nos amis s’arrêtent est le suivant : Lothar, le compagnon de captivité d’Umar, sera mandaté par le Baron de Llambeth pour aller rendre hommage au Roi de Maborg. Sous ce couvert de neutralité, il pourra s’approcher du monarque, que celui-ci soit encore le vieux père d’Umar ou l’usurpateur Strakal. Il sera escorté d’un groupe de "courtisans" parmi lesquels sera dissimulée Grazz'ell. Ainsi, celle-ci pourra être mise en avant comme preuve de la traîtrise de Strakal.
Parallèlement, Umar et nos amis pénètreront au sein du Royaume Nain via un itinéraire moins conventionnel. En effet, Umar a appris dans son enfance les instructions permettant de suivre le « Chemin des Rois », une suite de cavernes connues de la seule famille royale et menant au royaume de Maborg.
- Nos chances de succès seront accrues si je peux prendre quelques contacts avec mes anciens amis, avant de devoir affronter Strakal devant le Conseil, poursuit le nain. Prions pour que j'en aie le temps…